Je viens devant vous avec une certaine émotion car c'est, cette fois, au titre de fonctions futures, fussent-elles modestes puisque exercées au sein d'un collège. Lorsque le président Carrez m'a proposé de me nommer au Haut Conseil des finances publiques, je l'ai accepté avec plaisir car j'estime le rôle de cet organisme très important. C'est un des aspects fondamentaux de la réforme de la gouvernance décidée en Europe que d'avoir, dans chaque pays, un « conseil budgétaire » – en France, le Haut Conseil des finances publiques – afin de renforcer la cohésion de la zone euro, la crédibilité de la trajectoire des finances publiques et la confiance des citoyens, des acteurs des marchés financiers et de l'ensemble des observateurs. C'est essentiel pour la qualité des perspectives de croissance et pour le bien-être de tous.
Je ne reviens pas sur le calendrier évoqué par le président Carrez. Naturellement, même s'il n'y a sans doute pas de risque de conflit d'intérêts, il me semble indispensable de ne pas mélanger des responsabilités – fussent-elles modestes – dans le domaine budgétaire, avec les responsabilités que j'exerce en ce moment dans le domaine monétaire.
Pourquoi le Haut Conseil est-il à mes yeux un organisme important, et que pourrai-je y apporter ? Les prévisions macroéconomiques sont évidemment un des facteurs-clefs pour établir des prévisions réalistes en matière d'équilibre – au sens générique du terme – des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Quelle que soit leur qualité – et elle est grande –, les prévisions du ministère des finances méritent d'être confrontées aux questionnements d'experts sur la façon dont elles sont fabriquées, sur la cohérence des éléments qui les sous-tendent ; elles méritent également d'être confrontées à d'autres prévisions émanant d'organismes publics internationaux français ou privés, de façon à délivrer au Parlement un avis éclairé devant nourrir le débat le plus scientifiquement fondé – aucune prévision n'étant absolument sûre et exacte quoi qu'il arrive –, qui corresponde en tout cas autant que possible à l'état de l'art.
De la même façon, en matière de finances publiques, il est très important de veiller à la cohérence entre les objectifs annuels et les objectifs pluriannuels. Il convient de s'efforcer de détecter ce qui, dans les prévisions annuelles, correspond au fameux solde structurel, à ce qui est normalement réplicable, sauf modification des politiques de recettes ou de dépenses par le Parlement, et ce qui tient à des facteurs temporaires, à des événements ou à des décisions qui n'ont un effet que pour une année donnée. Ainsi, bien identifier les écarts éventuels entre le solde structurel et le solde conjoncturel permettra d'assurer la crédibilité de la trajectoire des finances publiques et de faire en sorte que vos débats, j'y insiste, se fondent sur des éléments aussi robustes que possible. Ensuite, quand des mesures de correction de trajectoire sont prévues, il est important que vous disposiez, de la part d'un organisme indépendant, du maximum d'éclairage sur les effets attendus.
Pourquoi ai-je le sentiment que je pourrai y contribuer utilement ? Il est toujours très difficile de juger soi-même de ses éventuelles compétences et qualités ; reste qu'il me semble que, par de nombreux aspects, mon expérience, les responsabilités que j'ai eu l'honneur d'exercer m'y préparent relativement bien. Mes propres services ont commencé à publier cette année des prévisions macroéconomiques allant au-delà des deux prochains trimestres. En outre, la Banque centrale européenne – BCE – publie des prévisions pour l'ensemble de la zone euro, établies en cohérence avec celles réalisées par chaque banque centrale nationale pour son propre pays. Mes services ont par conséquent modernisé leurs modèles et, à chaque fois que nous publions une prévision – pour le prochain trimestre, pour l'année suivante ou pour les trois années à venir –, je ne la modifie jamais – c'est une question d'éthique personnelle –, mais je m'assure de la cohérence du travail de mes économistes. Je leur pose à chaque fois des questions précises sur la robustesse des données observées – on sait que certaines séries sont révisées plus que d'autres –, sur les raisons pour lesquelles ils ont introduit certains éléments à dire d'expert ; il s'agit, en bref, de tester la résilience de leurs prévisions.
En matière de cohérence entre les prévisions macroéconomiques et les prévisions de finances publiques, nous réalisons également ce type d'analyses mais en publions très peu – cependant que la BCE, pour sa part, fait paraître des analyses agrégeant les données pour l'ensemble de la zone euro, analyses cohérentes, donc, avec nos propres prévisions pour la France. Je m'étais en outre entendu avec le Premier président de la Cour des comptes pour considérer que nous n'avions pas à brouiller son message, étant entendu que ce type de publication est de sa responsabilité éventuelle. J'ai également l'habitude de discuter avec les économistes des relations, de la cohérence entre l'évolution des grandeurs macroéconomiques et les soldes des principaux éléments de finances publiques.
Je n'insisterai pas sur la nécessaire indépendance du Haut Conseil. J'ai en effet quelque expérience en la matière, et l'indépendance ne signifie pas qu'il faille donner dans l'autisme. Il s'agit non seulement de ne jamais accepter de pressions, de les décourager d'où qu'elles viennent, mais encore de garantir la confidentialité des débats d'un collège et de veiller à l'unicité de sa communication, qui doit essentiellement passer par son président.
Enfin, je n'ai pas qu'une vision extérieure des finances publiques : j'ai été directeur du Trésor, mais aussi directeur de cabinet d'un ministre de l'économie qui avait la responsabilité d'établir les prévisions macroéconomiques pour les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale, puis d'un ministre de l'économie et des finances qui avait également la responsabilité de la présentation et de l'exécution du budget.