Intervention de Thomas Gomart

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Thomas Gomart, directeur de l'Institut français des relations internationales :

Je pense que Poutine n'est pas un allié, mais plutôt un partenaire. Et, depuis fin 2013, les relations avec les Russes sont très franches et directes, à un point parfois extrême !

Il n'est pas question de diaboliser Poutine, qui est au coeur du système russe. Sa préoccupation première est l'empreinte qu'il laissera dans l'histoire russe, non ses relations avec la chancelière Merkel ou le président Hollande.

Il est important de saisir l'idéologie du groupe dominant à Moscou, dans laquelle l'expérience vécue est importante. Je rappelle que Poutine était un réprouvé en 1990 : son ascension et le sentiment d'être craint par toute l'Europe provoquent l'impression que la Russie est de retour, alors que le Kremlin est dans une situation d'isolement dans ses contacts internationaux et vis-à-vis de la population russe, en l'absence de contre-pouvoir. La récurrence du discours de Poutine sur les questions nucléaires est un indicateur à prendre en compte.

Pour parvenir à une relation sereine avec la Russie, il faut maintenir les liens, en essayant de faire en sorte que les sociétés civiles se parlent et que les entreprises continuent à s'y rendre. Mais on a raté trois occasions en termes de contacts humains : les JO de Sotchi, en partie boudés par les Occidentaux ; la réaction russe aux attentats contre Charlie Hebdo – la contre-manifestation de Grozny, avec le soutien du Kremlin, contre le droit d'expression est un message à prendre en compte – ; les commémorations du 9 mai, où Xi Jinping était à la tribune, et non les partenaires occidentaux.

Quand on demande à Vladimir Poutine quelle est sa principale réalisation en matière de politique étrangère, il invoque le traité frontalier avec la Chine de 2006, dont l'Organisation de coopération de Shanghai a notamment permis la négociation et la mise en oeuvre. Les États-Unis ont d'ailleurs demandé un siège d'observateur au sein de cette instance qui leur a été refusé.

Cela étant, l'Organisation de coopération de Shanghai, dans la mesure où elle associe des pays ayant des relations très tendues, n'a pas forcément un avenir très prometteur. Mais il faut être attentif à l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui donne lieu à des manoeuvres régulières avec certains pays d'Asie centrale et du Caucase et peut être vue comme la volonté de Moscou de construire un outil. Cela étant, je ne pense pas qu'on puisse dire à ce stade qu'il fonctionne.

La Russie pourrait continuer sur la même trajectoire, à mon avis très contradictoire, consistant à créer un pivot vers l'Asie et à faire une guerre limitée en Europe. Si cela montre combien elle est ancrée à l'Europe, elle pourrait aussi se mettre en position de « junior partner » vis-à-vis de la Chine, ce qui constituerait une rupture historique majeure.

Je rappelle qu'elle s'est satisfaite de l'abstention chinoise, comme indienne, brésilienne ou de celle d'autres pays lors du vote de l'Assemblée générale des Nations unies, en mars 2014, condamnant l'annexion de la Crimée. C'est une attitude prudente de la part de la Chine, car prendre parti pour les séparatistes serait créer un précédent pour la situation au Xinjang, sachant que si elle devait mener une opération vis-à-vis des îles Senkaku, elle pourrait habilement se référer au précédent de la Crimée. Sa politique est donc cohérente, mais probablement en deçà des attentes de Vladimir Poutine.

Si, en mai 2014, la Russie a annoncé des accords énergétiques portant sur 40 BCM à partir de 2018 pour montrer qu'existait une alternative vis-à-vis des approvisionnements de l'Europe, je ne pense pas que les flux puissent être inversés par un claquement de doigts. Il faut par ailleurs reconnaître une intensification évidente des relations commerciales entre la Russie et la Chine, celle-ci étant devenue son premier partenaire en la matière en 2012.

Quant aux relations avec l'Inde, elles sont traditionnellement très substantielles en termes de ventes d'armes, mais cela ne donne pas ce que Moscou espérerait. Reste que la décision de non-livraison du Mistral et l'annonce par la Russie qu'elle allait faire notre publicité en Inde n'ont pas empêché la vente de Rafale.

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