Vous posez une question qui agite toute la communauté des économistes qui travaillent sur le problème des territoires depuis les années 1990. Paul Krugman a obtenu le prix Nobel d'économie en 2008 pour sa théorie de la localisation des activités – pour la première fois, le prix récompensait un travail comportant un élément de géographie économique – selon laquelle le territoire est en quelque sorte l'expression concrète d'un marché.
Pour qu'il fonctionne, il faut que s'y confrontent beaucoup d'offres et beaucoup de demandes, ce qui renforce la probabilité qu'une demande particulière ou qu'une offre particulière soit satisfaite. Paris est la ville du monde où l'on trouve le plus grand choix de films de cinéma en salle à quarante minutes de déplacement en moyenne. Certaines métropoles du monde comptent plus de salles de cinémas, mais il faut, en moyenne beaucoup plus de temps pour y accéder – une heure et demie de voiture à Los Angeles. L'avantage quantitatif du nombre se transforme en avantage qualitatif. Si vous souhaitez voir ce soir le film de Marguerite Duras, Le Camion, par exemple, vous avez plus de chances qu'il soit projeté à Paris qu'à Quimper étant donné que, dans une agglomération de douze millions d'habitants, il est possible de remplir une salle qui projette ce film dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est pas « grand public ». À Quimper, vous n'aurez le choix qu'entre huit films et peu de chances de voir Le Camion sur grand écran, le nombre d'habitants ayant cette demande spécifique ne permettant pas de remplir une salle. Ce qui vaut pour le marché du cinéma vaut pour le marché de l'emploi et, demain, pour celui des sous-traitants. Plus le marché est large, mieux les demandes sont satisfaites.
Au-delà de la question de la taille, le marché fonctionne si les distances à parcourir ne sont pas trop grandes : les déplacements à effectuer sur le marché quel qu'il soit ne doivent pas excéder quarante minutes, tous modes de transports confondus – au-delà, nous savons qu'il n'existe plus de marché de l'emploi – ou bien marginalement.
Par ailleurs, la distance entre le domicile et l'emploi doit être la plus réduite possible ce qui peut être obtenu grâce à l'urbanisation et à la mise en place de SCOT et de plans locaux d'urbanisme (PLU).
Les règles que je viens d'exposer ont été vérifiées de façon économétrique dans les grandes villes des pays industriels, aux États-Unis et au Brésil. On les retrouve systématiquement partout. La métropole permet d'offrir tous ces avantages.
J'ajoute un élément très frappant : dans un rapport rédigé pour l'OCDE il y a quinze ans, je montrais que la libéralisation des économies a produit de très forts effets de concentration des activités dans ce que l'on n'appelait pas encore les métropoles ; je montrais également que cela nécessitait non pas une moindre action publique mais, au contraire, un développement des politiques locales menées à la bonne échelle – ce qui nous renvoie aux SCOT et aux EPCI. Pour que le territoire, expression concrète de ce qu'est le marché, fonctionne de façon efficace, et que l'offre et la demande se rencontrent, il faut en effet davantage de politiques publiques car c'est l'action publique territoriale qui dessine le territoire, qui décide des distances, c'est-à-dire de la densité, et qui décide des vitesses qui résultent nécessairement d'un cocktail extraordinairement complexe entre transports collectifs et transports individuels.
Il faut plus d'action publique territoriale pour « libérer » les avantages économiques des marchés que constituent les grands territoires. Dans ce contexte, la gestion intégrée de façon globale constitue un enjeu majeur, que ce soit pour le Grand Paris, la métropole de Lyon ou celle de Marseille, pour les SCOT ou l'intercommunalité. L'intérêt de chacune des parties ne doit pas piloter l'action publique, à laquelle reviennent des tâches essentielles en termes d'organisation des transports, de planification urbaine ou de gestion, qui sont déterminantes pour l'efficacité des villes.
Il faut à coup sûr des SCOT, mais certains sont ridiculement petits : lorsque huit SCOT ridicules se battent autour d'une ville, ils ne forment plus que des bastions d'intérêts corporatistes territoriaux. En revanche, d'autres SCOT, comme celui de la métropole Nantes-Saint-Nazaire, sur lequel j'ai travaillé, ont permis de mettre en commun de très nombreux intérêts territoriaux, industriels et écologiques et de parvenir à un mode de gestion qui régule les concurrences entre les territoires, les industries, les activités, les loisirs… Évidemment, le second modèle est meilleur que le premier car une multitude de petits SCOT ne forment pas un SCOT.