Je suis très sensible au fait que vous ayez pris en considération le travail effectué par le Défenseur des droits. Après avoir reçu de nombreuses réclamations, nous avons lancé un appel à témoignages, nous inspirant de ce que nous avions fait il y a quelques années sur la question de l'accès aux cantines scolaires. La synthèse des témoignages recueillis entre fin 2014 et février 2015 a donné lieu à un travail qui traduit ce qui nous a été communiqué.
Les principales difficultés – et les principales recommandations, car les deux sont liées – sont de deux types : il faut d'une part s'interroger sur l'effectivité de l'accès des étudiants aux droits sociaux, et de l'autre, se demander, si du fait de la gestion particulière de leurs mutuelles, les étudiants bénéficient de moins de droits que les autres assurés sociaux.
En matière d'effectivité de l'accès aux droits, les difficultés renvoient d'abord au processus d'affiliation – l'entrée dans le système de la protection sociale –, marquée par des délais trop longs, des ruptures du parcours de soin coordonné qui aboutissent à des sanctions injustifiées pour les étudiants et à la situation préoccupante des étudiants atteints d'affections de longue durée (ALD). Ensuite, il existe des défaillances dans la gestion de ces mutuelles : production de cartes Vitale inutilisables, retards de remboursements et risques particuliers pour les étudiants étrangers ou les étudiants français à l'étranger. L'effectivité des soins n'est donc pas toujours assurée dans la mesure où le processus d'affiliation des étudiants à leur sécurité sociale propre est émaillé de ruptures de droits totales ou partielles.
Je recommande tout d'abord aux mutuelles étudiantes de mettre en oeuvre toute solution permettant d'améliorer les délais d'affiliation des étudiants à la sécurité sociale. L'affiliation court normalement du 1er octobre d'une année au 30 septembre de l'année suivante et doit être renouvelée chaque année. Il ressort de l'examen des réclamations et de l'appel à témoignages que nous avons lancé que les mutuelles étudiantes ne sont pas en mesure d'affilier l'ensemble des étudiants à leur sécurité sociale au 1er octobre. Certains étudiants attendent même parfois plusieurs mois avant d'obtenir leur affiliation. Or un étudiant non affilié se trouve en rupture de droits à la sécurité sociale : il ne pourra pas obtenir le remboursement de ses dépenses de santé, ni se servir de sa carte Vitale, ni bénéficier du tiers payant, ni obtenir la délivrance d'une attestation de droits à la sécurité sociale – document qui lui sera demandé lorsqu'il fera des stages dans le cadre de son cursus universitaire. Il s'agit donc d'un défaut majeur et il faut parvenir à faire respecter la date du 1er octobre.
Le non-respect du parcours de soins coordonnés conduit également les étudiants à être injustement sanctionnés. Nous recommandons donc d'assurer l'effectivité de la transmission des informations relatives à l'étudiant au moment du transfert de son dossier, notamment en matière de déclaration de médecin traitant et surtout en cas d'ALD. Le parcours de soins coordonnés impose de déclarer son médecin traitant ; or selon une circulaire de la direction de la sécurité sociale (DSS), si l'étudiant l'avait déjà fait auprès du régime de sécurité sociale dont il dépendait avant le début de ses études, il appartient à la mutuelle – qu'on appelle « caisse prenante » – d'aller chercher elle-même cette information auprès de la « caisse cédante », sans solliciter l'intervention de l'assuré. L'appel à témoignages a révélé qu'à peu près 20 % des étudiants avaient éprouvé des difficultés à déclarer leur médecin traitant auprès de leur mutuelle – fait que confirment les dossiers de réclamation dont nous disposons. Soit la mutuelle ne prend pas en compte, au moment de la mutation entre les régimes, la déclaration de médecin traitant déjà effectuée par l'étudiant auprès de sa précédente caisse de sécurité sociale, en méconnaissance de la circulaire, soit elle égare ou ne prend pas en compte la déclaration que lui communique l'étudiant. Celui-ci n'est alors plus considéré comme respectant le parcours de soins coordonnés et subit donc des sanctions telles que la minoration du montant de ses remboursements.
La situation des étudiants atteints d'ALD est particulièrement préoccupante. Ces étudiants bénéficient évidemment, comme tout autre assuré dans ce cas, de la prise en charge à 100 % et du tiers payant – dispositifs indispensables. Mais pour faire valoir leurs droits, ils doivent être affiliés sans retard à leur sécurité sociale. Or d'une part, ces étudiants pâtissent des retards d'affiliation déjà mentionnés et s'ils ne sont pas affiliés en temps utile, ils se trouvent privés de tout droit à la sécurité sociale, ce qui est dramatique lorsqu'on est atteint d'une ALD. Ils doivent soit payer eux-mêmes pour leurs soins, soit renoncer à se soigner. D'autre part, ils se voient souvent délivrer par erreur une attestation de droits à la sécurité sociale classique et non une attestation spécifique ALD ; ils se retrouvent alors en rupture partielle de droits. Ainsi, ils ne bénéficient pas du tiers payant et doivent demander le remboursement de leurs frais par un formulaire papier.
En matière de gestion de l'assurance maladie et maternité des étudiants, les défaillances sont également persistantes. Il a été beaucoup question dans la presse des cartes Vitale inutilisables. À seize ans, tout assuré social se voit délivrer une carte Vitale qui a vocation à être conservée tout au long de l'affiliation à la sécurité sociale, même en cas de changement de régime. Les assurés qui entrent dans le régime étudiant devraient normalement effectuer une simple mise à jour de leur carte – des machines sont disponibles à cet effet dans les pharmacies – de manière à être pris en charge à partir du 1er octobre. En réalité, les mutuelles étudiantes peinent à exploiter les cartes Vitale dont disposent les étudiants et invitent ceux-ci à s'en faire établir de nouvelles. Les 1 500 réponses recueillies au travers de l'appel à témoignages – un échantillon conséquent même si non statistiquement représentatif – révèlent que 36 % des personnes ayant répondu ont éprouvé des difficultés pour obtenir une carte Vitale opérationnelle, et les réclamations individuelles confirment ce constat. Cela conduit à une inflation des démarches administratives : l'étudiant doit transmettre un formulaire, une photographie, une copie de sa pièce d'identité, etc. Dans l'attente de sa nouvelle carte, il doit demander le remboursement de ses soins de santé à l'aide de formulaires papier, avec toutes les difficultés que cela implique ; il ne peut pas bénéficier du tiers payant, ce qui constitue une circonstance aggravante lorsqu'il souffre d'une ALD ou bien lorsqu'il est bénéficiaire de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C).
Les retards de remboursement, pénalisants pour les étudiants et les professionnels de santé, représentent un autre point préoccupant. Ainsi, 57 % des étudiants qui ont répondu à l'appel à témoignages avaient souffert de difficultés dans ce domaine. La carte Vitale permet d'être remboursé dans un délai de cinq jours ; en son absence, les étudiants sont obligés d'utiliser des formulaires papier et les délais s'allongent. Les réclamations individuelles portent bien souvent sur l'absence de remboursement à la suite de la transmission de ces formulaires. En effet, le caractère automatique des remboursements via la carte Vitale est un système plus efficace. Les étudiants sont donc pénalisés, s'agissant du remboursement de leurs dépenses, à la fois par le retard de leur affiliation et – lorsqu'ils sont affiliés – par celui de la possibilité d'utiliser une carte Vitale. Cela touche également les professionnels de santé qui doivent faire, à la demande des étudiants, de la paperasse supplémentaire, alors que leur relation avec les patients devrait porter sur des questions médicales. En effet, l'étudiant sera obligé de les solliciter pour obtenir des duplicata de prescriptions ou de feuilles de soin égarées par la mutuelle. Certains professionnels de santé refusent d'accorder le bénéfice du tiers payant aux étudiants, compte tenu des difficultés qu'ils éprouvent à obtenir le paiement de leurs prestations de la part des mutuelles. Ce problème est, là encore, particulièrement aigu pour les étudiants atteints d'ALD et les bénéficiaires de la CMU-C.
Enfin, la gestion de ces mutuelles présente des risques particuliers pour les étudiants étrangers ou en formation à l'étranger. Nous recommandons d'assurer le traitement rapide des demandes de cartes européennes d'assurance maladie (CEAM) et, dans l'attente, de délivrer sans délai une attestation provisoire de droits. Nous préconisons également de mettre en oeuvre un dispositif spécifique d'information à l'intention des étudiants étrangers hors Union européenne qui souhaitent s'affilier à la sécurité sociale, compte tenu de la complexité et du coût des démarches qu'ils doivent réaliser à cette fin. Les étudiants français qui partent à l'étranger se heurtent à des difficultés pour obtenir la CEAM ; quant aux étudiants étrangers qui viennent étudier en France, ils doivent se faire immatriculer – c'est-à-dire se faire délivrer un numéro de sécurité sociale – avant de pouvoir s'affilier à la sécurité sociale étudiante. Pour y parvenir, ils doivent traduire des documents, apostiller ou légaliser leur pièce d'état civil ; ces procédures sont longues et complexes, et l'immatriculation de l'étudiant étranger se produit parfois alors qu'il a déjà quitté l'établissement français où il a étudié ! Pendant toute cette période, ces étudiants sont bien entendu en rupture de droits à la sécurité sociale, ce qui est inadmissible.
Ces difficultés en matière d'affiliation et de gestion de ces mutuelles montrent que l'effectivité des droits est loin d'être toujours assurée. Reste à se demander si, en tant qu'usager du service public de la sécurité sociale, l'étudiant affilié à une mutuelle étudiante bénéficie de moins de droits que les autres assurés sociaux. D'abord, contacter sa mutuelle représente une opération pleine d'embûches : les réponses sont insuffisantes et le contrôle des décisions, mal assuré ; les étudiants ignorent de quelles voies de recours ils disposent. Ensuite, l'information des étudiants sur leurs droits à la sécurité sociale n'est pas satisfaisante : l'information institutionnelle est variable et lacunaire ; de plus, on ne peut que s'interroger sur la compatibilité entre la mission de service public confiée à ces mutuelles et les activités marchandes qu'elles sont par ailleurs autorisées à réaliser.
Tout d'abord, les réponses apportées par les mutuelles ne sont pas à la hauteur des attentes des étudiants, tant sur le plan quantitatif – leurs démarches restent trop souvent sans réponse ou non suivies d'effet, l'étudiant ne recevant qu'une réponse automatique – que sur le plan qualitatif. Le constat reste le même quels que soient les moyens de communication utilisés par l'étudiant : appel téléphonique, visite à une agence, courriel ou courrier postal. De nombreux étudiants nous indiquent que leurs interlocuteurs au téléphone disposent d'un accès très limité à leur dossier et ne sont donc pas en mesure de les renseigner. Les échanges de pièces qui s'effectuent entre les étudiants et les mutuelles concernent régulièrement des documents originaux : prescriptions, feuilles de soins, déclaration de médecin traitant. Or lorsque ces derniers sont égarés, il est particulièrement difficile à l'étudiant de prouver leur envoi ; dès lors, il doit s'en procurer de nouveaux, en sollicitant le professionnel de santé. Ainsi, une des mutuelles concernées envoie systématiquement ce courriel aux étudiants qui se manifestent après qu'une première demande de remboursement est restée sans réponse : « Nous vous invitons à bien vouloir patienter pendant un délai de quinze jours. Au-delà de ce délai, si vous ne constatez aucun remboursement de notre part, nous vous invitons à nous faire parvenir un duplicata de vos feuilles de soin, à réclamer auprès du professionnel de santé ayant émis l'original. » Kafka n'est pas loin ! La mutuelle ne remplit pas ses obligations et demande à l'étudiant de faire son travail à sa place. C'est pourquoi nous préconisons, dans notre recommandation n° 7, d'engager une réflexion sur la possibilité de remettre aux étudiants un récépissé sous forme papier ou électronique, attestant des démarches accomplies par téléphone ou par une visite en agence. Il serait souhaitable d'étendre ce récépissé aux envois de demandes de remboursement de soins. Notre recommandation n° 8 – renforcer la formation du personnel des mutuelles étudiantes pour améliorer significativement la qualité des réponses apportées – devrait répondre à cette même difficulté.
Le contrôle hiérarchique ou juridictionnel des décisions prises par les mutuelles représente un autre sujet important. L'information en matière de voies de recours s'avère insuffisante et doit être développée. Dans les régimes de sécurité sociale classiques, tels que le régime général, le régime social des indépendants (RSI) ou la mutualité sociale agricole (MSA), les assurés peuvent saisir une commission de recours amiable au niveau de la caisse, puis le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS). Parmi les étudiants qui ont répondu à l'appel à témoignages, 84 % indiquent qu'aucune information ne leur a été délivrée en matière de voies et délais de recours pour contester une décision de rejet prise par la mutuelle, dont ils auraient fait l'objet. Par ailleurs, il semblerait que les mutuelles étudiantes ne gèrent pas elles-mêmes leurs contentieux, mais les délèguent aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) de leur ressort. Il ne s'agit pas de judiciariser tous les conflits qui peuvent survenir, mais d'informer sur les voies de recours et de créer un dispositif efficace qui permettrait aux étudiants, lorsqu'aucune réponse ne leur est apportée ou lorsque celle-ci n'est pas suivie d'effet ou qu'elle est négative, d'engager une action auprès d'un tiers afin d'obtenir rapidement le traitement de leur dossier. Il faudrait trouver un moyen d'instaurer une médiation.
De même, l'information des étudiants sur leurs droits à la sécurité sociale est particulièrement lacunaire, et quelquefois inexistante. Cela concerne en particulier les nombreux étudiants qui exercent une activité professionnelle parallèlement à leurs études et ceux qui se trouvent en fin de cursus universitaire. La gestion du dossier d'un étudiant à la sécurité sociale étudiante implique plusieurs intervenants : l'université, au moment de leur inscription, les mutuelles, au moment de leur affiliation, les CPAM, tout au long de la période de couverture, et les Urssaf qui sont compétentes pour les remboursements de cotisations de sécurité sociale étudiante. Les difficultés en matière d'information ont principalement été relevées au moment de l'affiliation, en sortie de régime – à la fin des études – et pour les étudiants qui exercent une activité professionnelle.
Tout d'abord, les étudiants éligibles aux aides sociales – telles que la CMU-C ou l'aide au paiement d'une complémentaire santé (ACS) – ne bénéficient pas d'une information suffisante. Ils doivent adresser leur demande de CMU-C à une CPAM qui n'est pas leur interlocuteur habituel ; de plus, compte tenu de la complexité de ces dispositifs, ni les services d'inscription universitaires ni les mutuelles étudiantes ne semblent en mesure d'assurer une information de qualité en la matière. Cette absence d'interlocuteur identifié et compétent représente un facteur aggravant du taux de non-recours à la CMU-C et à l'ACS. Le non-accès et le non-recours aux droits constituent un des chevaux de bataille du Défenseur des droits ; nous essayons de mesurer et de corriger, par une action de promotion, l'écart qui existe entre les droits, le recours aux droits et l'effectivité des droits. Vous rencontrez certainement cette difficulté dans vos circonscriptions.