Au nom du Comité d'évaluation et de contrôle, je remercie à mon tour chaleureusement le Premier président et les magistrats de la Cour des comptes pour ce travail clair et inquiétant qui nous oblige à des actions rapides et efficaces.
Avec, comme cela a été rappelé, 73 000 morts par an, le tabagisme est le premier enjeu de santé publique de notre pays. Première cause de mortalité évitable, il progresse de façon inquiétante parmi les jeunes. Notre action doit donc être plus déterminée, plus cohérente et plus efficace.
Nous sommes en accord total avec l'ensemble des analyses et des propositions du rapport de la Cour. Ce document sera porté en annexe du rapport que nous remettrons en février et qui comportera d'autres éléments issus des auditions, des visites et des observations internationales que nous avons pu réaliser. Au total, ce corpus devra permettre de convaincre l'ensemble des responsables français de l'impérieuse nécessité d'une action volontaire et durable.
Nous sommes aujourd'hui dans le peloton de queue européen. Nous devons revenir dans le peloton de tête que la loi Veil de 1976, la loi Évin de 1991 et les mesures de 2004 nous avaient permis de rejoindre. À chacun de ces moments, la prévalence du tabagisme et la consommation du tabac ont diminué.
Rappelons à cet égard que le risque de surmortalité par infarctus du myocarde cesse dans les jours qui suivent l'arrêt de la consommation de tabac. En d'autres termes, si l'effet sur la mortalité par cancer est bien évidemment différé, l'effet sur les maladies cardiovasculaires est immédiat.
Malheureusement, le relâchement des mesures prises, un certain laxisme, voire un épuisement de certains acteurs, ont entraîné la perte de cohérence et d'efficacité de la politique menée. Pendant ce temps, le lobby du tabac poursuit sa démarche de recrutement de populations supplémentaires.
Il est nécessaire de prévoir le plus tôt possible une grande loi de santé publique consacrant un volet très substantiel à la lutte contre le tabagisme. Ce texte devra permettre, bien entendu, un combat contre toutes les addictions. Mais le tabac est la première d'entre elles et souvent la porte d'entrée vers d'autres addictions. Beaucoup de jeunes deviennent dépendants avant d'atteindre leur centième cigarette. Plus ils ont commencé tôt, plus le sevrage est difficile. Bien souvent, ils commencent ensuite à fumer du cannabis.
Pour aider les Français à se libérer du fléau du tabagisme sans aller jusqu'à la prohibition, il faut mener deux principaux combats.
D'abord la prévention primaire, qui vise à réduire le nombre des jeunes qui entrent dans l'addiction tabagique et pour laquelle le rapport de la Cour préconise toute une série de mesures.
Ensuite l'aide au sevrage. La Cour souligne tout le bénéfice d'une telle démarche non seulement en termes de vies humaines, mais aussi en termes financiers puisque le coût de sa prise en charge est modique. Il faudra donc la mener avec plus de détermination et d'ampleur, à l'instar de la politique qui a permis aux Britanniques d'obtenir des résultats positifs.
J'en viens à mes questions.
Si la Cour mentionne les mesures additionnelles qu'il conviendra de prendre, elle souligne aussi qu'il faut d'abord faire respecter les nombreuses mesures existantes. En effet, le dispositif français n'est pas moins important qu'ailleurs, mais il est moins bien appliqué. L'interdiction de vente aux mineurs n'est guère respectée. Vous l'avez indiqué, un buraliste risque d'être contrôlé par les douanes une fois par siècle. Un réel respect de l'interdiction nécessite des conditions tout autres ! Pourquoi ne pas adopter le principe du « no ID, no sale » – « pas de carte d'identité, pas de tabac » – affiché chez tous les buralistes de Grande-Bretagne ? Trop souvent, l'enfant prend prétexte qu'il vient acheter des cigarettes pour ses parents, ou il ajoute deux ou trois ans à son âge réel. Quel est le point de vue de la Cour des comptes sur la possibilité d'appliquer, en France, une mesure contraignant à présenter sa carte d'identité à chaque achat ?
La Cour souligne la nécessité de faire respecter l'interdiction de la publicité, suggérant même de l'étendre aux lieux de vente. Comment éviter que des dérogations n'affaiblissent le message ?
La Cour met également en évidence une fiscalité à géométrie variable : des taxes différentes s'appliquent aux cigarettes, au tabac à rouler, aux cigarillos, aux cigares. J'ignore les raisons de telles différences, mais cela n'a pas de sens ! Mieux vaudrait une fiscalité unique et claire sur tous les produits dérivés du tabac, étendue d'ailleurs au papier à cigarette dont l'usage, qu'il serve au tabac ou au cannabis, n'a pas à être encouragé.
Enfin, la Cour relève comme nous l'implication insuffisante des professionnels de santé. Face au risque d'épidémie de grippe H1N1, on a voulu vacciner les Français sans impliquer les médecins généralistes et les pharmaciens. Ce fut un fiasco. De même, lutter contre le tabagisme sans impliquer le médecin de famille ne peut que conduire à l'échec.
Il faudrait que chaque patient puisse avoir un entretien avec son médecin au sujet du tabac dans le cadre d'une consultation spécifique. Quelques secondes à la fin d'une consultation pour une autre pathologie ne suffisent pas : il faut y passer du temps et il faut un coaching. Le médecin doit pouvoir expliquer à son patient qu'un échec n'est pas rédhibitoire, par exemple. La plupart des anciens fumeurs ne se sont arrêtés qu'après deux ou trois tentatives, voire davantage. Chacune de ces tentatives ne devrait-elle pas faire l'objet d'une aide financière, pour prendre en charge les moyens du sevrage et donner au médecin le temps de discuter avec son patient, de l'encourager ?