Intervention de Denis Jacquat

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h30
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Jacquat, rapporteur :

Je tiens à remercier Jean-Louis Touraine pour notre coopération qui se traduira par la remise d'un rapport en février. Je remercie également le président Bernard Accoyer qui a saisi la Cour des comptes d'une demande d'évaluation de la politique de lutte contre le tabagisme, et le président Claude Bartolone qui a pris le relais. Le rapport du Comité d'évaluation et de contrôle devra apporter sa contribution à la grande loi de santé publique que nous appelons tous de nos voeux.

Jean-Louis Touraine a dit tout le bien que nous pensions de l'évaluation de la Cour des comptes. Ce rapport à la fois complet et facile à lire comporte des recommandations fortes qui alimenteront notre réflexion.

Il y a, en France, beaucoup de textes réglementaires, mais ils ne sont pas appliqués. Il suffit de voir le nombre de personnes qui fument dans les gares en dépit des messages sonores délivrés par la SNCF ! J'ai même vu des employés en tenue fumer devant les passagers. Par rapport aux pays étrangers, l'application de l'interdiction de fumer dans les lieux publics a chez nous quelque chose de très particulier !

Le rapport souligne également la nécessité de mettre en place une politique de prévention auprès des jeunes. En moyenne, un jeune Français fume pour la première fois à quatorze ans et un mois. Après cent cigarettes, la dépendance s'établit. Jean-Louis Touraine et moi sommes tous deux médecins et nous en connaissons bien les conséquences. De plus, un an après la première cigarette, les statistiques montrent la survenue d'addictions à d'autres produits, en particulier au cannabis. Avec Claude Bartolone et Michel Ghysel, nous avions d'ailleurs effectué une mission d'étude sur ce sujet à l'étranger et nous avions relevé les excellents résultats de la politique néerlandaise.

La Cour dénonce à juste titre la dispersion des acteurs en France. Les 100 millions d'euros consacrés à la lutte contre le tabagisme sont non seulement insuffisants, mais aussi dépensés en vain en l'absence de toute coordination. La nouvelle présidente de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) et plusieurs autres acteurs nous ont confirmé que le tabac entrait dans les compétences de la MILDT. Nous ne voulons pas ajouter au millefeuille existant mais, comme la Cour, nous estimons qu'il faut réfléchir à la gouvernance de la politique de lutte contre le tabagisme.

Un autre point m'a frappé : on sait que 30 % des femmes fument et que cette proportion s'accroît, mais il apparaît aussi que 17 % des femmes enceintes fument. Il faudrait mener une évaluation sur les conséquences du tabagisme au moment de la grossesse de manière aussi complète que pour l'alcoolisme. Les campagnes d'information devront insister sur les dangers que cette addiction présente pour l'enfant à naître.

Une coordination fiscale européenne sur le tabac est bien entendu souhaitable, mais je sais d'expérience que ces processus sont lents. On ne peut s'appuyer sur cette perspective pour résoudre tous les problèmes. Au Luxembourg, pays dont mon département est limitrophe, le paquet de cigarette est vendu 2,20 euros moins cher qu'en France. Les chiffres des ventes légales seront donc toujours tronqués.

Je me rappelle aussi les courriers que le professeur Tubiana nous avait envoyés pour dénoncer la nocivité du tabac à rouler, plus grande encore que celle de la cigarette. Pourtant, dans les supermarchés et les stations-service, le papier à rouler est mis en évidence en tête de gondole et certains clients – en particulier des jeunes – n'achètent que ce produit. On entend souvent dire qu'il y a moins de tabac dans une cigarette roulée, mais c'est ignorer les produits additionnels. Une étude doit être menée pour éviter des pathologies physiques et psychiques très graves.

La politique forte et volontariste que souhaite la Cour des comptes passe également par l'aide au sevrage. À l'heure actuelle, une personne qui souhaite arrêter de fumer a droit à 50 euros, moyennant une ordonnance séparée du médecin. Si l'essai n'est pas concluant – ce qui arrive dans 23 % des cas –, il n'y a pas de deuxième aide. Pour les jeunes et les personnes en situation de précarité, qui sont les plus touchés par le tabagisme, cela signifie qu'il n'y aura pas de nouvelle tentative. C'est pourquoi Jean-Louis Touraine et moi-même recommandons que l'aide se poursuive jusqu'au bout. Lorsqu'une personne a décidé d'arrêter le tabac, l'important est de l'aider au maximum en supprimant les freins financiers.

D'un côté, les taxes sur le tabac procurent une recette de 15 milliards d'euros ; de l'autre, la prévention ne recueille que 100 millions. Il reste des efforts à faire !

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