Intervention de Jean-Louis Deroussen

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jean-Louis Deroussen, président du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales, CNAF :

La branche famille de la sécurité sociale trouve son origine dans le versement d'un sursalaire aux travailleurs ayant des charges de famille. Le but originel des prestations familiales est de garantir, aux couples avec des enfants à charge, un niveau de vie identique à celui des couples sans enfant.

Durant les quarante premières années de son existence, le budget de la branche famille était équilibré, voire excédentaire grâce à la revalorisation des recettes assises sur les salaires et l'indexation des prestations familiales sur les prix. Ces excédents ont permis de revaloriser des prestations, et même d'en créer de nouvelles – la dernière en date étant la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). Les dépenses pouvaient alors être supérieures aux recettes, car l'équilibre financier était rétabli à moyen terme. Au final, la branche famille affichait sur la durée un solde nul.

Dans la mesure où elle était excédentaire, la branche famille a contribué par la suite au financement d'autres branches de la sécurité sociale qui, elles, étaient déficitaires. C'est ainsi qu'elle a financé une succession de dépenses nouvelles et, en premier lieu, celles du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pour le financement de la majoration de pensions pour enfants, d'abord à hauteur de 50 %, puis de 70 %, et enfin à 100 % lorsqu'elle est revenue à l'équilibre. Ainsi, le déficit de 2,6 milliards d'euros de la branche famille correspond au montant qui était à la charge du FSV.

En définitive, si la branche famille n'avait pas connu une progression de ces transferts vers d'autres branches, elle serait encore à l'équilibre. Dans ce contexte, la question fondamentale est de savoir ce que doit financer la branche famille et quels sont ses objectifs. En effet, si elle fait des efforts pour être à l'équilibre, va-t-on lui demander des efforts supplémentaires ? Le financement de la majoration de pensions pour enfants se comprend, mais la branche devra-t-elle contribuer, par exemple, à l'assurance maladie des grands-parents ?

Actuellement, les deux tiers des ressources de la branche proviennent des cotisations assises sur les salaires, le taux de cotisation patronal étant de 5,4 %. Cette construction a un sens pour le conseil d'administration, même si les organisations patronales mettent en avant le poids que représentent les cotisations sociales pour les entreprises et donc sur la compétitivité. Après la tentative de TVA sociale, un autre dispositif devrait être créé. Mais lequel ?

La part d'impôt dans le financement de la branche famille se justifie par le caractère universel des allocations familiales. D'où la légitimité de l'apport de la contribution sociale généralisée (CSG). Toutefois, la branche a vu la part de CSG dont elle était bénéficiaire amputée au bénéfice de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES). En compensation, la CNAF a bénéficié de nouvelles taxes. Au final, où est la lisibilité ? Si les pouvoirs publics assignaient des objectifs clairs à la branche famille, en évitant des changements incessants de financement, celle-ci pourrait construire un système pérenne et revenir à l'équilibre.

Aujourd'hui, la branche famille se caractérise par son universalité et son unicité, même si certaines entreprises telles que les industries électriques et gazières, la SNCF et la RATP, dont le taux de cotisation est inférieur au droit commun, continuent à gérer les prestations de leurs bénéficiaires. Cela dit, le taux de cotisation des premières passera de 5,2 % à 5,4 % au 1er janvier 2013.

Un des objectifs de la branche famille est de favoriser une meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Pour autant, les foyers dont les revenus sont très élevés ont-ils réellement besoin de 120 euros tous les mois au titre des allocations familiales ? La branche famille doit-elle privilégier les familles pauvres, sachant qu'il existe des prestations sous condition de ressources ? Au sein du conseil d'administration de la CNAF, certaines organisations syndicales de salariés prônent une action sociale concentrant les aides sur les familles les plus vulnérables, d'autres préconisent de conserver le caractère universel de la branche. Ces questions méritent d'être posées au regard de la fixation des orientations et du financement de la branche famille.

Pour notre part, nous souhaitions la création d'un conseil d'orientation des politiques familiales, qui aurait permis avec l'ensemble des acteurs – parlementaires, associations familiales, etc. – de définir les orientations de la politique familiale. Finalement, c'est un Haut Conseil de la famille qui a été installé, dont l'action est davantage axée sur la dimension financière.

Dans ce contexte, le conseil d'administration de la CNAF prend acte des évolutions. Certes, nous avons accueilli favorablement la revalorisation de 25 % de l'allocation de rentrée scolaire (ARS), car cette dépense de 386 millions d'euros est destinée à améliorer la situation des familles. Néanmoins, son versement à l'ensemble des familles concernées est-il la bonne solution ? Ne conviendrait-il pas d'adapter les sommes versées au coût réel de la scolarité, qui diffère entre un jeune scolarisé dans un lycée professionnel par rapport à un élève de primaire qui va à l'école de son quartier et pour lequel les parents ont moins de frais en termes de déplacements, de restauration scolaire et d'hébergement ? En la matière, nous souhaiterions être associés aux orientations qui sont prises plutôt qu'être mis devant le fait accompli.

La compétitivité des entreprises sera améliorée, nous dit-on, si les cotisations assises sur les salaires, qui représentent 66 % des recettes de la branche famille, sont supprimées. N'oublions pas néanmoins que les petites entreprises bénéficient d'ores et déjà d'une exonération, compensée par l'État. Aussi la suppression du principe des cotisations, et donc la suppression des compensations d'exonérations par l'État, aura-t-elle pour conséquence de faire supporter par les familles – probablement par la CSG ou d'autres taxes – ce que les entreprises ne payent plus. Pour la CNAF, le fait que les entreprises soient parties prenantes dans le financement de la branche famille à tout son sens. En effet, au travers des prestations financières et des aides à la parentalité, en particulier en matière d'accueil des jeunes enfants, la politique familiale permet aux salariés de concilier vie professionnelle et vie familiale.

Enfin, dans son rapport d'étape de novembre 2012, la Cour des comptes parle d'un « financement brouillé » de la branche famille. Pour ma part, je dirai qu'il est plutôt obscur au vu des éléments que je viens de souligner.

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