Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames, messieurs les députés, il vous revient aujourd'hui d'apprécier si je peux remplir une mission dont je mesure toute la responsabilité au service de notre pays. Je me réjouis que cette procédure, appliquée pour la première fois s'agissant de la Banque de France, donne des garanties de transparence et de contrôle qui confèrent ensuite à un mandat davantage de légitimité et d'impartialité. Je crois à la démocratie et au respect de nos institutions. Voilà pourquoi j'ai décidé depuis la proposition du Président de la République de réserver aux parlementaires et à eux seuls mon intervention ainsi que les réponses à vos questions légitimes, sereinement. Cette règle n'a pas toujours été facile à suivre ces dernières semaines mais elle s'imposait. Je suis donc heureux que le temps de cette audition soit venu. Je voudrais commencer, vous le comprendrez, par un volet personnel avant d'en venir aux missions de la Banque de France et à la première vision que j'en ai.
Pour apprécier mon aptitude à cette fonction, vous avez à juger d'une personne, de sa compétence et de son indépendance.
Sur la personne, pour aller au-delà de certaines étiquettes parfois hâtivement collées, puis-je simplement vous donner deux ou trois éclairages sur mon histoire ? Je suis un homme de l'Est, né à Strasbourg et dont les racines familiales sont depuis longtemps en Sarre, autrefois terre française et aujourd'hui de l'autre côté de la frontière. Nous avons choisi de toujours rester français : ceci crée un lien encore plus profond avec mon pays. Et je suis en même temps un Européen de conviction et de pratique, en Allemagne ou plus récemment en Italie.
Je suis avant tout un homme de service public. J'y ai déjà consacré vingt ans de ma vie professionnelle, marqués notamment par deux grands engagements : la construction de l'Union économique et monétaire, à Paris et à Bruxelles ; la réforme de la direction générale des impôts, que j'ai eu l'honneur de diriger. En 2003, quand je suis allé en entreprise, j'ai dit que c'était pour moi « une autre façon de servir notre pays et la force de son économie ». L'expression a paraît-il surpris des deux côtés de la frontière entre service public et entreprise et je persiste à penser qu'il ne faut pas opposer à l'excès ces deux mondes. J'ai appris à bien connaître les entrepreneurs mais tous ceux qui me connaissent savent que l'intérêt pour la chose publique ne m'a jamais quitté.
J'espère être un homme de convictions. Sans prétendre donner de leçons, avec humilité, je crois à la responsabilité sociale, de chacun mais d'abord des dirigeants y compris économiques. Je crois à l'éthique, y compris en matière financière : j'ai toujours dit ce que je pensais des excès de la finance et de certaines rémunérations ; je me suis engagé pour le développement du microcrédit et de l'entrepreneuriat social. Je crois au débat d'idées et au dialogue entre des personnes respectueuses de leurs différences. Ce dialogue est aujourd'hui pour notre pays, avec toutes ses peurs et le drame du chômage, le défi le plus difficile à relever – vous le ressentez plus quotidiennement encore que moi.
Sur mes compétences, la question n'est évidemment pas d'inventer une querelle entre les inspecteurs et les docteurs. C'est plutôt la variété de mon parcours professionnel – aussi construit autour d'une continuité d'engagement – qui m'a bien préparé pour cette mission. Outre mes connaissances européennes et en économie – j'ai aussi enseigné dix ans celle-ci –, il y a trois savoir-faire spécifiques que j'ai davantage développés, y compris à travers mon expérience bancaire : le management de grandes équipes et d'un réseau ; la connaissance du terrain, des entreprises, en particulier les PME, et de leur financement ; le sens de la pédagogie sur des sujets rapidement trop techniques. Le rapport que j'ai remis fin août sur le financement de l'investissement montre, je l'espère, cette valeur ajoutée.
Cela m'amène à la dernière question personnelle : ce plus de compétence risque-t-il d'entraîner un moins d'indépendance ?
Cette question de l'indépendance est naturellement légitime, et je l'ai prise très au sérieux. J'ai voulu d'abord garantir qu'il n'y aurait jamais de situation de conflit d'intérêts, telle que vous l'avez définie à l'article 2 de la loi de 2013 sur la transparence de la vie publique : que jamais ne puisse exister un intérêt privé « de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif » de mes responsabilités. Après avoir examiné le plus rigoureusement possible l'ensemble des dispositions existant en droit français, comme je le précise dans la lettre que j'ai tenu à vous faire parvenir, monsieur le président, dès le 9 septembre, j'ai décidé de n'avoir plus aucun intérêt ni présent ni différé dans BNP Paribas ni dans aucune autre banque ou institution financière. Pour cela, j'ai renoncé définitivement à tous mes droits financiers.
Les décisions individuelles concernant les grandes banques ont été significativement réduites par le transfert de leur surveillance à Francfort depuis le 1er novembre dernier. Je m'engage cependant, à titre de précaution supplémentaire, à ne participer à aucune décision individuelle d'aucune sorte concernant BNP Paribas dans les deux ans suivant mon départ.
L'indépendance, c'est plus que cette absence de tout conflit d'intérêts. C'est veiller à ce que la réglementation collective du secteur – banques et assurances – soit toujours prise en fonction de l'intérêt général. J'ai lu parfois que je risquais d'être prisonnier de la finance si j'étais nommé. C'est extrêmement mal me connaître : j'ai mes limites, comme chacun, mais je suis un homme libre et je suis un homme droit. Et donc je déciderai en fonction seulement de ce que je crois être bon pour notre pays et son économie. Je m'appuierai pour cela sur l'expertise forte des équipes de la Banque de France et sur ce que je connais du secteur – je crois que c'est un atout. L'exemple des pays étrangers montre combien cette expérience peut apporter pour des banquiers centraux.
L'indépendance, pour conclure sur ce point essentiel, ce sont des règles – les plus rigoureuses possible – mais aussi un caractère et une éthique. C'est sur ces trois composantes que vous apprécierez la confiance à m'accorder et, si vous le faites, ce sont ces trois composantes – des règles, un caractère, une éthique – que j'aurai ensuite à appliquer chaque jour pour défendre le bien commun qu'est la monnaie. Cela m'amène aux missions.
Ces missions s'exercent bien sûr dans le contexte nouveau créé par l'euro, depuis seize ans, et l'Union bancaire depuis l'an dernier. La Banque de France joue toutefois toujours un rôle essentiel pour l'économie française et européenne. Je ne prétendrai pas aujourd'hui vous en donner déjà une lecture achevée et je serais heureux dans l'avenir d'avoir sur ces sujets un dialogue aussi fréquent et complet que possible avec votre commission.
Je résumerai ma vision des missions de la Banque de France autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire ; le service économique pour la collectivité nationale ; la stabilité financière pour une meilleure prévention des crises.
La stratégie monétaire, d'abord. L'euro – on l'oublie parfois – repose sur un système fédéral efficace composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales. De cet « eurosystème », la Banque de France est le pilier français. Elle a donc tout son rôle à jouer : d'abord en amont, dans les débats et décisions de politique monétaire qui appartiennent au Conseil des gouverneurs ; ensuite en aval, dans la réalisation des opérations qui lui incombent pour notre territoire ainsi que la monnaie fiduciaire – les billets. Je crois que la politique monétaire active aujourd'hui menée avec Mario Draghi est la bonne pour tendre vers une inflation proche de 2 %. Elle est nécessaire aussi pour soutenir la croissance, même si elle ne peut y suffire. Il faut des réformes dans chaque pays, dont le nôtre ; il faut un renforcement de la zone euro ; et il ne faut pas renoncer à l'ambition d'un meilleur ordre monétaire mondial. Notre monnaie, ce sont bien sûr les règles des traités mais c'est à mes yeux beaucoup plus qu'un outil technique : une bonne monnaie comme l'euro doit porter pour nos concitoyens des valeurs essentielles de confiance et de justice. Au titre de cette stratégie monétaire, je veux aussi poursuivre l'ambition incarnée par Christian Noyer d'une Banque de France en position de leadership européen, en particulier sur les opérations de marché ou les moyens de paiement.
Le service économique à la collectivité nationale, ensuite. À ce titre, la Banque de France doit d'abord apporter, notamment aux élus, le meilleur diagnostic possible sur la conjoncture, la situation des entreprises, les financements en soutien du développement. Elle doit rendre des services concrets aux particuliers, à commencer par les plus défavorisés, dans le traitement du surendettement, l'accès aux comptes bancaires, la protection et l'éducation financière des consommateurs. Et elle est de même au service des PME, à travers la cotation et la médiation du crédit. Ces missions de service économique s'ancrent très heureusement sur le terrain : je compte aller dans chacune des nouvelles régions dans la première année de mes fonctions pour rencontrer les équipes de la Banque mais aussi les acteurs publics et privés dans les territoires. Cet ancrage éclaire en retour la stratégie monétaire : la Banque de France a, si je puis dire, cette grande chance d'avoir la tête dans l'Europe et les pieds sur le terrain et je vise à développer encore ce lien.
Enfin, troisième objectif, la stabilité financière. Cette mission s'est évidemment renforcée depuis la crise financière et ses ravages. Elle a son volet individuel pour garantir la sécurité de l'épargne : la supervision des assurances et des banques, avec pour les principales de celles-ci le grand progrès de l'Union bancaire. Un système financier sain sert notre pays. La stabilité financière exige aussi un volet collectif : le renforcement de la réglementation financière et la surveillance des risques d'enchaînement dits « macroprudentiels ». Un travail complexe, considérable, indispensable a été mené depuis 2009 à Bâle, à Bruxelles, à Paris. Des deux bords opposés, ce travail est souvent critiqué, mais excessivement : les règles du jeu n'ont objectivement plus grand-chose à voir avec celles de l'avant-crise ; les banques ont dû renforcer leurs protections. À l'inverse, Bâle III ne pèse pas aujourd'hui à mon sens sur la croissance. Nous devons cependant rester très vigilants pour l'avenir. Cela suppose notamment dans les discussions de Bâle une présence active de la France comme de la zone euro qui partage en général le même modèle de financement par des banques intégrées.
Stratégie, service, stabilité : voici le triangle fondateur des missions de la Banque de France, un triangle dynamique, puisque chacune des missions nourrit les deux autres.
Encore faut-il pour cela deux conditions transversales du succès, par lesquelles je voudrais conclure.
La première est de contribuer encore davantage au débat économique rigoureux dans notre pays. Nos défis sont immenses. Notre culture économique collective passe pour être faible ; nos affrontements sont souvent stéréotypés ; nos cloisons sont trop étanches entre responsables publics, entrepreneurs, recherche économique. Notre pays a pourtant une communauté d'économistes parmi la plus reconnue au monde. La Banque de France a en son sein beaucoup de talents et de données pour nourrir avec toute cette communauté extérieure l'éclairage des problèmes et la recherche de leurs solutions. Je m'engagerai en ce sens.
La seconde clef du succès, ce sont les équipes elles-mêmes de la Banque de France et leur management. Ce sont aujourd'hui 12 000 hommes et femmes très attachés à leur métier et reconnus partout pour leur fiabilité et leur professionnalisme. La moitié est hors des services centraux, dans le réseau essentiellement ou à la fabrication des billets. La Banque est engagée, vous le savez, dans un plan résolu d'adaptation de ce réseau, qui combine efficacité et visibilité dans chaque département. Mais au-delà, il y a, me semble-t-il, un bel horizon de management : la Banque de France peut être, au sein du service public, exemplaire dans la transition des générations, la modernisation de ses méthodes de travail, l'ouverture de sa culture.
La Banque de France peut regarder l'avenir avec ambition parce qu'elle est forte de son nom et de son histoire mais, plus encore, parce que ses missions en font un instrument exceptionnel au service d'une monnaie fiable et plus largement d'une croissance saine et d'un emploi durable. Telles sont, je vous le promets, les finalités qui m'animeront si vous me confiez cette responsabilité pour notre pays.