Monsieur Villeroy de Galhau, ne voyez dans mes propos rien de personnel : il n'est pas dans mes intentions de remettre en cause votre expérience et votre expertise, qui est bien réelle. De nombreux économistes ont signé une tribune contre votre nomination à la tête de la Banque de France en mettant en avant les risques de conflits d'intérêts et les problèmes d'indépendance à l'égard du secteur financier. Mes questions porteront sur ces enjeux.
La question du conflit d'intérêts se pose bel et bien. La nomination d'un banquier à cette fonction serait une première depuis la Libération – mais cela n'aurait peut-être pas posé problème si BNP n'avait pas été privatisée en 1986 puisqu'elle aurait appartenu au secteur public. Depuis les années cinquante, les Américains eux-mêmes s'interdisent de nommer un dirigeant de banque à la tête de la banque centrale américaine. Paul Volcker est ainsi resté dix ans dans un sas de décontamination après avoir été économiste à la Chase Manhattan Bank. À la BCE, la nomination d'un ancien banquier privé n'a pu s'effectuer qu'après un sas de longue durée : neuf ans et non pas six mois.
Autre enjeu : les pouvoirs du gouverneur de la Banque de France. Vous avez indiqué dans la lettre qui nous a été transmise que vous n'interviendriez pas dans les opérations de supervision concernant BNP Paribas. Or, le gouverneur préside le conseil de supervision. Soit vous êtes gouverneur de la Banque de France, soit vous ne l'êtes pas. Il me paraît impossible qu'en cas de conflit, le gouverneur ne puisse intervenir si BNP Paribas est en cause. L'indépendance souffre d'un doute, comme l'ont souligné certains économistes.
Ma troisième question portera sur le processus de désignation. Votre nomination est intervenue après un sas dit de décontamination, formule malheureuse parce que qui dit décontamination dit contamination. Il y a un vrai problème, monsieur Villeroy de Galhau, qui ne tient pas à votre personne mais à votre parcours qui vous a vu passer des cabinets ministériels à une banque privée pour arriver à la Banque de France. On ne pourrait voir meilleure illustration des effets de l'entre-soi et de la prise de pouvoir de l'oligarchie financière.
Enfin, pour ma dernière question, j'aborderai un point plus précis : les prêts Helvet Immo libellés en francs suisses. Conçus par des cadres de Cetelem alors que vous en étiez, je crois, le dirigeant, ils ont été commercialisés par BNP Paribas Personal Finance entre 2008 et 2009 via des intermédiaires en opérations bancaires ou des conseillers en gestion de patrimoine indépendants. Ils ont eu des effets désastreux, faisant la bagatelle de 6 000 victimes, et font actuellement l'objet d'une enquête menée par Mme Thépaut, juge d'instruction. Il arrive que la Cour de cassation ou la Chancellerie demandent l'avis de la Banque de France sur des questions techniques. Le gouverneur Villeroy de Galhau va-t-il être amené à apprécier le travail réalisé sous la direction du banquier Villeroy de Galhau ?