Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du 29 septembre 2015 à 14h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau :

Je vous remercie de ces questions que je regrouperai, si vous me le permettez, en trois catégories : les questions personnelles portant sur ma motivation, mon statut et l'éventuel conflit d'intérêts : la supervision et le fonctionnement de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans le contexte de l'Union bancaire ; les missions de la Banque de France, en particulier la titrisation, la politique monétaire, l'architecture de la zone euro.

Je commencerai par les questions personnelles, en évacuant tout de suite une expression que nombre d'entre vous ont dit de ne pas aimer : « sas de décontamination ». Cette expression, je ne l'ai jamais employée. Si j'ai décidé de quitter BNP Paribas alors que cette mission à la Banque de France était une possibilité et non une certitude, bien évidemment, c'était pour être un homme libre et pour rendre un service utile à travers ma mission sur le financement de l'investissement et le rapport que j'ai pu remettre. Ce rapport montre – mais on est sans doute mauvais juge de ses propres oeuvres – ce que je peux apporter de connaissance du terrain et d'indépendance par rapport aux banques. Certains de ses éléments ne plaisent pas forcément à la profession bancaire, qu'il s'agisse de mes remarques sur les difficultés qui demeurent en matière de crédits aux PME ou de l'appréciation selon laquelle Bâle III ne pèse pas sur la croissance, contrairement aux craintes que la profession a exprimées. J'ai essayé de dire à chaque fois ce que je crois juste en me nourrissant de ma compétence.

La question de l'indépendance et du conflit d'intérêts ne se règle pas à travers cette période de mission mais à travers les engagements que je veux prendre vis-à-vis de vous.

Vous m'avez demandé, monsieur Lefebvre, quelle motivation m'animait. Je crois qu'elle est assez simple : c'est le service de mon pays, motivation qui vous anime tous ici. Petite remarque personnelle : nous vivons dans un pays qui décourage beaucoup le service public. Quand vous êtes en entreprise – période qui n'a représenté qu'un tiers de ma carrière, j'ai rappelé à quel point j'étais ancré dans le service public –, vous n'êtes pas scruté par les médias et vous gagnez votre vie relativement confortablement, même si j'ai essayé de m'appliquer une modération. Le jour où vous décidez de lâcher cette vie pour vous remettre au service de votre pays, avec les aléas que cela comporte – et ils étaient nombreux dans mon cas –, les ennuis commencent. Je sais que beaucoup d'entre vous ont vécu cela. Une telle désincitation à servir son pays est sans doute regrettable pour notre démocratie.

Monsieur de Courson m'a demandé quel était mon statut actuel. Je n'ai plus aucun lien avec BNP Paribas, j'ai démissionné de toutes fonctions dans cet établissement. Par ailleurs – et je ne l'ai pas fait de gaîté de coeur –, j'ai dû démissionner de l'inspection des finances en 2013 car la période de mise en disponibilité de dix ans permise par les règles de la fonction publique était arrivée à échéance. Aujourd'hui, je ne perçois aucune rémunération et je n'en ai reçu aucune pour ma mission. Je n'ai de contrat ni public ni privé. Je précise enfin pour que les choses soient tout à fait claires que j'ai besoin des revenus du travail pour faire vivre ma famille : je ne vis pas de mes rentes.

J'en viens à la deuxième catégorie de questions : la supervision et le fonctionnement de l'ACPR dans le contexte nouveau créé par l'Union bancaire. Celle-ci a transféré au mécanisme de supervision unique présidé par Mme Danièle Nouy la supervision des principales banques françaises, qui représentent environ 90 % du secteur bancaire français. La décision en la matière appartient, à la suite des missions d'inspection, au collège de supervision unique, collège de la zone euro où siège non pas le gouverneur de la Banque de France mais le sous-gouverneur, lui-même indépendant car nommé par décret en Conseil des ministres.

Pour ces grands groupes bancaires, les missions sont conduites par des équipes regroupant plusieurs nationalités qui comprennent, pour les groupes bancaires français, des inspecteurs de l'ACPR. Ceux-ci sont placés sous la responsabilité d'un coordonnateur européen, qui n'est pas de nationalité française et qui a autorité sur ses équipes pour la conduite des missions d'inspection. Pour BNP Paribas, le transfert de la supervision s'est traduit de manière très claire : l'interlocuteur responsable de la supervision a changé du jour au lendemain au début du mois de novembre 2014.

Je n'interviendrai évidemment pas dans le déroulement de ces missions d'inspection concernant BNP Paribas. Madame la rapporteure générale, je ne crois d'ailleurs pas que le gouverneur soit en position de prendre des décisions individuelles concernant la carrière de ces inspecteurs, qui relève de la hiérarchie de l'ACPR. L'engagement que j'ai pris vis-à-vis de vous s'applique de façon extrêmement claire : je ne compte intervenir ni de près ni de loin dans les affaires concernant BNP Paribas.

J'ai bien compris que ceci suscitait une question presque symétrique : s'abstenir d'intervenir ne crée-t-il pas un problème de fonctionnement ? Je reviendrai sur la genèse des engagements que j'ai pris dans la lettre que je vous ai adressée le 8 septembre, monsieur le président. Je me suis fondé sur l'ensemble des dispositions qui existent en droit français en matière d'indépendance et de conflit d'intérêts et je les ai cumulées de la façon la plus rigoureuse possible. Pourquoi ai-je proposé cette règle d'abstention des deux ans ? Parce qu'à l'article L. 612-10 du code monétaire et financier, il est prévu au sein du collège de l'ACPR une abstention de deux ans en cas d'intérêts passés. Pour certains, il s'agit d'une interprétation extrêmement rigoureuse mais je n'ai pas voulu laisser la moindre place au doute. Cette période, je l'applique à l'ensemble des décisions individuelles prises au niveau de la Banque de France et non pas simplement au niveau de l'ACPR, soit jusqu'au 1er mai 2017.

Deuxième précision pratique qui répond à l'interrogation de Mme Sas : le fonctionnement actuel de la Banque de France fait qu'il y a très peu de décisions individuelles concernant une banque qui relèvent du gouverneur. Je l'illustrerai en évoquant la supervision. Le gouverneur préside le collège de l'ACPR où sont examinées les décisions collectives ; il ne préside pas les deux collèges spécialisés où sont examinées les décisions individuelles : le collège pour les banques, présidé par le sous-gouverneur Robert Ophèle, le collège pour les assurances, présidé par le vice-président de l'ACPR. Il ne participe pas non plus à la commission des sanctions, qui elle est présidée par un conseiller d'État. Qu'il se soit engagé ou non à s'abstenir comme je l'ai fait, le gouverneur n'est donc pas en situation de prendre des décisions individuelles.

Les autres décisions de la Banque de France – opérations avec les établissements, limites de risques – sont toutes enserrées par des procédures fixées par le comité des risques présidé par l'autre sous-gouverneur et sont conduites par la direction générale des opérations.

En pratique, Christian Noyer n'a pas eu ces dernières années à prendre de décisions individuelles concernant BNP Paribas, à une exception près, qui est celle du contentieux américain. Je précise tout de suite que lorsque j'étais à BNP Paribas, je n'ai jamais été mêlé en quoi que ce soit à ce contentieux : ni à l'époque des faits, en 2005-2007 – période à laquelle je n'étais pas membre du comité exécutif –, ni pendant les négociations avec les autorités américaines, ni ensuite lors de l'application des sanctions. Si par extraordinaire un événement exceptionnel de ce type devait se reproduire pour BNP Paribas d'ici au 1er mai 2017, je ne m'en occuperais pas ; l'un des deux sous-gouverneurs s'en chargerait avec toute l'autorité nécessaire. Vous voyez qu'il s'agit de circonstances exceptionnelles, dont on peut souhaiter qu'elles ne se reproduisent pas.

J'en arrive à la troisième catégorie de questions sur les grands enjeux de la politique monétaire et financière.

Madame la rapporteure générale, s'agissant de la titrisation, je ne voudrais pas qu'il y ait la moindre ambiguïté. Je partage l'inquiétude dont vous avez fait état. Il est hors de question que la France ou l'Europe encourage en quoi que ce soit quelque chose qui ressemblerait aux titrisations et à leurs dérives telles qu'on les a connues aux États-Unis avant 2007. La crise financière a fait des ravages, je l'ai dit dans mon intervention liminaire. Il faut faire preuve d'une grande vigilance : tout ce qui s'apparente à un discours de retour à la situation antérieure m'est aussi insupportable qu'à vous. Cependant, comme je l'ai souligné dans mon rapport, une titrisation différente, sécurisée, peut constituer un outil utile pour le financement de notre économie et de nos entreprises.

Je soulignerai deux points. D'abord, la titrisation européenne n'a pas connu en 2007 les graves dérives de la titrisation américaine – il s'agit cependant d'un simple enseignement historique, qui ne saurait constituer une garantie pour l'avenir. Ensuite, cette garantie pour l'avenir passe par l'application de règles fortes pour encadrer une éventuelle titrisation. Les banques centrales ont mené des discussions, à Bâle notamment, sur ce que l'on appelle les critères STS – simples, transparents et standardisés – destinés à éviter toutes dérives futures. Je n'entrerai pas dans le détail, monsieur le président, me contentant de citer trois différences essentielles avec la titrisation des années 2000.

Première différence : les banques ayant regroupé les créances titrisées doivent conserver pour elles une partie du risque. Nous savons tous qu'aux États-Unis, des « origineurs » ont transféré la totalité du risque à des personnes qui ont acheté les actifs les yeux fermés. Permettez-moi ici de vous recommander un ouvrage, Le Casse du siècle du journaliste américain Michael Lewis, qui retrace l'histoire de la titrisation aux États-Unis. Cela se lit comme un roman même si, malheureusement, ce n'est pas de la fiction.

Deuxième différence : la nécessité de disposer d'informations sérieuses et d'une notation sérieuse des créances titrisées – nous savons tous que les agences de notation n'ont pas fait complètement leur travail, même si des informations abusives leur ont été transmises.

Troisième différence : l'absence de titrisation synthétique ou de produits complexes. Je ne sais pas si vous vous souvenez du sinistre CDO2, produit américain reposant sur une titrisation de titrisation aboutissant à faire perdre totalement le contact avec la vie réelle et les crédits sous-jacents. La titrisation qui peut être acceptée en Europe, dans des conditions très encadrées, doit être une titrisation de premier degré, où le sous-jacent est connu, qu'il s'agisse de crédits immobiliers ou de crédits aux PME.

À ces conditions très strictes – et le débat réglementaire est devant nous –, la titrisation peut être un outil parmi d'autres pour faciliter le financement des PME puisqu'elle permet de faire de la place aux crédits aux PME au sein des bilans des établissements bancaires. L'un de vous a évoqué le contentieux entre banques américaines et banques européennes à Bâle. Je peux lui indiquer que l'absence totale de titrisation serait de nature à pénaliser les banques européennes par rapport aux banques américaines.

J'en viens à la question de M. Mariton sur les débats de politique monétaire. Je crois qu'il y a un écart négatif entre la force de notre communauté économique, au sens large, et le fait que les débats qui l'animent ne parviennent pas jusqu'au grand public, ne bénéficient pas assez aux décideurs publics comme privés et ne sont pas assez présents en Europe et sur la scène internationale, même si la recherche économique menée par la Banque de France est de mieux en mieux connue en Europe. Il y a une expression que j'apprécie comme nombre d'entre vous, c'est celle de « pédagogie économique ». Il est important que la richesse des données et des analyses de la Banque de France, l'éclairage qu'elle apporte sur les débats en cours et les solutions soient beaucoup plus accessibles et à l'opinion publique et aux décideurs. De ce point de vue, nous avons une marge importante. Il faut sans doute accepter d'ouvrir un peu plus le débat et faire en sorte que les notes ne soient pas uniquement destinées au public scientifique.

Je reconnais ne pas avoir de PhD en économie parmi mes diplômes d'origine mais je crois avoir une certaine compétence en ce domaine : j'ai enseigné cette discipline pendant dix ans, j'ai publié un ouvrage intitulé Dix-huit leçons sur la politique économique : à la recherche de la régulation qui s'est très correctement vendu. La question n'est pas celle du diplôme. Il faut sur l'économie pouvoir mêler pratique du terrain et éclairage théorique et à cet égard, je pense ne pas être trop mal équipé.

Je terminerai par la question de M. Giraud sur l'architecture institutionnelle. Je partage très largement les préoccupations qui sont les siennes. Je ne pense pas être trop mal équipé non plus pour les discussions dans le cercle européen. Je dispose en effet d'un atout historique : en décembre 1991, j'ai fait partie des négociateurs du traité de Maastricht aux côtés du ministre des finances de l'époque. Entendons-nous bien, je ne dis pas que ce texte est parfait : heureusement, certaines améliorations lui ont été apportées. C'est en tout cas une expérience que je compte allier à mes connaissances économiques.

Je vous rejoins, monsieur le député, quand vous dites qu'un renforcement institutionnel est nécessaire. Mario Draghi a eu l'occasion de le dire et même de l'écrire dans ce que l'on appelle le « rapport des cinq présidents » publié au printemps dernier. Je crois que nous pouvons faire certaines choses très vite sans modifier les traités. Je pense à l'existence d'un trésor européen et au renforcement de l'eurogroupe. À côté des difficiles discussions sur l'union budgétaire, qui doivent avancer, je crois à un projet que j'ai appelé l'union de financement et d'investissement, qui reposerait sur une mise en synergie du plan Juncker, de ce que la Commission européenne appelle, à mon sens de manière inadéquate, l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire. Nous pouvons ensemble mieux mobiliser les financements privés au service des entreprises, de l'investissement et de l'innovation en Europe. C'est aussi un projet qui ne nécessite pas de modification de traités et qui peut renforcer la zone euro et la croissance.

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