Intervention de Annick Girardin

Réunion du 8 septembre 2015 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Annick Girardin, secrétaire d'état au développement et à la francophonie, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international :

Depuis au moins deux ans, je m'occupe non seulement de la francophonie, de la coopération et du développement, mais aussi de la problématique climatique, qui concerne d'ailleurs nombre de pays francophones vulnérables.

Je voudrais souligner d'emblée que francophonie et développement vont de pair, car beaucoup de pays francophones sont en voie de développement. Ces compétences sont donc heureusement réunies dans mon portefeuille. À titre personnel, je peux dire que la francophonie est inscrite dans mon ADN de Française d'Amérique du Nord, originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon. Trop souvent, les Français rechignent à se présenter comme des francophones. Cela contribuerait pourtant à modifier le regard sur la francophonie et à changer notre manière de la faire partager. Vous comprendrez que j'ai, pour ma part, une grande foi en elle.

La francophonie se définit d'abord comme une aire culturelle qui s'étend sur les cinq continents et qui rassemble des femmes et des hommes de tous les horizons, par le partage d'une langue et des références culturelles communes. C'est un élément essentiel de diversité dans un monde qui se referme et tend parfois malheureusement à l'uniformisation.

Elle constitue également un facteur essentiel du rayonnement de la France dans le monde, facteur ancré dans l'héritage des Lumières bien plus que dans celui de la colonisation. Un des axes majeurs de l'action du Gouvernement consiste à tourner définitivement la page de la « Françafrique » ; aujourd'hui, nous travaillons avec des partenaires francophones.

La francophonie, c'est aussi un atout pour tous les pays qui appartiennent à cette grande famille – atout culturel, économique et politique. Des jeunes que j'avais rencontrés peu après ma nomination ne voyaient en elle qu'une vieille dame ringarde ; la vision que je veux faire vivre est, au contraire, celle d'une francophonie utile. Avec la nouvelle secrétaire générale de l'OIF, dans le sillage et la dynamique du sommet de Dakar, nous devons nous mobiliser sans relâche pour la préserver et la développer. Notre défi, c'est de nous appuyer sur la société civile, sans nous désengager, comme beaucoup ont tendance à nous le reprocher.

Je vais maintenant vous exposer les orientations politiques et les quatre priorités que j'ai données concernant la langue française et les organismes qui lui sont consacrés.

Je commencerai par le développement de notre effort en faveur de l'apprentissage de la langue française à l'étranger. C'est un axe majeur. L'horizon des 700 millions de locuteurs francophones en 2050, dont 85 % en Afrique, ne sera pas atteint sans d'énormes efforts. Ils ne doivent pas se faire au détriment de la qualité de l'enseignement du français, qui fait l'objet de plusieurs programmes, tel « 100 000 professeurs pour l'Afrique » engagé depuis 2014. La qualité doit, en effet, primer la quantité.

Ces efforts relèvent des organismes sur lesquels porte votre mission, mais aussi de l'AFD, que j'entends bien inclure dans la comptabilisation des efforts consentis en faveur de la francophonie. Ses interventions en faveur de l'éducation ont représenté plus d'un milliard d'euros entre 2000 et 2015, en grande partie au bénéfice des pays d'Afrique subsaharienne francophone et, je le souligne, largement sous forme de subventions. Je pense aussi au réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), dont les effectifs ont augmenté de 50 % en vingt ans, ainsi qu'à la Mission laïque française.

Notre deuxième axe est la poursuite de notre politique de rayonnement culturel. Elle s'appuie sur le réseau des Instituts français et des Alliances françaises et sur nos médias internationaux – France 24, RFI, TV5 –, qui contribuent à consolider le statut de langue internationale du français.

Au-delà de ce réseau, la francophonie permet aussi de faire entendre dans les enceintes internationales une voix forte, qui porte des valeurs communes, une voix qui peut faire la différence. C'est le cas aussi bien dans les combats pour la paix, par exemple sur les Objectifs de développement durable que nous adopterons à New York à la fin de ce mois, que dans les négociations sur le climat.

Placée sous présidence française, la préparation de la vingt et unième conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) a fourni l'occasion d'une coopération avec les pays francophones, en vue de définir des positions communes. Ils en viennent ainsi à adopter un positionnement qui doit être compris comme étant complémentaire de leurs autres appartenances, et non en opposition avec elles. Ainsi, l'action francophone dépasse le cadre simple de la place de la langue française dans les instances internationales pour embrasser une ambition francophone plus large.

Il n'en demeure pas moins que nous nous fixons pour objectif de mettre à disposition une traduction à la demande pour les travaux de la COP21, de sorte que chacun puisse participer aux pourparlers dans sa langue. À la COP20 qui s'est tenue à Lima, l'interprète qui appartenait à la délégation française a dû également travailler pour cinq délégations africaines, car, hors des séances officielles organisées par les Nations unies, aucun dispositif d'interprétation n'était prévu pour les très nombreuses rencontres en marge de la conférence. Sur ce point, la France se devra d'être irréprochable. À cet égard, nos partenaires francophones nous font souvent remarquer que nous sommes les premiers à passer à l'anglais en présence de plus de deux non-locuteurs français dans une salle. Nous devons corriger cela.

Ma troisième priorité est la francophonie économique, qui est aujourd'hui véritablement à l'ordre du jour, notamment dans le cadre de l'OIF. C'est un espace qui reste, certes, à construire et à développer dans un esprit de partenariat et pour des résultats mutuellement profitables. Le potentiel est là : un ensemble de quatre-vingts pays de l'espace francophone ; un marché de plusieurs centaines de millions de consommateurs ; une diaspora mondiale de jeunes diplômés, de techniciens bien formés ; la disponibilité des réseaux de l'Association internationale des régions francophones (AIRF). Avec l'OIF, nous devons rendre cette réalité plus concrète. Nous devons montrer qu'il est possible de développer l'économie en français.

Les entreprises françaises, et francophones en général, ont tendance à penser qu'on ne peut faire des affaires qu'en anglais. Pourtant, quand la Chine se rapproche de la France en vue d'aborder l'Afrique francophone, c'est qu'elle considère que la connaissance de la langue s'avère utile. Celle-ci devient ainsi un atout pour développer l'emploi et l'économie. Le français est la troisième langue la plus parlée dans le monde et la deuxième langue la plus employée dans le domaine économique. Après une première édition à Dakar, le deuxième forum économique de la francophonie se tiendra en octobre 2015 à Paris. Il doit être l'occasion de montrer que la francophonie est utile pour des jeunes qui cherchent un emploi.

Enfin, nous devons répondre au défi du numérique et de l'innovation. Il faut, en particulier, développer une offre universitaire numérique en français qui soit compétitive à l'échelon international. Ce sera l'une des principales missions du futur recteur de l'Agence universitaire de la francophonie, qui doit être désigné dans les prochaines semaines.

Malgré une baisse tendancielle de nos contributions, la France reste le premier contributeur financier à l'OIF et aux opérateurs de la francophonie. Il y a une réelle volonté que les actions menées par ces opérateurs soient complémentaires de nos opérations bilatérales, et j'ai le sentiment que nous avons progressé dans ce sens ces dernières années. La proximité géographique avec le siège de l'OIF, implanté à Paris, y contribue.

Je veux souligner que si certains des acteurs institutionnels de la francophonie sont de création ancienne, en particulier l'Alliance française, il s'agit d'organismes bien vivants, en constante mutation. Ils savent s'adapter pour répondre aux exigences nouvelles, mais aussi pour réagir aux diminutions de crédits qui conduisent à des remises en cause. Les publics visés, l'évolution rapide des techniques, la concurrence internationale en matière d'enseignement nous obligent à constater que les jeunes iront naturellement là où c'est le plus utile pour eux.

Les membres de mon administration et de mon cabinet rencontrent souvent les représentants des organismes que vous avez entendus, pour voir comment évoluer ensemble. Il n'en demeure pas moins que le caractère particulier de la francophonie implique de jouer le jeu d'une organisation de quatre-vingts États et gouvernements membres, où la voix de chacun doit peser et être respectée, indépendamment de sa contribution financière.

Un grand bailleur comme la France pourrait être tenté de vouloir imposer ses orientations et ses priorités. Ce n'est pas notre choix, car nous ne saurions donner seuls des orientations. Telle est la contradiction à laquelle nous nous heurtons. Alors que nous cherchons une nouvelle manière de travailler avec nos partenaires francophones en vue de faciliter le développement, nous sommes parfois attendus pour prendre des positions qu'il ne nous revient pas de prendre seuls, car ce n'est pas notre rôle.

Nous devons être cohérents avec nous-mêmes : quand nous nous réjouissons de voir le nombre de locuteurs francophones progresser, nous devons accepter aussi que la langue ne nous appartienne plus. C'est avec eux que nous ferons vivre le français, que nous en ferons une langue qui fait encore rêver. Elle doit rester symbole d'avenir et un appui utile pour les jeunes francophones. Et puisque nous souhaitons qu'ils soient bientôt 700 millions, il nous faut davantage encore nous mobiliser.

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