Intervention de Didier Migaud

Réunion du 30 septembre 2015 à 10h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie d'avoir bien voulu m'inviter devant votre commission pour vous présenter l'avis du Haut Conseil des finances publiques sur les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2016.

C'est en effet la troisième fois, monsieur le président, que le Haut Conseil est appelé, en application de l'article 14 de la loi organique du 17 décembre 2012, à se prononcer sur les prévisions macro-économiques à partir desquelles sont bâtis les textes financiers et sur la cohérence de ces derniers avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Permettez-moi de commencer par revenir sur le contexte macro-économique actuel, qui est plus incertain que lorsque le Haut Conseil s'est prononcé sur le programme de stabilité 2015-2018. Certes, les facteurs favorables à un rebond de croissance, que nous avions alors répertoriés, demeurent : la demande interne bénéficie de la chute du prix du pétrole, les exportations profitent de la baisse de l'euro et de la croissance des principales économies partenaires, les conditions de financement des agents économiques s'améliorent grâce à la politique d'achat d'actifs de la Banque centrale européenne (BCE) et, enfin, les tensions financières liées à la crise grecque se sont apaisées. De ce fait, les enquêtes de conjoncture ont poursuivi leur amélioration au cours de l'été. L'indicateur de l'INSEE sur le climat des affaires, par exemple, a atteint en août et en septembre son meilleur niveau depuis quatre ans.

Néanmoins, des incertitudes persistent quant à la vigueur de la reprise, car de nouveaux risques sont apparus. Le commerce international, tout d'abord, a subi un net ralentissement dû aux difficultés rencontrées par la Chine et par les autres économies émergentes, qui a pénalisé les exportations européennes. D'autre part, les marchés financiers ont connu pendant l'été une forte volatilité qui a pesé sur la confiance des investisseurs.

C'est afin de tenir compte de ces facteurs que les prévisions de croissance de la zone euro pour 2016 ont été révisées à la baisse de 0,2 % par la BCE et par l'OCDE. De même, des incertitudes persistent concernant les moteurs susceptibles de transformer le rebond de l'économie française en reprise durable et sur le rythme du redémarrage de l'investissement. En effet, l'amélioration des enquêtes de conjoncture est en décalage par rapport aux données statistiques, moins favorables.

Malgré ces incertitudes, le Haut Conseil considère que l'hypothèse que fait le Gouvernement d'une croissance de 1 % en 2015 devrait se réaliser, et que celle qu'il fait d'une croissance de 1,5 % en 2016 est atteignable. À la fin du premier semestre 2015, l'acquis de croissance est estimé à 0,9 % ; la probabilité d'atteindre une croissance de 1 % d'ici la fin de l'année est donc forte. En effet, l'activité s'est accélérée au premier semestre et les enquêtes de conjoncture suggèrent que cette dynamique se poursuivra au second semestre.

En revanche, l'accroissement des incertitudes depuis l'été conduit le Haut Conseil à ne plus juger « prudente » l'hypothèse d'une croissance de 1,5 % en 2016, comme il l'avait fait en avril dernier, même s'il l'estime tout de même atteignable. Plusieurs conditions sont en effet réunies en ce sens. La consommation devrait être soutenue du fait des gains de pouvoir d'achat liés à la baisse du prix du pétrole. Après avoir connu une forte baisse de 15 % entre 2012 et 2015, l'investissement en logement des ménages devrait progressivement reprendre – mais, en réalité, un simple arrêt de cette baisse serait favorable à la croissance. En outre, l'investissement des entreprises pourrait bénéficier du redressement progressif de leurs marges, de l'amélioration de leurs conditions de financement et de l'augmentation de la demande finale, même si l'accélération prévue par le Gouvernement semble rapide au vu des capacités de production encore inemployées.

Cependant, le scénario prévu par le Gouvernement comporte selon le Haut Conseil un motif de fragilité : la prévision pour 2016 d'une croissance de 5,2 % du commerce mondial est élevée, compte tenu de la situation actuelle des économies émergentes. Depuis plusieurs exercices, le Gouvernement surestime la croissance prévisionnelle du commerce international et, du même coup, la demande mondiale faite à la France. Il se pourrait que ce soit de nouveau le cas en 2016, dans la mesure où la prévision du Gouvernement repose sur l'hypothèse assez optimiste du redémarrage des importations dans les pays émergents. Rappelons en outre qu'en juillet dernier, le Fonds monétaire international (FMI) estimait à 4,4 % la croissance du commerce mondial en 2016. Le Haut Conseil a également recensé d'autres aléas : les conséquences des tensions géopolitiques, la forte volatilité persistante des marchés financiers ou encore les effets d'une éventuelle normalisation de la politique monétaire des États-Unis.

D'autres variables macro-économiques sont tout aussi importantes que la croissance pour les finances publiques. En 2016, la hausse des prix pourrait être inférieure à l'hypothèse de 1 % retenue par le Gouvernement, en raison de facteurs désinflationnistes comme les effets retardés de la baisse du prix du pétrole et l'incidence des allégements d'impôts et de cotisations en faveur des entreprises. Une inflation moindre que celle qu'attend le Gouvernement serait favorable au pouvoir d'achat des ménages mais rendrait plus difficile la réduction du déficit public.

Le Gouvernement prévoit que la masse salariale progressera de 2,8 % en 2016, mais il se pourrait qu'elle soit moindre dans un contexte de chômage élevé et après deux années de faible inflation, dont les effets retardés pourraient avoir été sous-estimés. Or, si la progression de la masse salariale était moins rapide que prévu, elle pèserait sur les recettes de cotisations sociales et de contribution sociale généralisée (CSG).

J'en viens à la cohérence des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale avec les orientations pluriannuelles de solde structurel contenues dans la loi de programmation des finances publiques du 29 décembre 2014. Le Haut Conseil ne se contente pas d'apprécier la cohérence apparente des chiffres entre le projet de loi de finances et la loi de programmation ; il examine aussi leur cohérence interne et se prononce sur la crédibilité des prévisions de solde structurel contenues dans la dernière loi de programmation, qui se fondent notamment sur des hypothèses de croissance potentielle. Il se trouve que trois mois après l'adoption de ladite loi de programmation, le Gouvernement a, à l'occasion du programme de stabilité 2015-2018, révisé à la hausse – de 1,3 % à 1,5 % – son hypothèse de croissance potentielle pour 2016. Le solde structurel pour 2016 ainsi révisé est de -1,2 % du PIB et l'ajustement structurel correspond à 0,5 point de PIB, ce qui permet à la France de se conformer aux engagements qu'elle a pris devant les autorités européennes. Si l'hypothèse de croissance potentielle retenue dans la loi de programmation avait été conservée, le déficit structurel pour 2016, de -1,3 % du PIB, serait légèrement supérieur et l'ajustement structurel, de 0,4 point de PIB, légèrement inférieur. Autrement dit, pour un même niveau de déficit nominal, une hypothèse de croissance potentielle plus élevée a pour corollaire une estimation moindre du déficit structurel.

Le Haut Conseil a donc comparé les objectifs que le Gouvernement a présentés pour 2016 dans la loi de programmation de décembre 2014 d'une part et dans le projet de loi de finances pour 2016 d'autre part. Même si les écarts sont faibles, le Haut Conseil réitère la réserve de principe qu'il avait déjà formulée dans son avis du mois d'avril dernier sur le programme de stabilité : la révision des hypothèses de croissance potentielle hors du cadre de la loi de programmation – à laquelle le Gouvernement a naturellement le droit de procéder – ne permet pas de suivre convenablement l'évolution de la composante structurelle du déficit et nuit à la lisibilité de la politique budgétaire.

Autre point de méthode : les mesures ponctuelles et temporaires entrent dans le calcul du solde structurel. Or, le Gouvernement n'a pas – comme le Haut Conseil juge qu'il aurait dû le faire – inclus dans le champ de ces mesures le produit de la cession des licences de quatrième génération (4G), soit 2,5 milliards d'euros. Il s'agit pourtant d'une recette non reconductible, qui a pour effet d'améliorer le solde structurel de 0,1 point de PIB en 2015 et d'accroître d'autant l'ajustement structurel en 2014 et 2015, effet qui sera compensé par un ajustement plus faible entre 2015 et 2016. Il y a là un véritable enjeu de pilotage des finances publiques car, en période de reprise, la notion de déficit structurel conserve tout son intérêt et ne doit pas être soumise à des changements incessants. En effet, la France n'a pas su tirer parti des périodes de croissance passées pour assainir durablement ses finances publiques. Pour éviter qu'une telle situation se reproduise, les indicateurs de solde structurel et d'ajustement structurel doivent être suivis avec autant d'attention en période de reprise et en période de ralentissement conjoncturel. Pour ce faire, il faut garantir la stabilité des instruments de mesure.

Ces points de méthode étant rappelés, j'en viens aux conclusions du Haut Conseil sur le scénario des finances publiques. Que l'on retienne l'une ou l'autre de ces hypothèses de croissance potentielle, le Haut Conseil constate que la trajectoire de solde structurel est en avance sur les objectifs de la loi de programmation. En effet, le Gouvernement a, à l'occasion du programme de stabilité d'avril 2015, modifié la trajectoire de solde structurel présentée dans la loi de programmation – dont l'ambition était particulièrement modeste. Cette modification vise à tenir compte du fait qu'en 2014, le déficit était moins important que prévu – 4 % contre 4,4 % – et, en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne, à renforcer l'objectif d'ajustement structurel pour 2015 et 2016. L'objectif d'ajustement structurel pour 2015 contenu dans le programme de stabilité est donc maintenu dans le PLF pour 2016 et, à 0,4 point de PIB, il demeure inchangé par rapport à la loi de programmation. Pour 2016, en revanche, il est supérieur de 0,1 point de PIB – 0,4 contre 0,3 point – dans le projet de loi de finances par rapport à la loi de programmation, car le PLF prévoit un ralentissement plus prononcé de la progression en volume de la dépense publique – 0,3 contre 0,5 point de PIB. Au total, avec les hypothèses de croissance retenues dans la loi de programmation, le déficit structurel visé dans le projet de loi de finances pour 2016 est inférieur de 0,5 point à celui qui était prévu en décembre 2014, principalement grâce à l'effet de base produit par la diminution plus importante que prévu du déficit de 2014.

Dernier point : la crédibilité des objectifs de solde structurel présentés pour 2015 et 2016. En 2015, l'objectif d'amélioration du solde structurel devrait être atteint, sous réserve que l'on poursuive une gestion stricte des dépenses. Les informations dont nous disposons en cours d'année laissent penser que les recettes sont en ligne avec les prévisions actualisées du projet de loi de finances. En revanche, le respect des plafonds de dépenses de l'État n'est pas acquis, compte tenu des dépenses supplémentaires décidées en cours d'année.

En 2016, les finances publiques devraient bénéficier de la reprise modérée de la croissance mais des risques significatifs pèsent sur la réalisation de l'objectif de dépenses en volume – objectif particulièrement ambitieux au regard de la trajectoire passée. Les recettes devraient bénéficier de l'accélération modérée de la croissance ; quant à l'objectif de dépenses affiché par le Gouvernement, il est ambitieux, puisqu'elles ne devraient croître que de 0,3 % en volume. Ce ralentissement du rythme de croissance de la dépense vise à financer les baisses d'impôts et de cotisations sociales ainsi que les dépenses nouvelles, tout en favorisant la réduction du déficit. Or, de nombreuses dépenses nouvelles ont été annoncées alors que les économies nécessaires à leur financement n'ont été ni communiquées au Haut Conseil ni dûment documentées dans le projet de loi de finances. Elles seront sûrement communiquées à la commission des finances au cours de l'examen du texte.

Pour ce qui concerne les dépenses sociales, il est incertain que le taux de croissance de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) de 1,75 % puisse être respecté, car cela suppose la mobilisation d'outils de régulation renforcés et des évolutions structurelles concernant notamment la dépense hospitalière et la maîtrise médicalisée des dépenses de soins de ville.

D'autre part, le Haut Conseil, je le répète, considère que l'hypothèse d'inflation que fait le Gouvernement pour 2016 est un peu élevée. Une inflation plus basse que prévu se traduirait pour le solde nominal par une diminution des recettes attendues et aurait également un impact sur le solde structurel, car les mesures de gel et de sous-indexation ne produiraient pas tous leurs effets sur le ralentissement de la croissance de la dépense en volume, ce qui obligerait à prendre des mesures d'économie supplémentaires. La rigidité à court terme des cibles de dépenses fixées en valeur fait peser un risque à la baisse sur le solde structurel en 2016.

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