À quelques semaines du cinquantenaire du traité de l'Elysée, l'examen du projet de loi visant à autoriser la ratification de l'accord entre l'Allemagne et la France instituant un régime matrimonial optionnel, et commun, de la participation aux acquêts, a une forte dimension symbolique.
Il vise à régler sur une base bilatérale des difficultés juridiques très concrètes qui se posent aux couples binationaux.
On recense près de 110 000 ressortissants français vivant en Allemagne et 150 000 ressortissants allemands installés en France. Si on y ajoute les binationaux, la communauté franco-allemande dépasse probablement les 300 000 personnes, dont nombre de couples binationaux.
C'est par un souci de sécurité juridique que nos deux pays ont entrepris, en 2006, de définir un régime matrimonial commun. Il n'est en effet pas rare, dans les cas de séparation conflictuelle, d'assister à une véritable « course au tribunal », chaque époux tentant de porter la procédure de divorce devant le tribunal du pays dont il estime que la législation lui sera favorable. C'est ce type de difficulté que le présent accord vise à prévenir.
Le mariage binational est l'objet en Europe d'un véritable paradoxe. En effet, au moment même où, sous l'effet de l'accroissement de la mobilité de la population, le nombre des mariages binationaux s'accroît, la compétence communautaire en matière de régime matrimoniaux, qui n'est qu'une compétence de coordination, s'exerce difficilement.
S'agissant de la France et l'Allemagne, ils connaissent, à ce jour trois types de régimes matrimoniaux : la communauté – sous ses différentes formes –, la séparation des biens et la participation aux acquêts. Mais la difficulté tient à ce que l'approche juridique du régime matrimonial n'est pas la même dans les deux pays.
Un premier élément tient à ce que les régimes légaux sont différents. Issu d'une tradition communautariste, le régime légal français est depuis 1965 celui de la communauté réduite aux acquêts, c'est-à-dire aux accroissements patrimoniaux constatés pendant la durée du mariage. Il est retenu par un peu plus de la moitié des couples. À l'opposé, à la fin des années 1950, l'Allemagne a remplacé l'ancien régime légal de séparation avec droit d'administration des biens par l'époux, par le régime de la participation aux acquêts qui concerne neuf mariages sur dix.
La principale différence entre le régime légal allemand et le régime légal français est que dans le régime allemand, il y a deux patrimoines distincts, un pour chacun des époux, alors que le régime légal français conduit à la distinction de trois masses : le patrimoine commun constitué des acquêts, un patrimoine propre pour chacun des époux. Pendant la durée du mariage, le régime de la participation aux acquêts fonctionne comme un régime de séparation. C'est lors de la dissolution que les acquêts donnent lieu à un calcul qui assure le partage égal de leur valeur entre les époux. Dans le régime allemand de la participation aux acquêts, on procède ainsi séparément au calcul des acquêts de chacun des deux époux, et on constate que celui qui s'est le moins enrichi détient sur l'autre une créance, appelée la créance de participation. Celle-ci est égale à la moitié de la différence, de manière que l'enrichissement au cours du mariage soit équitablement réparti. Dans le régime français, lors de la dissolution, les époux partagent entre eux la communauté, laquelle est constituée des acquêts.
Le deuxième facteur de différence entre la France et l'Allemagne tient à ce que l'approche allemande du régime légal français et l'approche française du régime légal allemand divergent.
Pour ce qui est de l'Allemagne, le régime de la communauté réduite aux acquêts était celui en vigueur en Allemagne de l'Est. Il est donc d'entrée de jeu problématique.
Pour ce qui concerne la France, le régime de la participation aux acquêts est prévu par le code civil. Il s'agit d'un régime optionnel réglementé, à la disposition des futurs époux. Il est cependant très peu pratiqué. Il concernerait seulement 3 pour mille des foyers, contre 50% pour le régime légal, 39% pour la séparation et 9% pour la communauté universelle.
Ensuite, dans ses modalités de fonctionnement, la participation aux acquêts diffère en France et en Allemagne. En Allemagne, les accroissements de valeur des biens du patrimoine originaire, c'est-à-dire du patrimoine de chacun des époux lors de la conclusion du mariage, font partie des acquêts, sous réserve de la prise en compte de l'inflation.
En France, à l'opposé, les plus-values des biens du patrimoine originaire sont exclues du calcul de la créance de participation.
Enfin, le régime allemand comprend une particularité qui simplifie le fonctionnement du régime de la participation aux acquêts. En effet, le régime légal ne se liquide que lors d'un divorce, puisque le droit civil prévoit que l'époux survivant recueille une part accrue du patrimoine du défunt.
Concrètement, ces différences d'approches entre l'Allemagne et la France créent des difficultés pendant la durée du mariage et lors de la dissolution du régime matrimonial, pour les couples binationaux, notamment en cas de divorce.
Le régime légal français n'est pas compris en Allemagne, ce qui est un obstacle, parfois temporaire, à l'octroi de prêts pour l'acquisition de biens immobiliers car les banques sont réticentes à accorder des crédits lorsque les droits respectifs des époux ne sont pas clairs pour elles.
La solution appliquée consiste alors à placer, comme le permet le droit civil allemand, sous le régime légal allemand, les biens situés en Allemagne, ce qui implique alors un régime matrimonial « divisé » avec deux corps de règles applicables différents selon la localisation des biens.
Le problème se pose alors en aval lors de la dissolution et de la liquidation du régime matrimonial, divorce, ou succession, voire, ce qui est plus rare, changement de régime matrimonial.
Dans cette perspective, l'accord du 4 février 2010 instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts entre la France et l'Allemagne est nécessaire et opportun.
Il faut au demeurant saluer une innovation. C'est le premier exemple d'élaboration d'un droit matériel commun à deux Etats en matière de droit des personnes.
Je dois à l'honnêteté de vous dire que le résultat est cependant d'une moindre ambition que la démarche initiale. En effet, celle-ci visait à confier à un groupe d'experts l'objectif de créer deux régimes inspirés des régimes légaux des deux pays. Elle impliquait donc de remodeler certains aspects du régime légal de chacun des pays. Au regard des différences énoncées précédemment, il leur est apparu opportun d'opter pour une solution médiane plus réaliste mais peut-être moins ambitieuse, c'est-à-dire de ne travailler que sur le régime de la participation aux acquêts.
Le résultat est tout à fait acceptable. Tel est également le point de vue du Conseil supérieur du notariat.
Le régime optionnel offre en effet aux futurs couples la faculté de choisir un régime matrimonial qui sera compris et appliqué de la même manière dans les deux pays : c'est donc un élément de simplification et de sécurité juridique.Tel est d'autant plus le cas que l'accord a été accompagné lors de sa publication d'un rapport explicatif très détaillé.
Sur le fond, l'accord est équilibré entre la France et l'Allemagne, contrairement à ce que peut laisser penser le fait que l'on ait retenu un régime matrimonial de même nature que le régime légal allemand. En effet, la concession française sur le principe, sur le type de régime, a pour contrepartie l'adoption d'éléments très concrets du droit français, notamment la protection du logement familial dont un seul conjoint ne peut disposer seul lorsqu'il en est l'unique propriétaire. On est donc face à un véritable compromis.
L'accord est également parfaitement respectueux du principe de la liberté contractuelle des époux en matière de régime matrimonial. D'abord, il est optionnel et exige donc un acte positif des époux. Ensuite, il sera possible aux futurs époux de le modifier par contrat, de même qu'ils peuvent le faire pour les régimes réglementés français ou le régime légal, avec cependant l'obligation de respecter certains éléments d'ordre public, notamment les dispositions transposées du régime primaire français applicable à tous les mariages, sans possibilité d'y déroger. En fait, ils pourront en l'espèce modifier l'essentiel, c'est-à-dire le mode de calcul de la créance de participation.
Les dispositions de l'accord sont de nature très classique et elles sont conformes à celles auxquelles on s'attend pour un régime de participation aux acquêts. Quelques-unes seulement d'entre elles appellent un commentaire. Ainsi, le régime optionnel prévoit bien la solidarité pour les dettes ménagères, selon la conception française, de même qu'il organise également la protection du logement familial et de ses accessoires, d'une manière plus large qu'en France puisqu'il vise l'ensemble des biens du ménage et non seulement les meubles meublants.
Les principales modifications par rapport au droit français concernent trois éléments.
Il s'agit en premier lieu de l'évaluation des biens du patrimoine originaire lors de la dissolution du régime matrimonial. Le texte de l'accord est un texte de compromis. Il retient l'approche française avec la valeur finale, au jour de la dissolution, pour les biens immobiliers, les plus faciles à suivre, et la règle allemande, de la valeur initiale, celle au jour du mariage, avec réévaluation pour les biens mobiliers, y compris les parts sociales d'entreprises et les actions, ainsi que les biens de collections.
Ce compromis se comprend, mais c'est à n'en pas douter sur ces éléments que devra porter la vigilance des futurs époux qui souhaiteront aménager le régime optionnel.
Le deuxième élément sur lequel le régime optionnel apporte un aménagement notable consiste en la création d'un plafond à la créance de participation, à hauteur de la moitié du patrimoine du débiteur. C'est destiné à protéger celui des époux dont le patrimoine originaire est débiteur. Il peut en effet sinon être contraint de verser plus que la totalité de son patrimoine final à son conjoint.
La troisième disposition enfin sur laquelle le régime optionnel innove par rapport au droit français, est tout aussi appréciable. Elle prévoit que la créance de participation est évaluée à la date de dissolution du régime ou de demande en justice qui en est à l'origine, et non à la date de la liquidation comme actuellement prévu en droit français. L'objectif est d'éviter que les procédures ne traînent en longueur qu'à des seules fins spéculatives.
Le seul point qui n'est pas réglé par l'accord, et sur lequel la vigilance des parties et des notaires devra s'exercer, est la question linguistique, de manière que le contrat initial soit bien compris par le conjoint dont le notaire ne parle pas la langue maternelle et que ses avenants soient cohérents indépendamment du lieu de leur conclusion, et de la langue pratiquée par le notaire territorialement compétent. Mais c'est un problème qui n'est pas propre aux couples franco-allemand, mais à tous les couples binationaux, voire de même nationalité, qui se déplacent à l'étranger.
Par ailleurs, il faut souligner que l'accord franco-allemand est porteur d'une ambition qui va au-delà de sa seule application aux couples binationaux.
D'une part, il sera possible à tous les époux, en France comme en Allemagne, de choisir ce nouveau régime matrimonial. Aucune condition d'extranéité n'est prévue.
D'autre part, l'accord n'est pas limité à la France et à l'Allemagne. Il est ouvert à l'adhésion à d'autres Etats membres de l'Union européenne. Mme Viviane Reding, Commissaire européenne, l'a ainsi salué. Certains Etats membres comme le Luxembourg, voire la Hongrie et la Bulgarie, pourraient être intéressés.
Pour que la perspective d'un droit européen du mariage commun à tous les Etats membres de l'Union européenne se concrétise, il convient cependant que plusieurs conditions, exigeantes soient remplies.
La première d'entre elles est une parfaite information des futurs époux sur l'existence de ce régime optionnel. A ce propos, la formule allemande avec certaines adaptations du code civil qui garantissent la mention du régime optionnel dans son dispositif peut paraître plus sûre que l'absence totale de référence dans le code civil français, en s'en remettant, en définitive, aux éditeurs juridiques pour mentionner dans leur édition du code civil le texte de l'accord.
La deuxième condition est que les professionnels du droit, les notaires en l'occurrence, soient en mesure d'informer leurs clients. Néanmoins, on peut être rassuré sur la volonté d'information, et de formation, des notaires, qui au niveau européen, dans le cadre du Conseil des notariats de l'Union européenne, mettent en place un site Internet pour la bonne information de tous les couples binationaux. De même, l'information des futurs conjoints devrait être assurée, par la diffusion de brochures au sein des consulats et sur les sites internet.
D'autres aspects du droit matériel de la famille pourraient également faire l'objet d'accords similaires tels que l'exercice des droits parentaux après la séparation de couples binationaux.
Pour ce qui concerne enfin la ratification, le Parlement allemand l'a autorisée il y a huit mois.
Pour la France, le Sénat a adopté le projet de loi autorisant la ratification le 18 juillet dernier, sur le rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice.
Il appartient maintenant à l'Assemblée nationale de le faire.