Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 6 octobre 2015 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Titre

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti, rapporteur de la commission des affaires sociales :

…ni dans une société où les règles communes s’appliqueraient de manière brutale à chacun, car ce type de société serait contraire à la modernité et à la démocratie.

À chacun sa philosophie. Pour ma part, je crois à l’avenir de l’homme. Pour moi, la société démocratique n’est pas un système qui entraîne la décadence de l’humanité. La démocratie aboutie, c’est précisément le point d’équilibre entre l’acceptation des règles communes sur un projet commun et le respect de chaque opinion. Vivre dans une démocratie apaisée et moderne, ce n’est pas être d’accord sur tout ; c’est être capable de se rassembler sur tout, tout en pointant ses différences.

J’en viens à un autre point que vous avez soulevé : ce texte concerne-t-il tous les malades ou seulement les malades en fin de vie ? Et qu’est-ce que la fin de vie ? Voilà une question qui n’appelle qu’une réponse floue. D’une certaine façon, nous sommes tous en fin de vie, puisque nous sommes susceptibles de mourir dès l’instant où nous naissons. Il est vrai que nul ne connaît le jour et l’heure, mais la médecine dispose d’éléments objectifs pour formuler un pronostic à moyen terme. De surcroît, plus le terme approche, plus le pronostic est facile à déterminer. Il est bien difficile d’affirmer qu’un malade atteint d’une pathologie donnée a encore une année à vivre ; en revanche, il est très facile, lorsque son état s’est vraiment dégradé, de dire qu’il ne vivra pas plus de trois ou quatre jours.

La médecine technique d’aujourd’hui peut prolonger des vies comme jamais elle n’a été capable de le faire ; elle peut prolonger la vie de patients totalement inconscients, qui n’ont plus la possibilité de penser – ni de penser qu’ils existent, ni de penser une relation à l’autre. Et c’est cela qui crée un vrai dilemme : face à une personne humaine dont la dignité doit être respectée jusqu’à la fin, il faut se demander si ce que l’on fait pour la maintenir en vie ne va pas au-delà du raisonnable. Tout ce qui est techniquement possible est-il humainement souhaitable ? La réponse est non. Nous sommes donc confrontés à un conflit de valeurs entre une éthique de l’autonomie et de la liberté, d’une part, et une éthique de la vulnérabilité et de la solidarité, de l’autre.

Que se passerait-il dans un système qui accorderait un prix excessif à la liberté ? En caricaturant, on peut imaginer qu’une personne qui arriverait à l’hôpital après avoir tenté de se suicider ne serait pas réanimée, sous prétexte qu’elle a voulu mourir. C’est là un vrai danger. Mais, à l’inverse, estimer qu’une personne vulnérable n’a aucune autonomie et que l’on doit tout décider à sa place, cela revient aussi à nier une partie de sa dignité, car c’est nier une partie de son autonomie. Dans l’élaboration de ce texte, nous avons essayé de cheminer entre ces deux écueils. Il est facile d’aller dans un sens ou dans l’autre ; il est plus difficile de maintenir un cap, de faire preuve de mesure et de respecter la dignité de la personne humaine, à la fois dans son autonomie et dans sa vulnérabilité.

Par ailleurs, nous ne considérons pas seulement ici les malades en fin de vie, mais aussi les personnes qui, sans être en fin de vie, sont maintenues artificiellement en vie. La question de savoir si ces personnes doivent poursuivre une vie purement biologique se pose avec une acuité particulière.

Je sais qu’un certain nombre d’entre vous n’était pas ici en 2005, mais ces sujets ont été débattus à l’époque. Si nous définissons l’obstination déraisonnable comme le fait de poursuivre des traitements qui n’ont d’autre but que le maintien artificiel de la vie, c’est pour répondre à la fois aux problèmes que pose cette médecine technique, et aux questions touchant à la liberté et à la vulnérabilité de l’homme. C’est la raison pour laquelle l’intitulé du texte me paraît juste. Le modifier, c’est risque d’en modifier le sens, et donc d’avoir un texte dont le contenu ne correspond pas à son titre. Avis défavorable à ces amendements.

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