Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 7 octobre 2015 à 15h00
Questions au gouvernement — Suppression du mot race dans la législation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le député, l’Assemblée nationale a en effet beaucoup travaillé pour trouver des solutions claires et juridiquement solides répondant à la volonté politique et éthique de supprimer le mot race, tout d’abord dans la Constitution, ensuite dans l’ensemble de la législation : c’est ce qui a été fait sur la base de la proposition de loi du groupe auquel vous appartenez et qui a été discutée ici le 16 mai 2013. Je représentais le Gouvernement lors de ce débat et me rappelle la très grande qualité des interventions sur l’ensemble des bancs de l’Assemblée, le sujet ayant été particulièrement travaillé par vous.

C’est ainsi que cinquante-neuf dispositions législatives ont déjà été modifiées grâce à cette proposition de loi. Le mot « race » n’a pas été simplement supprimé : toutes ses occurrences ont été remplacées soit par le mot « raciste » soit par des périphrases comprenant le mot « raciste », car notre souci était d’éviter de créer un vide juridique et de réduire par là même la protection des victimes de propos et d’actes racistes.

Ce combat est symbolique au sens où il donne de la force aux valeurs sur lesquelles repose l’ordre juridique français, qui prend lui-même appui sur l’idéal républicain. Or cet idéal, qui est fondé sur la nation civique et l’ambition d’égalité, condamne profondément les distinctions qui reposent sur les prétendues origines raciales. Nous devons non seulement travailler aux sanctions mais également veiller, dans notre législation, dans nos politiques publiques et dans la sensibilité de la population, à transformer les mentalités.

Le Gouvernement est disposé à agir auprès du Sénat pour que ce texte revienne en discussion.

2 commentaires :

Le 08/10/2015 à 10:35, laïc a dit :

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"Or cet idéal, qui est fondé sur la nation civique et l’ambition d’égalité, condamne profondément les distinctions qui reposent sur les prétendues origines raciales."

Comme il condamne les distinctions qui reposent sur les prétendues origines religieuses. On ne saurait refuser d'un côté tout traitement discriminatoire parce que l'on suppose la race d'un individu, et de l'autre admettre tout traitement différencié en relation avec la religion avérée ou supposée de l'individu. Car, quand on parle de race, on parle bien sûr de visibilité de la race, mais aussi de l'apparence physique extérieure naturelle, tout ce qui est en relation avec l'inné de l'individu. (On pourra ici critiquer l'usage du mot "race", car il renvoie en effet à une conception "raciste" de l'individu, mais puisque c'est ce mot qui est utilisé par la constitution, continuons à l'employer jusqu'à ce qu'il soit officiellement changé.)

Or, la constitution met sur le même plan la visibilité de l'inné et celle de l'acquis (sans distinction de race, d'origine, ou de religion, dit-elle...).

Ainsi, si l'Etat ne regarde pas la couleur de l'individu, même si elle est visible sans effort, il ne regarde pas non plus la visibilité de la religion, et donc ne considère pas les signes religieux sur les individus, même s'ils sont visibles sans effort, et donc il ne peut pas faire de loi particulière pour les censurer, car imagine-t-on une loi pour censurer l'apparence physique naturelle extérieure de l'individu ?

De même, l'Etat ne doit pas s'inquiéter de la religion des enfants pour faire des menus distincts dans les cantines scolaires. Imagine-t-on des menus pour blancs et d'autres pour noirs ? Ne crierait-on pas au racisme éhonté et abject ? Pour la religion, c'est pareil, l'égalité constitutionnelle entre race et religion, entre couleur et religion, entre inné et acquis, oblige à tenir ce raisonnement, qui est le seul légal en matière de traitement de la religion sur une base constitutionnelle.

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Le 31/10/2015 à 10:05, laïc a dit :

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"Or cet idéal, qui est fondé sur la nation civique et l’ambition d’égalité..."

L'ambition d'égalité, elle est nécessairement pour l'Etat, car je ne crois pas qu'il y ait un seul citoyen en France qui ait pour ambition d'être égal son voisin... Car ce qui motive l'individu, c'est l'inégalité, c'est d'être supérieur à son voisin, c'est d'avoir plus d'argent que lui, un plus bel appartement que lui, une plus belle voiture que lui, une plus belle femme (ou homme) que lui... Donc l'inégalité est le fléau naturel du genre humain avec son inévitable complice destructeur : la jalousie.

Et même sans ambition déclarée, la différence innée entre les individus dès la naissance leur impose d'emblée une inégalité avec laquelle ils devront vivre toute leur vie. La seule égalité à la naissance qui puisse être possible, de par l'Etat, c'est l'égalité en droit.

Ainsi, l'ambition d'égalité est une démarche morale et juridique non naturelle imposée aux citoyens par l'Etat, qui va se heurter de plein fouet avec l'ambition d'inégalité des citoyens. (Car comment nier que lorsque dit "soit ambitieux" à quelqu'un, on lui dit également "soit supérieur aux autres, domine les, impose toi...?)

Donc l'ambition d'égalité est une contrainte imposée à l'Etat, mais aussi à l'homme d'Etat, car celui-ci doit se défaire de sa propre ambition et de sa propre soif d'inégalité qui fera de lui le chef politique incontesté auquel tous les autres devront se soumettre pour accepter cette ambition d'égalité qu'il devra transmettre aux autres citoyens.

Que de fois ne dit-on pas aux politiques : "Appliquez à vous-même ce que vous préconisez aux autres !" ?

C'est parce que leur propre ambition d'inégalité se heurte à l'ambition d'égalité de l'Etat qu'ils ont comme mission de propager. Comme disait le révolutionnaire français Saint Just le 10 octobre 1793 : "Les lois sont révolutionnaires, mais ceux qui les exécutent ne le sont pas".

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