Intervention de Pascal Guihéneuf

Réunion du 30 septembre 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Pascal Guihéneuf, CFDT :

Je vous parlerai des sites, des activités et de l'emploi.

Les centres de Lannion (Côtes d'Armor) et Nozay (Essonne) sont confirmés comme sites majeurs, principalement en matière de R&D. C'est un minimum après le démantèlement orchestré ces dernières années. Sur ces mêmes sites, ainsi que sur celui de Boulogne (Hauts-de-Seine), sont présentes aujourd'hui des fonctions opérationnelles : équipes commerciales, support aux clients, finances, comptabilité, achats, ressources humaines, marketing et autres emplois liés à un siège social. En tout, 2 200 personnes soit plus de 50 % des effectifs en France sur des métiers probablement en décroissance dans un avenir proche. L'inquiétude des salariés est des plus fortes. Sur ces emplois, Nokia évoque une rationalisation à venir, contrebalancée seulement par des mesures nécessaires pour trouver des solutions pérennes aux salariés concernés.

Dans les engagements, il est fait mention, mais sans citer aucun chiffre, d'activités avant-vente, vente et après-vente, pour servir les clients français et ceux de certains autres pays d'Europe et d'Afrique. Non seulement cela manque de précision, mais c'est insuffisant. En effet, beaucoup de salariés travaillent aujourd'hui pour des pays de toute la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique. Nous revendiquons le maintien d'un périmètre de cet ordre en y intégrant les activités actuelles de Nokia.

Pour gérer la décroissance des emplois non techniques, Nokia se dit favorable à un accord GPEC dont la négociation a d'ailleurs démarré. Cet accord GPEC, nous le voulons exemplaire et tourné vers le reclassement des salariés le plus possible en interne. Pour l'externe, nous le voulons le plus sécurisant possible avec un droit au retour sur une longue période, des formations longues et certifiantes, des propositions valables d'emploi, des mesures d'âges incitatives et un accompagnement pour les salariés en fin de carrière.

Nous n'avons pas encore le calendrier de la réorganisation. Nous revendiquons la plus grande transparence et la meilleure anticipation possible dans l'information des représentants du personnel. Nous demandons à être partie prenante du suivi des engagements entre Nokia et le Gouvernement. Qui, sinon, pourra garantir leur bonne mise en oeuvre là où la connaissance de l'entreprise et des technologies est nécessaire ?

Sur la nouvelle organisation, l'une des difficultés sera d'arbitrer les redondances en matière d'activités et de métiers entre les différents sites de la nouvelle entreprise. Les compétences de Nokia et d'Alcatel-Lucent sont reconnues par nos clients sur des technologies dont les développements vont apparaître en doublon. Par exemple, quel sera l'arbitrage sur les bases de données d'abonnés ou les coeurs de réseau 4G ?

Au-delà des activités citées dans le document, nous pensons qu'il faut diversifier les activités en France, par exemple dans les technologies IP, dans les activités PMR-LTE (réseau mobile privé), celles liées aux réseaux de transports ou à la gestion des informations dans le domaine de l'énergie, où l'expertise Télécoms des salariés d'Alcatel-Lucent peut faire la différence avec d'autres acteurs. Ce sont des niches importantes qui pourraient fixer en France des activités pérennes.

Nous avons noté que le conditionnement des engagements de Nokia est lié au maintien du crédit d'impôt recherche (CIR). Nous n'avons pas d'inquiétude particulière sur ce point, mais il est de votre ressort que ce dispositif permette de maintenir et développer l'emploi en France.

Le Gouvernement a obtenu des engagements chiffrés afin de structurer l'écosystème numérique français, c'est-à-dire la possibilité pour les entreprises de toute taille de venir tester leurs produits, matériels et logiciels, sur des plateformes télécoms de nouvelle génération. Cela se fera par l'intermédiaire d'un fonds d'investissement, des aides au monde académique et du développement de trois plateformes (5G, objets connectés, cybersécurité).

Nokia s'engage également à soutenir les pôles de compétitivité et confirme sa présence dans la continuité des projets engagés sous l'égide de la nouvelle France industrielle, en particulier les projets « Souveraineté Télécom » et « Industrie du futur ». Nous en profitons pour demander une accélération de leur mise en place, en d'autres termes l'exécution du plan en actes, c'est-à-dire en emplois et en résultats. Là où il y a tergiversations et prise de retard dans l'économie numérique, ce sont la Chine ou les États-Unis qui creusent l'écart.

En conclusion, le document de 13 pages signé par Nokia parle de projets ambitieux sur les activités en France, avec des mots rassurants sur le volet social, mais il reste encore beaucoup d'inconnues et d'inquiétudes. Ces engagements ont le mérite d'exister – nous serions d'ailleurs le seul pays dans lequel des engagements contraignants ont été pris aussi formellement – et le document nous servira de levier ainsi qu'à vous, députés, et au Gouvernement, pour un suivi rapproché dans les mois et années qui viennent.

Avant que le Gouvernement ne donne son autorisation liée aux investissements étrangers en France, il serait idéal d'obtenir des avancées sur plusieurs points.

Premièrement, l'élargissement du périmètre d'activités « support » et son maintien à plus long terme en France.

Deuxièmement, un agenda de montée en puissance des nouveaux projets de R&D dès début 2016. Nous entendons, par exemple, faire de la France le fer de lance en matière de virtualisation et de sécurisation des réseaux télécoms. Les embauches de jeunes doivent nous permettre d'envisager de manière pérenne l'entreprise Nokia de demain en France, et de mieux « coller » aux pratiques et aux idées numériques des jeunes générations.

Troisièmement, la 5G et les petites cellules, les small cells, sont deux enjeux majeurs pour les activités en France. Nous avons une demande à vous faire dans le cadre de l'élaboration du prochain budget : revoir la fiscalité liée à l'installation des relais radio. Le retour sur investissements pour ces petites cellules, qui densifient le réseau mais gèrent moins de communications, est rendu critique à cause d'une redevance qui n'est plus adaptée. Une modification fiscale est nécessaire pour garantir la couverture universelle du réseau possible grâce aux petites cellules.

Quatrièmement, à travers le rachat d'Alcatel-Lucent par Nokia, nous vivons une nouvelle consolidation au niveau des équipementiers, qui se traduit malheureusement par la disparition d'un équipementier télécom européen. Il faudra faire attention à ce que les parts de marché soient additionnées et non pas reprises par les équipementiers chinois ou américains. Côté opérateurs, des consolidations sont également constatées en Europe, mais le nombre d'opérateurs reste très important par rapport aux USA pour une population comparable. La question de la régulation de cette filière et de l'ouverture aux concurrents chinois sans aucune contrainte, malgré les écarts sociaux, reste entière selon nous.

Cinquièmement, en termes de dialogue social, il n'est pas question de perdre les prérogatives que l'information-consultation nous permet d'avoir en France. Nous demandons que le futur comité européen de Nokia tienne compte de la dernière directive européenne en introduisant la possibilité, pour les représentants des personnels européens, d'être informés et consultés sur la base d'une expertise économique et sociale.

Enfin, nous devons être associés au suivi des engagements en tant que connaisseurs de l'entreprise et des activités. M. le ministre Emmanuel Macron s'y est engagé lors de sa venue à Lannion le 8 juin dernier. Ce suivi sur plusieurs années est indispensable, et nous vous demandons de nous soutenir sur ce point. Nous souhaitons aussi avoir accès à l'intégralité du document signé par M. Suri le 22 septembre. L'accord de Nokia avec le Gouvernement est politique : la question du non-respect des engagements reste une question sans réponse, au-delà de la crédibilité de celui qui s'engage (Nokia) et de celui envers qui il s'engage (le Gouvernement français, mais aussi les multiples auditeurs, dont vous-mêmes et les salariés que nous représentons).

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, merci de votre attention et de votre soutien. Nous sommes prêts à échanger avec vous et à répondre à vos questions.

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