Intervention de Daniel Goldberg

Réunion du 6 octobre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Goldberg, président et rapporteur de la mission d'information « Mobilisation du foncier privé en faveur du logement » :

Cette mission d'information a été constituée en vue d'identifier les principaux freins à la libération du foncier constructible dans les zones tendues – là où l'on a besoin de construire – et de proposer des évolutions législatives de nature à faciliter la construction de logements. Il convient de tenir un discours très net sur la nécessité de construire des logements, qu'ils soient, dans le secteur locatif, sociaux ou non, ou qu'ils soient d'accession à la propriété.

Nous avons organisé plus de quinze auditions avec des promoteurs immobiliers, des représentants d'établissements publics fonciers (EPF), des urbanistes, des juristes, des économistes et des acteurs publics. Il m'est par conséquent apparu nécessaire de faire un point d'étape sur notre travail. Aussi, je vous informe qu'une réunion se tiendra mardi 13 octobre prochain à quatorze heures dans cette même salle. Nous pourrons alors examiner les propositions de la mission, avant d'organiser de nouvelles auditions auxquelles vous serez bien sûr conviés.

Je commencerai, dans une première partie, par évoquer, d'une part, l'identification des terrains et, d'autre part, la formation des prix du foncier.

À l'issue des auditions réalisées, le constat est simple : les difficultés techniques à identifier les terrains constructibles sont peu nombreuses. Le travail d'identification est satisfaisant grâce aux observatoires régionaux du foncier et aux EPF d'État et aux EPF locaux, enfin grâce à la collecte réalisée par les promoteurs dans le diffus.

Demeurent toutefois des freins comme l'absence d'outils de numérisation de l'ensemble des servitudes et contraintes d'urbanisme applicables à la parcelle, et le manque de stabilité et de lisibilité des documents d'urbanisme. J'ajoute que les terrains mutables font partie des terrains utilisables, notamment dans le diffus – je pense aux entrepôts, aux biens construits délabrés, aux quartiers anciens dégradés. Il s'agit là de foncier d'occasion, déjà construit. On doit sans doute améliorer le repérage de ce foncier potentiellement disponible.

C'est pourquoi nous pourrions proposer d'accélérer la mise en service du portail national de l'urbanisme, « Géoportail », créé par l'ordonnance du 18 décembre 2013, outil de numérisation de l'ensemble des servitudes et contraintes d'urbanisme s'appliquant à une parcelle. Il s'agit de croiser l'ensemble des informations. Il serait par ailleurs nécessaire de développer le nombre des observatoires régionaux fonciers et d'augmenter leur capacité d'action.

J'en viens, deuxième point de cette première partie, à l'opacité de la formation des prix du foncier. Le constat est à peu près unanime sur l'absence d'un marché du foncier structuré et transparent, absence qui incite à la rétention foncière et provoque un phénomène de renchérissement mécanique du prix du foncier.

Si l'information sur les prix du foncier est disponible, notamment au ministère des finances, il n'existe pas encore de baromètre des prix du foncier par ville ou par agglomération. Les outils développés à ce jour se révèlent toujours insuffisants pour permettre une connaissance partagée et complète du marché du foncier.

Nous suggérons ici de publier les prix moyens des transactions foncières par commune ou par territoire donné, que ce soit par un élargissement de l'accès au service « demande de valeurs foncières » proposé par la direction générale des finances publiques, ou par la mise en place d'un observatoire ou d'un baromètre local des prix du foncier constructible sur le modèle des publications des notaires sur les prix des logements anciens.

Nous pourrions également « objectiver » les prix du foncier en créant une fiche d'identité des sols et des biens afin de partager avec le propriétaire un certain nombre d'éléments non contestables – durée de portage, dépollution, démolition, risques archéologiques et servitudes diverses...

Ma deuxième partie portera sur la libération du foncier constructible.

Il convient de procéder à certaines évolutions pour qu'un terrain d'intérêt public constructible puisse effectivement être construit, ce qui exige trois mesures : établir, dans un premier temps, une conjonction de moyens juridiques et fiscaux permettant, ensuite, la définition d'une doctrine claire – on a, j'y insiste, besoin de construire tous types de logements dans certaines zones – ; enfin, placer chaque acteur devant ses responsabilités – il n'est plus possible que des terrains constructibles, même lors d'une mutation, ne soient pas construits selon les dispositions des plans locaux d'urbanisme locaux (PLU). C'est du reste ce qu'on peut retirer des auditions auxquelles nous avons procédé : les outils juridiques à disposition des collectivités et de l'État semblent suffisants – droit de préemption, zones d'aménagement différé, zones d'aménagement concerté, opération d'intérêt national, le plus efficace demeurant sans doute l'expropriation pour cause d'utilité publique, à la réserve près que je viens de mentionner : les PLU sont des outils de planification instables – ce qui gêne l'identification des terrains à bâtir – et trop imprécis – ils se contentent d'émettre des interdictions et des limites à la construction au lieu d'être des documents opérationnels – ; or ce n'est pas en définissant des interdictions ou des limitations que, quand un terrain se libère, l'on va jusqu'au bout des possibilités de construction.

On pourrait par conséquent proposer que la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique soit utilisée plus systématiquement, la définition de l'intérêt public pouvant être élargie, par la loi, à toute opération de construction de logements dans les zones tendues.

Ensuite, au sein des zones à urbaniser (AU), pourraient être délimitées dans un certain délai des zones à urbanisation obligatoire, à l'image de ce qui est pratiqué dans d'autres pays européens, notamment en Allemagne. Je pense en particulier aux terrains nus ou aux terrains en mutation. Cela ne signifie pas qu'il faudrait démolir un pavillon entouré d'un petit bout de jardin si le PLU prévoit quatre étages ; mais il faudrait y songer dans le cas d'une mutation avec démolition.

Enfin, lors de sa révision, il faudrait rendre systématique l'application du PLU en vigueur. En effet, entre deux PLU, les opérateurs doivent attendre le nouveau PLU sans que s'applique celui qui a cours.

La fiscalité actuelle, quant à elle, encourage la rétention de foncier constructible car l'imposition est concentrée sur les flux – imposition des plus-values immobilières – et non sur le stock – taxe foncière.

On se rend par ailleurs compte que les abattements exceptionnels ont assez peu d'effet, leur durée – un an – étant trop courte. Ils ne font qu'accélérer des intentions de céder déjà existantes.

De manière générale, et j'espère que nous serons tous d'accord sur ce point, il faudra lutter contre l'instabilité fiscale qui pousse à l'immobilisme les opérateurs et les propriétaires fonciers. Il conviendrait donc de renverser le système fiscal actuel à niveau d'impositions global inchangé, en alourdissant la taxation sur la détention tout en allégeant celle sur les flux – il s'agit bien sûr d'une réforme de long terme. Dans d'autres pays où la question de la rétention foncière ne se pose pas, la possession d'un terrain est plus taxée que sa vente. Adopter une telle logique en France nécessiterait une étude précise sur la taxe foncière qui pourrait être fondée, comme en Amérique du Nord, sur la valeur vénale du terrain et non sur des valeurs quelque peu abstraites. Je proposerai du reste une expérimentation en la matière et la définition d'une pédagogie préalable.

En outre, une taxation plus élevée sur la détention devrait être appliquée en priorité aux terrains détenus par des personnes morales. De grands groupes garderont en effet leurs terrains tant que la taxation ne les incitera pas à les vendre.

En ce qui concerne l'imposition des plus-values immobilières (PVI), nous venons d'adopter un amendement allant dans le sens de ma proposition : définir une année zéro, un abattement dégressif – nous avons voté un dégrèvement de 50 % la première année, de 30 % la deuxième et de 15 % la troisième – et assurer la pérennité du dispositif en prévoyant l'absence de dégrèvement par la suite. Voilà qui devrait inciter, en trois ans, les propriétaires actuels à aller dans le bon sens. De la même manière, nous pourrions réfléchir à un report d'imposition des PVI si ces dernières sont investies pour construire localement.

Dernier point, il convient de mobiliser la dissociation du foncier et du bâti. La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a créé un nouvel outil, le bail réel solidaire, encore assez peu développé, qui vise à encourager une logique patrimoniale, une personne restant propriétaire du terrain mais plus de ce qui y est construit.

J'aborderai, dans une troisième et dernière partie, les blocages dus à la multiplication des recours abusifs, qu'ils soient le fait de personnes dont on peut se demander si elles ont vraiment un intérêt à agir, ou bien de voisins contre un projet de construction. Ces recours, trop nombreux, visent à ralentir – et ralentissent – et à faire échouer l'opération, ainsi qu'à obtenir des contreparties financières. Le constat est général : les délais de recours sont trop longs et la saisine du juge, même sans fondements avérés, est sans grande conséquence aujourd'hui.

Aussi proposons-nous d'aller plus loin que les mesures récentes – notamment que l'ordonnance de 2013 – en encadrant davantage l'intérêt à agir, en réduisant les délais contentieux et en développant la concertation au détriment du contentieux – en particulier au moment où l'on établit les documents d'urbanisme, ce qui demandera aux élus locaux et aux citoyens de se saisir pleinement de la révision des PLU.

Nous pourrions également réfléchir à la mise en place d'une opération coordonnée, sur une ou plusieurs juridictions, de traitement du stock de recours, afin de donner un signe fort – notamment en Île-de-France.

Il conviendrait peut-être ensuite d'instaurer une sorte de « rescrit juridictionnel » pour les décisions d'urbanisme : l'opérateur immobilier saisirait lui-même le juge sur son autorisation d'urbanisme pour en assurer la légalité externe et interne. Enfin, nous proposons d'instaurer un « référé du pétitionnaire » afin que le juge du référé soit systématiquement saisi du fondement des moyens invoqués en cas de recours contre un permis de construire.

J'insiste sur le fait que toutes ces propositions n'ont pas de caractère définitif et je souhaite en discuter avec le plus grand nombre d'entre vous – c'est pourquoi je réitère mon invitation à échanger mardi prochain. Reste que les attentes sont grandes et qu'il nous faut aller au-delà de fortes déclarations sur la nécessité de construire et d'aider la filière du bâtiment et des travaux publics (BTP) à sortir d'une sorte d'anémie persistante.

Construire suffisamment de logements accessibles au plus grand nombre – qu'il s'agisse, j'y insiste, du logement locatif social, de l'accession sociale à la propriété ou du logement non conventionné – est une nécessité certes pour les personnes qui éprouvent des difficultés à se loger, mais aussi pour la filière du bâtiment et pour assurer la compétitivité économique du pays. Un salarié muté d'une région à une autre doit pouvoir trouver un logement. En outre, la question foncière est essentielle dans la détermination du prix d'un logement. Beaucoup a été fait grâce à la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social ; il s'agit de s'attaquer au foncier privé de la même manière.

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