Intervention de Annick Le Loch

Réunion du 7 octobre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Le Loch, rapporteure :

Il est malheureusement très difficile d'apporter une réponse tranchée à cette question, car, depuis l'adoption de la loi, un profond bouleversement du secteur de la distribution est intervenu, à savoir le rapprochement des centrales d'achat des principaux acteurs du secteur : un accord entre Système U et Auchan a fait des numéros 5 et 6 qu'ils étaient jusqu'à présent, le nouveau numéro 2 du secteur, se rapprochant lui-même de Metro Group, cependant qu'Intermarché s'est rapproché de Casino, et Carrefour de Provera. À ce jour, il reste donc dans ce pays quatre centrales d'achat se partageant plus de 90 % du marché. C'est ce nouvel environnement qui, bien plus que les nouvelles dispositions législatives, a marqué le dernier cycle de négociation du fait de la puissance de ces quatre centrales.

La vigilance de l'État n'a pas fait défaut : dès la fin de l'année 2014, il a organisé des tables rondes et installé un comité de suivi des relations commerciales à Bercy ; il a activé la médiation et pris ses responsabilités. Les ministres Carole Delga, Emmanuel Macron et Stéphane Le Foll, ayant pris la mesure de la tension existant encore entre les distributeurs et les fournisseurs, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour pacifier les relations. Pourtant, une fois encore, ces négociations semblent avoir été extrêmement conflictuelles, sur fond de guerre des prix engagée en 2013 dans le secteur de la grande distribution par Casino, décidé à ne pas laisser à Leclerc seul le bénéfice de l'argument des prix. Cette guerre des prix dure depuis deux ans et continue de produire ses effets.

On a ainsi vu certains dirigeants de grands groupes alimentaires dénoncer les conditions de négociation en des termes extrêmement violents. Pour qui suit ce secteur depuis quelques années, il y a incontestablement une part de posture dans ces déclarations. Mais ce qui est indiscutable, c'est que les prix n'en finissent pas de baisser, ce qui met de nombreux fournisseurs dans une situation économique très périlleuse. Le rapport indique que les prix alimentaires ont diminué de 2,6 % depuis deux ans ; il s'agit donc d'une déflation permanente.

Pourtant, de très nombreuses personnes auditionnées l'ont souligné, cette guerre des prix ne profite aujourd'hui à personne : les fournisseurs comme les distributeurs voient leurs marges se réduire progressivement, ce qui obère d'autant leurs capacités d'investissement, d'innovation et d'embauche ; les consommateurs, au final, ne gagnent que très peu en termes de pouvoir d'achat. Il est donc temps d'y mettre fin et de développer de réels partenariats entre les acteurs afin de créer de la valeur sur l'ensemble de la chaîne.

Selon nous, cette indispensable évolution ne passera pas par de nouveaux changements législatifs. Il nous a été rapporté qu'aujourd'hui le corpus législatif était suffisant, et que les acteurs en souhaitent la stabilité. À travers ce bilan de l'application de la loi, on mesure bien aujourd'hui les limites de ces évolutions législatives. L'évolution passera, nous l'espérons, par un changement des pratiques et des mentalités. À la conflictualité exacerbée qui caractérise aujourd'hui les relations commerciales doit être préférée la construction de relations partenariales, à travers la médiation, la labellisation des bonnes pratiques et la conciliation. Dans ce monde du commerce que l'on sait dur, nous espérons que la négociation va se poursuivre et contribuer à faire évoluer les mentalités vers un échange gagnant-gagnant.

La voie est étroite mais elle existe. On ne peut ainsi que se féliciter du récent accord intervenu entre Auchan et la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), afin d'instaurer un cadre de négociation privilégié et durable pour les PME fournisseurs des 120 magasins français de l'enseigne. Nous avons le sentiment que les choses évoluent doucement mais sûrement. De même, Coop de France et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) ont signé un accord-cadre pour favoriser le modèle coopératif alimentaire. Quatre chantiers ont été lancés : renouveler la relation commerciale, rechercher les synergies permettant d'améliorer la compétitivité des filières, déployer le développement durable et mobiliser les réseaux locaux. Déjà, dans le contrat de filière signé il y a deux ans entre les principaux acteurs de la filière agroalimentaire, singulièrement touchée par ces tensions, des actions étaient prévues concernant les relations commerciales. De telles initiatives vont indiscutablement dans le bon sens et doivent se multiplier.

Les prochaines négociations, qui se dérouleront entre décembre et février prochains, seront cruciales et permettront de juger de la volonté des uns et des autres de sortir d'une spirale déflationniste mortifère. Aujourd'hui même, le magazine LSA organise à Paris un grand rendez-vous entre tous les acteurs économiques – distributeurs et grandes fédérations agroalimentaires, juristes, ministre –, afin de réussir les négociations commerciales 2016. Seront également sollicités le Comité de suivi des relations commerciales, reconduit l'an dernier par le ministère de l'économie, ainsi que la Commission d'examen des pratiques commerciales, que nous évoquons dans le rapport et qui a le mérite de rassembler régulièrement tous ces acteurs. Elle devrait pouvoir jouer un rôle important de pacification.

En conclusion, nous souhaiterions souligner que ce rapport nous a également permis d'élargir le questionnement : faut-il toujours plus de concurrence ? Plus de mètres carrés commerciaux ? Ne peut-on pas repenser notre modèle de distribution ? Quelle offre commerciale souhaite-t-on développer ? Le petit commerce indépendant a-t-il un avenir ? Le commerce évolue beaucoup et très vite, les grands distributeurs ont indiqué redouter l'arrivée d'opérateurs très puissants et agressifs tels Amazon fresh ou Costco qui risquent de débarquer en France.

Au-delà des profits générés par des grands groupes et qui font du bien à notre économie, il faut aussi miser sur la richesse et la diversité des territoires. Le maillage de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME) sur tout le territoire est tout aussi vital à notre économie et propose une offre non uniformisée qui fait la caractéristique de la France. J'ajoute que les PME ont été épargnées par les négociations qui se sont déroulées entre la fin de l'année 2014 et le début de l'année 2015. Les distributeurs semblent avoir pris la mesure de ce que ces tensions ont de néfaste pour nos territoires et nos emplois.

Au cours des auditions effectuées pour la rédaction de ce rapport, de nombreux témoignages nous ont confirmé que le modèle de développement à l'oeuvre épuise l'ensemble des acteurs de la chaîne et favorise la disparition progressive des plus petits. Du niveau européen au niveau local, l'ensemble des acteurs des filières doit aujourd'hui s'interroger.

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