Intervention de Hélène Paumier

Réunion du 29 septembre 2015 à 14h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Hélène Paumier, professeure de lettres et chargée de mission sur l'éducation et le numérique à l'association des centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active, CEMEA :

Les CEMEA interviennent dans quatre secteurs : animation, travail social, santé, et école. Je travaille dans le secteur école, sur un plan de formation des animateurs concernant les périodes périscolaires.

Au Lycée pilote innovant international (LP2I), la question du numérique n'est plus du tout genrée. En effet, alors qu'auparavant les garçons étaient majoritaires à étudier le code, la robotique ou l'informatique de spécialiste – ce qu'on appelle la culture geek –, les filles sont aujourd'hui aussi nombreuses à apprendre le numérique au lycée. En effet, nous avons maintenant autant de filles que de garçons dans notre établissement, le corps professoral étant lui-même devenu paritaire après avoir été totalement masculin dans la discipline informatique.

Depuis 2007, tous nos élèves suivent des cours dénommés « TICEM » (TICE pour technologie de l'information et de la communication dans l'éducation, et M pour Média), discipline au service de projets que nous avons créée sur nos propres moyens. D'abord, les élèves de seconde ont une heure de TICEM par semaine. Ensuite, des groupes de quinze élèves consacrent une demi-journée par semaine au minimum à des projets interniveaux (seconde, première, terminale), choisis par eux et menés tout au long de l'année. Les enseignants eux-mêmes proposent des projets au travers des modules interdisciplinaires (MID) réservés aux élèves de seconde – j'ai moi-même organisé un MID pendant trois ans sur le thème de la ville en poésie et en géographie. Dans le cadre de tous ces projets, les élèves doivent produire une vidéo, une émission de radio, un exposé oral avec un support multimédia ou encore un blog. En fin de seconde, tous les élèves doivent avoir réalisé ces quatre productions numériques.

Les TICEM sont donc la boîte à outils des projets. Ils apportent aux élèves la maîtrise des outils (logiciels, applications), mais aussi une initiation au droit d'auteur et plus particulièrement à la réglementation sur la publication numérique. En effet, en demandant à nos élèves de publier leurs productions, nous sommes amenés à aborder la notion de droit de l'image et du son, ainsi que celle d'auteur d'une oeuvre collective, ce qui permet aux étudiants de devenir des utilisateurs avertis de l'outil qu'ils utilisent en permanence. Ces cours nous conduisent également à engager une réflexion sur la trace numérique.

L'équipe des professeurs demande en outre à ses élèves de construire un webfolio, sorte de portfolio numérique commencé en seconde et poursuivi dans une logique BAC+3, dans lequel ils peuvent insérer tout ce qu'ils souhaitent – résultats scolaires, productions dans le cadre des projets, compte rendu de leur voyages scolaires et extrascolaires, diplôme BAFA, etc. – grâce à un outil de leur choix (blog, site, etc.). Au travers de cette démarche accompagnée, les élèves réfléchissent à l'image qu'ils construisent d'eux-mêmes sur le Net. Les professeurs y voient également un travail sur l'orientation et la construction de projets professionnels.

Pour l'enseignement des TICEM, qui sont des cours obligatoires, nous privilégions l'utilisation de logiciels libres. Les garçons ne se montrent pas meilleurs que les filles puisque, je le redis, les TICEM sont un outil au service des projets. Les compétences sont évaluées par le brevet informatique et internet (B2I), dont la dernière version accorde une place importante à l'aspect juridique et à la trace numérique, ce qui en fait un outil parfait à nos yeux.

Avant la création des TICEM, deux disciplines étaient enseignées dans notre établissement : l'informatique-outil, au service des projets, et l'informatique-programmation, qui consistait à coder – option jusqu'à la fin des années quatre-vingt, dénommée APTIC, elle réunissait une fille pour cinquante garçons. À l'époque, le lycée était composé à 65 % de garçons, dont un grand nombre choisissait notre établissement pour mener à bien des projets de programmation – je me souviens d'un projet où des élèves avaient numérisé en 3D le centre historique de Parthenay pour en faire un DVD touristique, en collaboration avec des architectes et des historiens. Ces activités complémentaires de formation (ACF) tournées vers l'informatique concernaient donc essentiellement les garçons – les rares filles présentes étaient issues de la filière « art plastique » pour le design. Les garçons avaient donc des compétences importantes et, comme le montre la thèse de notre collègue M. Pierric Bergeron, documentaliste, intitulée « Que sont-ils devenus ? », un grand nombre mène aujourd'hui des carrières extrêmement brillantes – certains travaillent à Google. Les rares filles pionnières, très bonnes en informatique, devaient être les meilleures pour être légitimes – je pense notamment à une élève partie travailler à Boston.

Il y a neuf ans, le LPI est devenu LP2I en obtenant le label international. Nous avons ainsi ouvert une « section internationale chinois » et trois classes européennes. Cette coloration linguistique a totalement modifié le recrutement, si bien que nous avons aujourd'hui autant de filles que de garçons dans nos classes. Parallèlement, la filière STI2D a disparu, et le lycée est désormais un lycée général. Ainsi, nous sommes passés d'une informatique de geek à une culture numérique au service des projets.

Auparavant, seuls des hommes enseignaient l'informatique au lycée ; aujourd'hui, il y a autant de femmes que d'hommes professeurs de TICEM. Les femmes se sentent légitimes. Elles publient beaucoup sur le site public, aussi bien des productions numériques de leurs élèves – productions sonores, vidéos, blogs –, que des articles sur l'usage du numérique, le lycée étant équipé tout numérique depuis quatre ans avec le déploiement de 700 tablettes pour tous les personnels et tous les élèves. Elles publient également sur le site académique et sur Éduscol.

De notre point de vue, le numérique étant devenu plus convivial en termes d'usage, les femmes se le sont approprié : des outils plus conviviaux permettent de s'intéresser davantage au contenu qu'à la technique. Le numérique en lui-même est indissociable d'une culture numérique : à côté de la technique, il y a la connaissance juridique et éthique. Ainsi, la sensibilisation à la culture numérique est un élément fort de la culture de notre établissement.

La co-formation entre professeurs et élèves, et entre pairs, est très forte au LP2I. Le numérique est un élément de savoir devant lequel nous sommes égaux : les professeurs maîtrisent davantage les questions juridiques, tandis que les élèves se montrent beaucoup plus agiles dans nombre de domaines. Il n'est pas rare, dans un cours de TICEM, qu'un enseignant demande à la classe « Qui sait mieux que moi ? ».

Par contre, rien n'a changé pour nos deux sections de brevet de technicien supérieur, dont un BTS-SNIR (systèmes numériques – informatique et réseaux), où les enseignants sont tous des hommes et les élèves tous des garçons. Dans ces sections, le numérique n'est pas mis autant qu'au lycée au service des projets.

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