Intervention de Michel Cosnard

Réunion du 7 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Michel Cosnard :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, mon propos sera constitué de trois parties : une présentation succincte de mon parcours professionnel mettant en avant ce qui motive ma candidature ; un état des lieux du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur ; un développement sur les évolutions du Haut Conseil qui me semblent souhaitables pour qu'il remplisse au mieux ses missions.

À l'issue de mon doctorat d'État de l'université de Grenoble, j'ai commencé ma carrière de chercheur au CNRS puis ai été nommé professeur à l'École normale supérieure de Lyon où j'ai dirigé le département de mathématiques et d'informatique et créé un magistère en informatique, en lien avec l'université Claude-Bernard de Lyon et l'université Joseph-Fourier de Grenoble. J'y ai également mis en place le laboratoire d'informatique du parallélisme (LIP), aujourd'hui internationalement reconnu, qui est une unité mixte de recherche ayant la particularité d'être associée à l'université Claude-Bernard de Lyon, à l'Institut national des sciences appliquées de Lyon, au CNRS et à l'INRIA.

J'ai effectué le reste de ma carrière au sein de l'INRIA : d'abord en tant que directeur du centre INRIA de Lorraine puis du centre INRIA de Sophia Antipolis, en parallèle avec mon poste de professeur à l'université de Nice-Sophia Antipolis ; en 2006, j'ai été nommé président-directeur général, fonction que j'ai occupée jusqu'en 2014.

Entre 2006 et 2014, j'ai présidé l'Alliance des sciences et technologies du numérique, Allistene, et le groupement européen des organismes de recherche des mathématiques appliquées et de l'informatique, l'ERCIM – European Research Consortium for Informatics and Mathematics.

Pour terminer, je mentionnerai trois missions importantes dans le domaine de l'évaluation : j'ai été membre pendant quatre ans du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) ; j'ai été directeur scientifique adjoint du département des sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC) de la Mission scientifique et technique du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, préfiguration de l'AERES ; j'ai été membre du groupe d'experts de haut niveau en charge de l'évaluation du septième programme-cadre de recherche et de développement de la Commission européenne (7PCRD) – et seul Français parmi ses dix membres.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche du 23 juillet 2013 a remplacé l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur sous la forme d'une autorité administrative indépendante. L'AERES avait pour mission d'évaluer les établissements d'enseignement supérieur et de recherche, les unités de recherche et les programmes d'enseignement supérieur. Cette action d'évaluation était conduite en coordination étroite avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche dans le but d'établir des contrats entre le ministère et les universités, les écoles ou les organismes. Ces missions s'organisaient par vagues, chaque établissement étant évalué tous les cinq ans sur une base régionale. En 2014, l'AERES a ainsi procédé à l'évaluation de 65 établissements, dont le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), de près de 600 unités de recherche, et de plus d'un millier de programmes de formation ; elle a également préparé la transition vers le Haut Conseil.

Je souhaite rendre hommage aux deux anciens présidents de l'agence et à Didier Houssin, président actuel du Haut Conseil, ainsi qu'à l'ensemble du personnel de l'AERES et du Haut Conseil.

L'évaluation a toujours constitué une part importante du travail des enseignants-chercheurs et des chercheurs, cette évaluation ayant la particularité d'être réalisée par le même corps professionnel que celui qui est évalué – on parle d'évaluation par les pairs. La mise en place de l'AERES a donné un caractère systématique à l'évaluation des établissements, des formations et des laboratoires de recherche.

Première conclusion que l'on peut tirer de ces dix dernières années : l'évaluation conduite par l'AERES, puis par le HCERES, est un facteur de progrès de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette période a permis le développement de la culture de l'évaluation au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche et des progrès dans leur autonomie. La qualité des rapports d'auto-évaluation s'est beaucoup améliorée, celle des rapports d'évaluation externes aussi. Ces évaluations ont permis d'accompagner et d'aider au pilotage des rapprochements des établissements et au développement de leur autonomie.

L'évaluation est maintenant mieux acceptée par la communauté académique. L'accueil fait aujourd'hui au Haut Conseil par les équipes sur le terrain en témoigne. L'impartialité des évaluations est reconnue, ce qui justifie le choix fait par l'État du statut d'autorité administrative indépendante. Au cours de l'année 2014-2015, des évolutions dans les procédures ont été conduites qui ont permis au Haut Conseil de s'inscrire pleinement dans le cadre de la loi.

Le décret de mise en oeuvre de la loi prévoyait l'intégration de l'Observatoire des sciences et techniques (OST) au sein du HCERES à compter du 1er janvier 2015. Cette intégration a été une réussite et il faut en féliciter les personnels de l'OST et du HCERES. Elle pourrait permettre de mieux éclairer le jugement des experts en mettant à leur disposition des données quantitatives.

Enfin, l'association européenne des agences qualité pour l'enseignement supérieur et la recherche (ENQA) et le registre desdites agences attaché à la Commission européenne (EQAR) ont tous deux décidé de transférer au HCERES la reconnaissance européenne que l'AERES avait acquise en 2011. Cette reconnaissance est capitale pour l'image de qualité de la recherche et de l'enseignement supérieur français sur le plan européen et international. Ajoutons que l'AERES a été sollicitée pour accompagner la création d'agences d'évaluation dans d'autres pays et pour évaluer des formations et des établissements d'enseignement supérieur à l'étranger.

Au cours des dix dernières années, l'organisation du système national d'enseignement supérieur et de recherche a connu une transformation considérable : autonomie des universités, fusion d'universités, création des communautés d'universités et d'établissements (COMUE), mise en place du programme des investissements d'avenir, définition de contrats de site, accréditation des formations, importance accrue des programmes européens, compétition mondiale exacerbée. Les écosystèmes d'innovation ont eux aussi beaucoup évolué. Or la création de l'AERES était préalable à ces profonds changements et, même si elle a elle-même beaucoup évolué, elle n'a pas pu les intégrer pleinement pour répondre aux missions que la loi lui confie.

La loi pour l'enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 a confié au HCERES la mission d'évaluer les établissements d'enseignement supérieur et de recherche et leurs regroupements, les organismes de recherche, les fondations de coopération scientifique et de l'Agence nationale de la recherche (ANR) ou, le cas échéant, de s'assurer de la qualité des évaluations conduites par d'autres instances. Le HCERES doit aussi procéder à l'évaluation des formations préalablement à l'accréditation ou à la reconduction de cette accréditation. Il doit évaluer a posteriori les programmes d'investissement ainsi que les structures de droit privé recevant des fonds publics. Il peut également participer – et je suis certain que tel sera le cas – à l'évaluation d'organismes étrangers ou internationaux.

La mise en oeuvre de ses missions doit respecter les trois grands principes de la loi : indépendance, transparence, impartialité. Elle doit aussi satisfaire les règles déontologiques internationales de l'évaluation conduite par les pairs, en particulier exclure toute possibilité de conflit d'intérêts. En réaffirmant fortement les règles éthiques et déontologiques qui dictent son fonctionnement, il est indispensable de positionner le Haut Conseil au-dessus de la compétition entre établissements et au-dessus des débats, parfois vifs, qui accompagnent toujours les évolutions profondes de ce secteur. Il convient pour cela de mettre en place un modèle d'évaluation qui vienne soutenir les politiques scientifiques des établissements et des communautés d'établissements, au service de la progression de la qualité de la formation supérieure et de la recherche de notre pays. Cela implique une vision partagée entre le HCERES et les établissements concernés, une reconnaissance de la diversité des établissements, des formations et des laboratoires, et une adaptation des critères à cette diversité. Le HCERES est un appui à la politique scientifique et pédagogique des établissements ; il n'est ni décideur, ni censeur.

La France possède une grande tradition universitaire et académique avec des formations prestigieuses et une recherche au plus haut niveau international. C'est ce niveau d'excellence qu'il convient de faire progresser. Cela n'est possible que dans le cadre d'un partage des grandes orientations stratégiques et d'une évaluation respectueuse de l'autonomie des établissements, soucieuse de les faire progresser au plus haut niveau international.

Il convient de conduire une évaluation intégrée se plaçant au niveau des orientations stratégiques des communautés d'universités et d'établissements ou de leurs équivalents, par sites, et se déclinant au sein de leurs composantes pour évaluer leurs apports à cette stratégie et les performances dans le référentiel associé. Ceci conduit à définir avec chaque site les objectifs de l'évaluation et ses modalités : le HCERES adaptera ses procédures en fonction des grandes orientations stratégiques du site et des particularités des établissements. On ne peut pas évaluer l'université de Paris-Saclay de la même façon qu'on évalue l'université de Strasbourg ou l'université de Bretagne-Loire !

L'évaluation des politiques de site doit s'accompagner d'une approche à grain plus large de l'évaluation des formations et des entités de recherche au niveau d'un site, avec un accent particulier mis sur l'interdisciplinarité. La loi indique que, lorsqu'une unité relève de plusieurs établissements, il n'est procédé qu'à une seule évaluation et que lorsque les établissements décident conjointement de recourir à une autre instance, le Haut Conseil valide les procédures d'évaluation mises en oeuvre par cette instance. Actuellement, cette possibilité n'est utilisée par aucun établissement, à de très rares exceptions près. Mais le HCERES doit mettre en place les conditions et les procédures permettant d'évoluer vers un système où certains sites conduisent l'évaluation de certaines composantes.

Cette évolution vers une évaluation holistique d'un site sera facilitée par l'intégration de l'Observatoire des sciences et techniques au sein du Haut Conseil. Pour chaque site, cela permettra de mieux éclairer le jugement des experts en mettant à leur disposition des données quantitatives. Ces indicateurs devront venir en appui de l'évaluation qualitative et collégiale par les pairs.

Le Haut Conseil tiendra compte aussi des résultats obtenus dans le domaine de la valorisation de la recherche pour remplir sa mission d'évaluation des établissements.

Par ailleurs, le HCERES doit contribuer à définir l'état des lieux de secteurs disciplinaires au plan national et soutenir des travaux de recherche sur l'évaluation. Il pourrait aussi contribuer à l'évaluation de la mise en oeuvre des stratégies nationales de l'enseignement supérieur (STRANES) et de la recherche (SNR). Pour conduire toutes ces missions, et en particulier produire des indicateurs précis et fiables, le Haut Conseil pourra utiliser les services de l'OST. Celui-ci conduira des études pour des besoins internes, dans le cadre des campagnes d'évaluation des établissements, ainsi que pour des besoins externes, à la demande du ministère.

Pour remplir sa mission, le HCERES doit travailler en bonne intelligence avec les autres organismes ou instances d'évaluation : Conseil national des universités, CoNRS, commissions d'évaluation, conseils académiques des établissements, commission des titres d'ingénieur, et d'autres. Les conseils ont pour mission d'instruire les rapports d'évaluation pour préparer les décisions des instances dirigeantes.

Le HCERES doit construire la légitimité de ses avis en utilisant les meilleures pratiques déontologiques et en fondant ses rapports sur les principes d'objectivité, de transparence, d'égalité de traitement, de neutralité et d'équilibre dans la représentation afin de tenir compte de la spécificité des établissements.

Le Haut Conseil devra aussi faire évoluer le modèle économique de l'évaluation. L'AERES avait fondé son équilibre économique sur trois principes : gratuité de l'évaluation ; volume constant d'entités à évaluer ; participation des universités et des organismes de recherche par des mises à disposition de personnels scientifiques.

Or le nombre d'entités à évaluer augmente sans cesse – signe de succès – et les établissements demandent à ce que les mises à disposition soient mieux remboursées. Cette question essentielle au bon fonctionnement du HCERES devra être débattue au sein du conseil en lien étroit avec le ministère et les présidents des établissements. Ma conviction est que l'évaluation doit rester gratuite et que les mises à disposition doivent être mieux remboursées pour garantir l'indépendance des évaluations. Rappelons en effet que le Haut Conseil ne comprend pas de personnel scientifique permanent mais des experts mis à disposition par les établissements en contrepartie d'un remboursement plus ou moins important. Enfin, partout où cela sera possible, il conviendra de simplifier nos procédures afin de les rendre plus transparentes, plus efficaces, moins onéreuses et de rendre du temps aux enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, le HCERES doit continuer à s'intégrer dans l'ensemble des instances d'évaluation européennes et internationales. La reconduction de sa reconnaissance européenne à la suite de l'évaluation du Haut Conseil en 2016 sera l'un des sujets prioritaires.

En une décennie, l'AERES puis le HCERES ont montré l'importance d'une évaluation rigoureuse, impartiale et conduite par les pairs des structures de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'évolution de ces structures et la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche de juillet 2013 ont conduit à une réforme importante de l'AERES. Il convient, tout en conservant les acquis de cette décennie, de prendre la pleine mesure de ces réformes. Le HCERES a un rôle clé à jouer pour servir de repère et d'appui aux établissements en forte évolution.

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