Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 7 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Lors des débats sur la loi pour l'enseignement supérieur et la recherche en 2013, le groupe Écologiste avait formulé plusieurs propositions afin que le futur HCERES soit une instance démocratique de méta-évaluation. Nous entendions par là qu'il aurait pour mission de fixer des règles générales d'évaluation que des comités seraient chargés ensuite d'appliquer. Nous n'avons pas été entendus. Aujourd'hui, la solution inverse s'applique : l'évaluation menée par des comités nécessitant un accord unanime est l'exception et l'évaluation par le HCERES est la règle. Nous le regrettons.

La loi de 2013 a confié de nouvelles missions au service public de l'enseignement supérieur. Citons-en quelques-unes : la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants, la lutte contre les discriminations, l'amélioration des conditions de vie étudiantes, la construction d'une société inclusive, le développement de la cohésion sociale du territoire national, le renforcement des interactions entre sciences et sociétés. À ce vaste programme, il faut ajouter l'impressionnante mission de « contribuer à la croissance et à la compétitivité de l'économie et à la réalisation d'une politique de l'emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution prévisible », qui relève quasiment d'un programme gouvernemental !

Ma première question sera donc la suivante : comment le HCERES prendra-t-il en compte ces nouvelles missions dans sa tâche d'évaluation ?

De nombreux chercheurs dénoncent la pression croissante à la publication très bien décrite par la formule anglo-saxonne du « publish or perish ». Cette pression provient en partie de l'importance donnée aux publications dans le processus d'évaluation. Je cite le journaliste scientifique Pierre Barthélémy : « Dans le système scientifique, les articles publiés sont comme une monnaie. Ils servent à obtenir des "biens" – un poste, un échelon hiérarchique. Cela n'est pas sans conséquence puisqu'on voit parfois certains chercheurs avoir une production prolifique de travaux médiocres voire non-reproductibles, en profiter pour monter dans les hiérarchies, entrer dans les revues, bénéficier de renvois d'ascenseur et obtenir leur signature dans une étude pour laquelle ils n'ont donné qu'un avis. » Il cite encore la technique du salami qui consiste à « découper une recherche en tranches, en sous-sections, et à "vendre", sur la base d'une seule expérience, plusieurs études à des revues différentes ». Cette technique est une réalité. Je le sais d'autant plus que je l'ai moi-même pratiquée. En tant que doctorante à l'UMR d'archéozoologie du Museum national d'histoire naturelle, j'ai publié deux articles au lieu d'un : le premier pour les actes d'un colloque en Pologne, le second pour un colloque français. Je n'en suis pas particulièrement fière mais comme tous mes collègues chercheurs, je subissais cette pression à la publication engendrée par le système d'évaluation. Soutenir cette pression est aussi un sport de groupe, les laboratoires étant eux-mêmes évalués sur les publications de leurs membres.

Deuxième question : comment comptez-vous réformer en profondeur le système d'évaluation de la recherche pour éviter que de telle pratiques ne soient récompensées au lieu d'être sanctionnées ?

Enfin, la publication de travaux de recherche donne lieu à un système financier particulièrement absurde. Les chercheurs communiquent leurs travaux gratuitement à des revues scientifiques privées ; elles les font examiner par d'autres chercheurs, tout aussi gratuitement ; enfin, elles sont vendues à des prix considérables aux universités et aux laboratoires de recherche, qui sont pourtant à l'origine du financement des travaux de recherche.

La solution est simple : elle réside dans l'open data appliqué à la publication. L'instance d'évaluation que vous souhaitez diriger a son rôle à jouer dans la mise en place d'un système plus vertueux. Vous pourriez, par exemple, n'évaluer que les travaux disponibles sur une archive ouverte – je pense notamment à la plateforme HAL, archive ouverte pluridisciplinaire, que vous connaissez parfaitement bien, monsieur Cosnard. Si ce n'est pas le cas, je crains fort que nos collègues chercheurs aient recours à des moyens détournés par avoir accès aux articles dont ils ont besoin pour réaliser leurs travaux de recherche. Je mentionnerai le hashtag #IcanhazPDF qu'utilisent les chercheurs sur Twitter pour communiquer entre eux de façon à obtenir l'article qui les intéresse. Le système est efficace, mais je considère que c'est une manière détournée d'obtenir des informations dont ils pourraient disposer de manière beaucoup plus ouverte et utile.

La recherche se nourrit de la recherche. Pour que nos chercheurs fassent avancer la science, ils ont besoin d'accéder aux résultats de leurs pairs. Le frein que représentent les principaux éditeurs scientifiques, aux marges commerciales excessives, est nuisible à l'efficacité de notre recherche. J'aimerais avoir votre opinion sur l'avenir de cette plateforme et sur votre façon d'imaginer l'évaluation du futur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion