Intervention de Hervé Mariton

Séance en hémicycle du 13 octobre 2015 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Mariton :

…mais faut-il encore la réaliser avec justesse et justice.

Nous ne devons ni renier nos propos d’hier, ni contredire ceux de demain. La maîtrise des dépenses des collectivités locales, les économies, disais-je, sont indispensables. Didier Migaud l’a rappelé devant la commission des finances : globalement, le sous-investissement public n’est pas si considérable. Les secteurs du logement et des travaux publics doivent apprendre à vivre autrement qu’avec l’assistance systématique de la dépense publique.

Cela dit, il y a une manière de faire, et la vôtre est détestable. Ce budget, loin d’être un plateau, ouvre devant nous des abysses, tant vos choix – et vos non-choix –, les fictions et les illusions que vous entretenez, interdisent toute maîtrise de l’avenir.

S’agissant de la retenue à la source, plus vous en parlez, moins il y en a ; moins il y en a, plus vous en parlez. Le projet de loi de finances ne contient rien en cette matière, tellement rien que cette mesure fera l’objet d’un débat ultérieur puisque, après avoir voulu l’introduire dans le débat budgétaire, vous avez été ramené à la sagesse.

Vous aviez parlé de réforme « irréversible », sans oser répéter ce mot dans l’hémicycle, ce dont je vous remercie. Vous avez parlé, je crois, de réforme solide et de pas important ; mais, en démocratie, c’est la représentation nationale qui choisit. Or, outre que vous n’aurez pas le temps de mettre en oeuvre une telle réforme avant l’alternance, elle ne sera heureusement pas irréversible : non pas en vertu de je ne sais quel dogmatisme, mais parce qu’elle est dangereuse et anesthésiante. Les Français doivent en effet connaître le montant de l’impôt qu’ils acquittent. Aujourd’hui, ils savent peu ce qu’ils paient en CSG, mais ils savent ce qu’ils paient en impôt sur le revenu.

Dangereuse, cette réforme l’est aussi en ce qu’elle est peu compatible avec la conjugalisation et la familialisation de l’impôt ; en ce qu’elle facilite l’augmentation de l’impôt et l’aggravation de la concentration de l’effort fiscal ; en ce qu’elle fait craindre une négociation salariale « nette de net » – c’est-à-dire nette d’impôt et de charges sociales –, qui serait déstabilisante et très inégalitaire au sein des entreprises.

Les risques d’une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG ont été d’ailleurs exposés par le président de la commission des finances. Nous sommes résolument contre un tel dispositif.

Des amendements en apparence anodins posent des questions de principe, tel celui voté en commission par nos collègues socialistes sur la déconjugalisation de l’impôt. J’imagine que vous mesurez, chers collègues, la gravité de cette mesure. Le système fiscal français, reflet en cela de choix de société, est conjugalisé : il reconnaît le foyer fiscal davantage que l’individu. Depuis trois ans vos choix, qu’il est de votre droit de faire, traduisent une volonté d’individualisation de la société ; ce faisant vous la fragilisez et la précarisez. Les amendements que vous avez votés, en apparence techniques, ont en réalité une portée très lourde dans ce qu’ils révèlent de votre vision de la société que vous abîmez davantage encore.

La maîtrise de l’avenir reposerait sur celle des taux d’intérêt. Aujourd’hui, le niveau de ces derniers est bas : tant mieux. Ceux qui gèrent les finances publiques s’attribuent une part de réussite en la matière. Mais que se passera-t-il le jour où ces taux remonteront ? J’ignore, d’ailleurs, s’ils remonteront dans trois mois, six mois ou un an ; mais, nous le savons tous, ils remonteront un jour, que ce soit à cause de la politique de la FED, la Réserve fédérale américaine – les autorités américaines se sont exprimées à ce sujet il y a quelques jours, lors de la rencontre des gouverneurs de banques centrales à Lima –, ou du tarissement des financements chinois, lui-même lié à l’évolution économique et financière d’un pays qui est l’un des principaux financeurs de notre dette.

Soit dit au passage, il serait intéressant d’éclairer la représentation nationale sur le financement de la dette publique française, dont nous savons peu de chose. J’espère que le Gouvernement en sait davantage, auquel cas il pourrait nous informer des contributions respectives des pays du golfe arabo-persique et de la Chine, comme des fragilités et des problèmes de souveraineté associés à ces financements.

Ainsi que je l’ai rappelé, sur une période de quinze ans, une augmentation de 1 % des taux d’intérêt générerait un surcoût de 100 milliards d’euros pour les finances publiques. Or, 1 %, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas impossible ; et, dans l’état actuel de nos finances publiques, le surcoût généré serait insoutenable.

Nous ne sommes pas dans le creux d’un cycle économique ; et les cycles – Charles de Courson l’a rappelé en commission – ne durent pas indéfiniment. Or quelle est aujourd’hui la capacité de l’État à réagir, à trouver des solutions face à un cycle dépressif ou à un creux de cycle ?

J’ai critiqué tout à l’heure l’insuffisance de la maîtrise des dépenses et le dérapage de la dette, y compris – je suis capable de le reconnaître – sous le précédent quinquennat, mais le gouvernement de l’époque a fait preuve d’une capacité de réaction. L’urgence était alors, avant et après 2012, de rétablir suffisamment la situation des finances publiques pour être capables de réagir face à un retournement de cycle.

Rien de tel aujourd’hui : Gilles Carrez l’a rappelé, les performances sont mauvaises. Eh oui ! la France fait partie des pays malades de l’Europe.

Oui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il faut une autre politique budgétaire. M. Eckert nous a dit tout à l’heure que les choses se feraient avec du temps, mais j’espère que vous n’aurez pas le temps d’aggraver la situation et de persister dans votre politique budgétaire. À nous, dans l’opposition, d’annoncer aujourd’hui et de démontrer demain de la volonté, de la clarté et des résultats.

Vous appelez, à gauche, à une réforme fiscale. Nous le faisons aussi à droite, mais vous le faites avec tant de confusion ! Vous recourez ainsi, pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu des ménages modestes, à la réforme de la décote, mais qui, ici, est capable d’expliquer à ses concitoyens comment fonctionne la décote ? Quand la réforme fiscale est enfermée dans le corner d’un dispositif aussi illisible, c’est bien qu’il y a quelque chose en amont de cette réforme. Si elle est si difficile à expliquer, c’est parce que c’est son support qui pose problème.

L’amendement de Jean-Marc Ayrault tendant à modifier un dispositif qui n’a pas encore été introduit en fusionnant deux dispositifs qui viennent en réduction de la CSG est lui-même bien compliqué. Croyez-vous vraiment pouvoir mener une politique des finances publiques et une réforme fiscale en procédant d’une manière aussi compliquée, aussi tordue ?

Il ne peut pas y avoir de réforme fiscale s’il n’y a pas auparavant un effort de maîtrise des dépenses publiques. Tout va ensemble : la maîtrise de la dette, celle des dépenses et la réforme fiscale – et la première dimension de réforme fiscale est la baisse des impôts.

La baisse de la dette et des déficits est indispensable au rétablissement de la confiance. Nous convenons tous, en effet, que l’un des problèmes majeurs de notre pays est l’absence de confiance, mais celle-ci est inévitable tant que les finances publiques ne sont pas maîtrisées. Aussi belles soient les paroles, si les résultats ne sont pas au rendez-vous et si la cohérence n’est pas assurée, les entreprises n’investissent pas, les ménages n’empruntent pas et ne dépensent pas.

La baisse des déficits et de la dette est indispensable, sans quoi les citoyens craignent que, d’une manière avouée ou masquée, l’augmentation des impôts ne se poursuive. La baisse des impôts fait partie du pacte social rétabli et exige une baisse des dépenses.

La baisse des dépenses n’est pas facile, mais elle est indispensable. Je sais la prudence avisée du président de la commission des finances en la matière, mais quand les dépenses publiques sont, en France, supérieures de dix points de PIB à ce qu’elles sont en Allemagne et de cinq points à la moyenne européenne, nous n’avons pas le droit de refuser l’obstacle.

Je me suis essayé à chiffrer – ce qui peut certes présenter des fragilités et appeler des critiques – de possibles économies de dépenses publiques, ne serait-ce que pour que vous ne nous reprochiez pas de ne jamais rien proposer.

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