Intervention de Denis Baranger

Réunion du 2 octobre 2015 à 10h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Baranger :

C'est avec une certaine émotion que je prends la parole car je dois avouer que je regretterai nos rendez-vous du vendredi et le plaisir et le profit qu'à chaque fois j'en tirais. J'éprouvais de la reconnaissance à l'égard de M. le président Bartolone et des élus qui venaient régulièrement alors que d'autres tâches très importantes au service de la République les attendaient. Cette régularité m'a beaucoup touché et je ne pense pas être le seul.

Ce rapport restera pour moi un grand exercice de liberté. C'était une première, une première qui ne pouvait avoir lieu qu'ici, au Parlement, et dans un pays comme la France. Dans combien d'autres pays au monde peut-on avoir ce genre de discussions libres entre des élus de tous les camps, avec des universitaires, sur les institutions ? Leur nombre va décroissant avec les années. Cette possibilité d'une liberté intelligente et d'une discussion raisonnable sur la politique est un privilège extraordinaire de notre pays, je veux le souligner.

Exercice de liberté mais aussi exercice de vigilance. Pour reprendre le titre de l'autobiographie de Raymond Aron, je me disais que nous étions tous en quelque sorte des spectateurs engagés, certains d'entre nous étant plus engagés, d'autres étant davantage spectateurs, comme c'est mon cas, mais au total nous avons formé un groupe uni par ce que les Romains désignaient sous la formule d' idem sentire de re publica, Être républicains, c'est sentir ensemble les institutions, ce qui n'exclut pas les divergences. Vous vous êtes adressé à nous, monsieur le président, en nous disant « chers amis », écho de la philia des Grecs. C'est cela : il y a un forum où peuvent se tenir des combats, mais forum il y a et donc possibilité d'entente ultime car on ne tombe pas dans la guerre civile.

Je ne vais pas commenter toutes les propositions, ce n'est plus le moment de le faire, d'autant que les médias commencent à nous faire parler de manière tout à fait étonnante en nous attribuant des propositions que nous n'avons jamais faites.

Ma formation est l'histoire constitutionnelle et mon habitude est de considérer dans le long terme les réformes constitutionnelles ou l'absence de réformes constitutionnelles. Que ce rapport soit suivi ou pas d'une réforme, qu'il y ait ou pas un référendum ou un congrès, à la limite, je m'en fiche. Ce qui compte, c'est que ce rapport marquera. Comme disent les professeurs de droit, il fera jurisprudence, je le crois très profondément. Il restera une étape significative – soyons un peu orgueilleux – de la réflexion sur les institutions.

Je vais prendre l'exemple du quinquennat. Me reviennent en mémoire les déclarations du président Chirac et du premier ministre Jospin expliquant que la réforme de 2000 serait formidable. Aujourd'hui, nous sommes beaucoup à penser qu'elle n'a pas été si formidable. Une part importante des membres de notre groupe de travail s'est ainsi prononcée en faveur d'un retour au septennat. Que cela soit suivi d'effets ou pas, peu importe. Nous avons pu établir un bilan. Certains ont souligné la surpuissance présidentielle, d'autres encore qu'il n'y avait pas assez de libertés. Vous savez que c'est ma position. Je suis un peu sceptique lorsque l'on nous parle de la beauté de l'État de droit et de la perfection de la protection des libertés dans notre pays. Ce jugement que nous avons collectivement porté restera et fera jurisprudence, chose qui n'était pas possible dans les commissions précédentes.

Mis à part le quinquennat, le noyau dur de nos institutions n'est pas remis en cause, et c'est ce que j'ai retenu de notre discussion à l'Élysée avec le Président Hollande. Il faut toutefois examiner de près les ajustements à opérer.

Nous n'allons pas remettre en cause l'équilibre entre régime parlementaire et exécutif fort. Au total, les Français y sont attachés et ne seraient pas favorables à un changement. Mais qu'il y ait plus de parité, qu'il y ait un accroissement du non-cumul, que l'on introduise une dose proportionnelle, que l'on modernise la procédure législative, cela me paraît nécessaire. Par parenthèses, je dois dire qu'avant de siéger dans ce groupe de travail, je ne mesurais pas les pathologies dont souffre la procédure actuelle, qu'il s'agisse du recours à la procédure accélérée ou des dépôts tardifs d'amendements du Gouvernement. Même M. Accoyer, qui ne va pas voter en faveur de notre rapport, fait le même constat que moi.

Pour terminer, j'insiste à la suite de Christine Lazerges sur l'impératif d'une justice plus indépendante. Elle ne l'est jamais assez. La fonction présidentielle n'a rien à gagner à jouer le rôle de garant de l'indépendance de la justice comme le veut l'article 64 de notre Constitution et la fonction judiciaire a tout à y perdre. D'une manière ou d'une autre, ce n'est plus possible.

Nous avons délaissé les questions institutionnelles, les Français ne s'y intéressent plus et c'est notre faute à tous. La manière dont les médias reprennent ce rapport est d'ailleurs très intéressante car ils en disent ce que justement nous ne voulons pas qu'ils disent, se limitant aux questions d'actualité politicienne. Si finalement, par la force de la parole et de la discussion, nous avons travaillé à une constitution plus libre, si par ce que François Mitterrand appelait à la fin de sa vie les forces de l'esprit, nous avons travaillé à une constitution plus vivante, j'en serai très heureux et très reconnaissant.

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