Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 2 octobre 2015 à 10h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Puisque je me suis attribué ici le rôle de celle qui dévoile les arcanes de la politique politicienne, puisque certains ont été surpris et choqués des fuites dans la presse, je vais dire quelques mots des fuites dans la presse.

La véritable histoire, c'est d'abord que ce rapport est plutôt consensuel. Quant ses suites, j'y reviendrai, mais pour ma part, je me fiche pas mal que les thésards de 2030 ou 2040 le considèrent comme un moment marquant de la réflexion institutionnelle ! Je ne voudrais pas non plus que l'on regrette dans quinze ans qu'à la veille d'un accident démocratique majeur, on n'ait pas utilisé les propositions de notre commission.

Toujours est-il qu'il existe un rapport, consensuel, et passionnant sur le fond. Je glisse ici que je n'ai volontairement pas déposé de contribution personnelle, même si j'ai parfois été tentée de le faire, par exemple sur l'introduction dans la Constitution de la lutte contre le dérèglement climatique, qui n'est pas un élément symbolique du tout. Je fais souvent mienne cette phrase de Rosa Luxemburg que je vous livre : « Il n'y a vraiment pas lieu de s'exciter sur des points de détail et des aspects secondaires quand les choses vont globalement dans le bon sens ».

Certains se sont donc aperçus que ce rapport serait bon, et que l'on en attribuerait le mérite au président Bartolone – qui de son côté avait négocié, comme cela se fait normalement, l'exclusivité des propositions avec l'un des quotidiens. Cela, c'est notre vie de tous les jours… Il faut plutôt considérer comme miraculeux que les propositions n'aient pas fuité entre vendredi dernier et mardi de cette semaine.

Or, si la fonction la plus éminente de M. Bartolone est bien sûr de co-présider ce groupe de travail sur les institutions, il se trouve qu'il est aussi, très accessoirement, tout à fait incidemment, candidat aux élections régionales. On ne pouvait donc pas le laisser profiter du bilan très positif de ce rapport… M. Accoyer a donc repris l'intervention qu'il a faite toute à l'heure, et qu'il faisait dès notre première réunion, pour dire qu'il était en désaccord avec tout – même s'il avait dû reconnaître la semaine dernière que nous avions tout de même avancé.

Je suis pour ma part très heureuse d'avoir participé à ces échanges, d'avoir pu expliquer comment nous, politiques, vivons de l'intérieur les institutions, d'avoir entendu des réflexions historiques et juridiques profondes. J'ai, je l'espère, contribué à faire évoluer certains d'entre nous ; et j'ai moi-même évolué. Je partage l'essentiel de ce qu'a écrit Marie-George Buffet dans sa contribution. Mais s'il n'y besoin ni d'une guerre ni de la victoire de Marine Le Pen pour que nous en arrivions à la VIe République, croyez bien que je m'en réjouirai.

À mes yeux, prétendre que la réforme de nos institutions n'est pas une priorité pour notre pays est une erreur profonde – la même d'ailleurs que commettaient les trotskistes lorsqu'ils estimaient que la lutte pour les droits des femmes ne devait pas empiéter sur la préparation de la révolution… Nous ne résoudrons pas la crise sociale, la crise économique, la crise écologique que nous vivons sans moderniser nos institutions.

Je suis très heureuse que le septennat, l'inversion du calendrier et l'instauration de la proportionnelle aient fait l'objet d'un large consensus au sein de ce groupe de travail. Ce sont des réformes qui sont possibles, et il faut le dire. Beaucoup trop d'entre nous ont baissé les bras. L'élection de François Hollande, d'un « président normal », était en partie une réaction à la façon dont Nicolas Sarkozy avait poussé à bout la logique du quinquennat et de la présidentialisation. Cela n'a pas suffi.

Il me semble que la simple observation qu'un quart à peu près des électeurs ne sont pas représentés au Parlement, comme la constatation qu'il a fallu utiliser l'article 49, alinéa 3 pour faire adopter un texte alors que le groupe socialiste dispose de la majorité absolue, suffisent à définir une crise institutionnelle. Nous sommes comme la grenouille que l'on met dans l'eau froide : la température de l'eau monte, et elle est même maintenant très élevée. Il faut réagir fortement si nous ne voulons pas cuire pour de bon.

Vous parlez, monsieur Baranger, de « sentir ensemble la république » : c'est exactement cela le sujet.

Monsieur le président Bartolone, vous aviez dit vrai : vous n'aviez pas de plan caché. Mais quel est le plan maintenant ? Nous avons effectué ensemble un bon travail, nous sommes arrivés à des compromis consensuels. Bien. Mais maintenant, ou tout à l'heure quand nous aurons partagé un excellent et sympathique déjeuner, est-ce que tout s'arrête ? Cela ne me va pas du tout. Je demande, de façon tranquille mais franche et ferme, un droit de suite. Nous proposons que les ministres aient l'obligation de justifier devant le Parlement la non-publication des décrets d'application six mois après la promulgation d'une loi. Je demande donc que nous nous retrouvions dans six mois pour examiner les suites de ce rapport. Je suis vraiment très heureuse d'avoir participé à cette commission ; mais c'est la suite qui m'intéresse.

Encore une fois, j'espère vraiment ne pas être dans la position de dire, dans quinze ans, en allant chercher un vieux rapport au fond d'un placard poussiéreux : « je vous l'avais bien dit, ah, si l'on avait écouté nos propositions lucides… ! »

1 commentaire :

Le 12/12/2016 à 16:49, Laïc1 a dit :

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"Je fais souvent mienne cette phrase de Rosa Luxemburg que je vous livre : « Il n'y a vraiment pas lieu de s'exciter sur des points de détail et des aspects secondaires quand les choses vont globalement dans le bon sens »."

Comprendre : les dégâts collatéraux de la croissance, du capitalisme, ou du communisme, puisque Rosa Luxembourg était communiste, ne sont pas susceptibles d'être pris en compte. Mais dans une démocratie, tout témoignage, toute parole citoyenne doit être prise en compte. Le bon sens au sens démocratique est justement de s'attarder sur les points de détail et les aspects secondaires des choses, car derrière des petites choses en apparence sans importance peuvent se dissimuler les vrais problèmes des peuples et des citoyens. Le bon sens en général qui nie les points de détails et les aspects secondaires est d'essence totalitaire, et il n'est justement pas le bon sens. Rosa Luxembourg était communiste, donc totalitaire (l'histoire a jugé), donc on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'elle dise autre chose...

Dommage seulement que cette citation soit reprise dans un groupe de travail qui a comme mission d'étudier la démocratie et de l'appliquer à la France.

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