Intervention de Général André Lanata

Réunion du 7 octobre 2015 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général André Lanata, chef d'état-major de l'armée de l'air :

En préambule, et puisqu'il s'agit de ma première audition en tant que chef d'état-major de l'armée de l'air devant la commission de la Défense de l'Assemblée nationale, je tiens à dire combien je suis fier de pouvoir évoquer devant vous l'extraordinaire niveau d'engagement des aviateurs au service de la protection des Français. Je veux également remercier la représentation nationale pour le soutien sans faille qu'elle apporte à nos militaires. J'attache une importance particulière à ce rendez-vous et à nos échanges.

Après deux semaines passées à la tête de l'armée de l'air, je dresserai deux constats : tout d'abord, les aviateurs sont au rendez-vous, quels que soient les sollicitations et le contexte sécuritaire ou opérationnel ; ensuite, rien ne permet de penser que la pression des opérations, qui s'est encore accrue, notamment ces deux dernières semaines en Syrie, diminuera en 2016.

Partant de ces constats, je commencerai par témoigner de l'engagement opérationnel de l'armée de l'air, en opérations extérieures comme sur le territoire national, avant de montrer que le seul moyen d'honorer ces missions au niveau actuel et dans la durée est de poursuivre la modernisation engagée par mon prédécesseur, le général Mercier. Nous continuerons donc à transformer l'armée de l'air en un système de combat complet, cohérent, dynamique et réactif, à la disposition de la Nation, du président de la République et du chef d'état-major des armées. Enfin, je vous indiquerai quelles sont mes priorités dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

Quelle est ma vision de l'armée de l'air au moment où j'en prends le commandement ?

Premièrement, je veux souligner sa réactivité, qui est une qualité essentielle pour figurer dans l'élite mondiale. En vingt-quatre heures, une crise peut changer de visage. Ainsi, moins de vingt-quatre heures se sont écoulées entre la décision du Président de la République de réaliser des missions de reconnaissance en Syrie et le survol effectif de ce pays par nos Rafale, le 7 septembre dernier. Nous nous tenions prêts à y effectuer des frappes pour continuer à réduire le potentiel militaire de Daech et, dans la nuit du 26 septembre, cinq Rafale ont frappé un camp d'entraînement de terroristes dans le nord de la Syrie. En janvier 2013, Bamako serait tombée si la chasse française n'était pas intervenue en l'espace d'une nuit. Les actions aériennes combinées à une manoeuvre interarmées ont alors porté un coup d'arrêt puis réduit considérablement les capacités des groupes armés djihadistes et leur ont interdit les sanctuaires dans le nord du Mali. L'armée de l'air est donc capable, et elle le montre, d'intervenir de façon rapide, où que ce soit dans le monde, en moins de vingt-quatre heures. Il s'agit d'une qualité essentielle : l'armée de l'air est l'armée du temps court.

Le deuxième trait essentiel de l'armée de l'air est son caractère global et cohérent. Aux ordres du chef d'état-major des armées et dans le cadre d'une manoeuvre globale interarmées, l'ensemble du spectre des missions aériennes est mobilisé. Reconnaissance et surveillance de vastes étendues, frappes de précision de nos chasseurs Rafale ou Mirage 2000, ravitaillements en vol, transports stratégiques avec l'A400M et largages tactiques avec nos vénérables Transall et C-130, forces spéciales avec les commandos parachutistes de l'air : tout cela est commandé, organisé et contrôlé par un système de commandement performant. Il s'agit là, non pas d'un inventaire, mais des capacités réellement utilisées tous les jours sur les théâtres d'opérations. Parce que nous ne savons pas aujourd'hui de quoi demain sera fait, nous aurons toujours besoin d'un outil complet pour mettre en oeuvre un large éventail de capacités cohérentes entre elles. C'est une question d'efficacité opérationnelle et de souveraineté nationale.

Troisièmement, il convient de souligner l'importance de la permanence des actions aériennes. Pour couvrir des étendues de plus en plus vastes avec des moyens en constante réduction, pour traquer un ennemi fugace et le frapper au moment opportun, pour imposer à la bataille un rythme toujours plus proche du temps réel, il est nécessaire de disposer de toujours plus de permanence. Il s'agit, me semble-t-il, d'une tendance lourde de notre développement, qui se traduit en particulier par le recours aux moyens de surveillance de longue endurance ou l'importance du ravitaillement en vol.

Quatrièmement, cette permanence s'accompagne de la nécessité de renforcer la connexion des forces dans un cadre interarmées et interallié. Les forces aériennes ont en effet besoin de combiner leurs actions entre elles et avec celles des autres armées dans des délais très brefs. Moyens de surveillance, forces spéciales, avions de combat, forces terrestres, avions de transport, hélicoptères de combat ou de manoeuvre : cette mise en réseau élargie facilite le quadrillage de vastes étendues et accroît la réactivité des forces. C'est pourquoi j'estime indispensable de penser le développement de nos capacités d'abord en système de combat global interconnecté et donc, si possible, nativement connectable.

Cinquièmement, existe aujourd'hui le risque de croire que la maîtrise de l'air est définitivement acquise. Nous, aviateurs, avons le devoir de répéter inlassablement qu'il y aura toujours une condition préalable essentielle au bon déroulement de toutes les opérations : la maîtrise de l'air et de l'espace. La présence d'avions russes dans le ciel syrien aujourd'hui en apporte la démonstration. Cette maîtrise garantit non seulement la protection du territoire national, mais aussi la capacité d'entrer sur un théâtre d'opérations. Elle est donc un gage de liberté pour l'action politique et de souveraineté. Il faut le rappeler et préparer les capacités qui nous permettront demain de toujours pouvoir tirer parti de l'exploitation, à des fins militaires, de l'air et de l'espace, comme nous le faisons actuellement.

Notre aptitude à réaliser ces opérations, à garantir l'efficacité et la cohérence et à durer repose sur quatre piliers.

Le premier est la capacité de commander et de conduire des opérations aériennes, qui est une des clés de l'efficacité des opérations aériennes, dans le Sahel, au Levant ou sur le territoire national. La situation tactique est suivie en temps réel, les ordres sont adaptés, transmis et exécutés au même rythme. Il s'agit d'une aptitude centrale, héritée de nos missions permanentes : la défense aérienne et la dissuasion, qui constituent le coeur de nos obligations et répondent à des ordres directs de l'exécutif. En cinquante ans, ces deux missions ont structuré notre système de commandement. Les moyens de commandement et de contrôle associés à des moyens de communication longue distance constituent l'intelligence et le système nerveux de ces opérations.

Deuxième pilier : nos bases aériennes. L'armée de l'air opère à partir de ses bases, que ce soit dans le cadre de ses missions permanentes, d'alertes ou pour intervenir dans des délais très brefs où que ce soit dans le monde. Les premières missions au-dessus de la Libye, du Mali, de l'Irak ou de la Syrie ont toutes décollé de nos bases aériennes métropolitaines ou pré-positionnées. Ainsi, la base aérienne, système complet, réactif et cohérent, participe à part entière du système de combat global de l'armée de l'air. En outre, elle matérialise la présence de l'armée de l'air sur le territoire national et sert de point d'appui à des actions interministérielles ou de service public. Compte tenu de leur importance et de menaces croissantes à l'intérieur de nos frontières, le renforcement de la protection des bases aériennes est l'une de mes priorités – j'y reviendrai en détail ultérieurement, si vous le souhaitez.

Troisième pilier : la préparation opérationnelle, qui se situe au coeur de mes responsabilités, donc de celles de l'armée de l'air. Elle regroupe l'ensemble des actions qui vont permettre aux capacités de l'armée de l'air d'être prêtes le jour où le président de la République décidera de les engager – je pense notamment à l'entraînement de nos équipages ou à l'entretien de nos systèmes d'armes. Elle est essentielle car elle est le gage de notre efficacité, donc de notre crédibilité opérationnelle à l'égard tant de nos autorités politiques, qui doivent avoir confiance dans les possibilités d'emploi de l'arme aérienne, que de nos adversaires, sur lesquels elle procure un ascendant, de nos alliés, qui savent pouvoir se reposer sur un partenaire robuste, et de nos propres forces, qui ont confiance dans les chances de réussite de leurs missions car elles se savent bien entraînées. La préparation opérationnelle fonde notre réactivité ; elle est donc la clé.

La raison d'être et l'enjeu de cette préparation sont les hommes et les femmes de l'armée de l'air, qui forment le dernier pilier, et non le moindre ; il est au centre de mon attention. Actuellement, 5 800 aviateurs sont mobilisés en opération, de jour comme de nuit, dont plus de 4 000 sur le territoire national, forces de souveraineté comprises. Il ne s'agit pas ici uniquement de chiffres et de bilans comptables, même si ceux-ci sont éloquents. Si l'armée de l'air est reconnue comme l'une des meilleures du monde sur l'ensemble du spectre des opérations, depuis les missions humanitaires jusqu'aux opérations de combat de haute intensité, c'est bien grâce à la valeur des aviateurs qui accomplissent ces missions, à leur professionnalisme, à leur expérience opérationnelle et, avant tout, à leur esprit de service. On ne salue jamais assez ce que j'appelle l'« épaisseur opérationnelle », cette qualité humaine, cette abnégation doublée d'une exceptionnelle maturité opérationnelle qui fait la véritable valeur d'une armée.

Aujourd'hui, pour faire face à un contexte sécuritaire exceptionnel, l'armée de l'air est fortement engagée, depuis plus d'un an, à une hauteur qui dépasse les contrats opérationnels issus du Livre blanc. En l'espace d'un an, elle a ouvert deux théâtres supplémentaires, notamment en Syrie ces derniers jours. Nos avions opèrent aujourd'hui simultanément à partir de quatorze territoires. Nos chasseurs ont largué cent tonnes de bombes depuis le début de l'année. Nous sommes engagés sur tout le spectre des missions pour traquer un ennemi qui dispose de ramifications sur notre propre territoire, et ces perspectives me semblent durables.

Face à cette situation, l'armée de l'air est au rendez-vous. Elle l'a encore prouvé il y a un peu plus d'une semaine, lorsque le président de la République a ordonné des frappes sur la Syrie. Nos opérations constituent un exercice de vérité pour nos armées, en particulier pour l'armée de l'air. Vérité sur nos capacités réelles, sur l'efficacité de nos systèmes d'armes, sur le niveau de préparation opérationnelle et sur la valeur de nos soldats. Peu d'armées sont aujourd'hui mises à nu d'une façon aussi exigeante que la nôtre, qui opère au Sahel, en Centrafrique et au Levant, souvent dans des conditions très difficiles qui requièrent prouesses techniques, prouesses opérationnelles et courage. Bien plus, l'armée de l'air assure simultanément en permanence, sur le théâtre national, les missions de protection de l'espace aérien, de sauvegarde et de dissuasion.

Pour faire face à une telle tension opérationnelle, l'armée de l'air doit tout d'abord poursuivre sa transformation. Alors que l'armée de l'air vient de changer de tête, vous vous interrogez probablement sur l'avenir de l'ambitieux plan de transformation lancé par mon prédécesseur. Cette question bien légitime, les aviateurs se la posent également. Je les ai rassurés sur ce point lorsque je les ai réunis sur la base de Villacoublay le premier jour de mon commandement, le 21 septembre. Qu'il n'y ait aucune ambiguïté : je m'inscris pleinement dans la continuité du plan stratégique « Unis pour faire face » lancé par le général Mercier. Je tiens du reste à dire ici publiquement toute mon admiration pour cet officier général hors pair et pour son action volontariste à la tête de l'armée de l'air. Son rôle a été déterminant à un moment où se sont ajoutées à un niveau d'engagement opérationnel hors-norme de fortes contraintes structurelles.

Nous ne nous transformons pas parce que c'est à la mode, mais parce que nous sommes convaincus que le seul moyen d'assurer dans la durée un tel niveau d'engagement est de continuer inlassablement à nous adapter. Le monde évolue en permanence, les technologies également, nos ennemis s'adaptent, la contrainte budgétaire demeure. Dès lors, l'immobilisme n'est pas de mise. Si nous voulons avoir, demain, une armée de l'air aussi performante qu'aujourd'hui, une armée de l'air opérationnelle, modernisée, ouverte aux partenariats, portée par ses aviateurs, nous devons continuer à nous transformer.

Depuis deux ans, les projets-phares du plan « Unis pour faire face » articulent, dans une dynamique d'ensemble et de façon cohérente, la modernisation des capacités de combat, la simplification de nos structures, l'ouverture et le développement de partenariats ainsi que la valorisation du personnel. Mais cette transformation n'est pas un empilement désordonné de dossiers techniques ; c'est une manoeuvre globale, caractérisée par un état d'esprit. Elle passe surtout par les hommes : les aviateurs sont au centre du projet. Ce plan donne un sens à nos évolutions. Les hommes en sont à la fois le moteur et la raison d'être. Je continuerai donc à promouvoir la dynamique d'une armée de l'air qui avance avec les aviateurs aux commandes.

J'illustrerai cette dynamique par trois réalisations concrètes intervenues cet été.

Outre le regroupement du commandement des forces aériennes à Bordeaux cet été, un autre projet emblématique a pris corps le 1er septembre dernier avec la création du centre d'expertise aérienne à Mont-de-Marsan. Cet « Air warfare center » est construit sur un modèle nouveau qui a pour vocation principale de rapprocher sur un même plateau les expérimentations, c'est-à-dire le volet équipements, la réflexion conceptuelle, c'est-à-dire le volet doctrine, et les savoir-faire opérationnels, c'est-à-dire le volet tactique. Ce triptyque sera alimenté en permanence par les retours d'expérience à chaud des unités opérationnelles du commandement des forces aériennes et du commandement des forces aériennes stratégiques. Résolument tourné vers l'innovation, le centre apportera son expertise des programmes aux autorités en charge des opérations aériennes, en coordination étroite avec tous les commandements, y compris pour l'orientation de l'entraînement des forces. Ouverts à des partenariats industriels, nous comptons beaucoup sur les synergies dégagées par un tel travail en plateau.

Le deuxième exemple concerne la formation et de l'entraînement. Grâce à la création, cet été, sur la base d'Orange du CEPOCAA, le Centre de préparation opérationnelle du combattant de l'armée de l'air, nous rationalisons nos emprises et nos structures tout en renforçant la capacité socle de formation et d'entraînement. Ce centre, qui formera à terme 4 000 stagiaires par an, a été créé à partir des effectifs transférés depuis les bases aériennes de Dijon et de Saintes. Cette centralisation des structures de formation du combattant à Orange comporte d'importants effets d'échelle : valorisation des infrastructures, uniformisation des méthodes, renforcement de l'identité de l'aviateur par la transmission de valeurs communes et densification de la base aérienne 115 d'Orange. La préparation opérationnelle du combattant a désormais son pôle d'excellence.

Troisième exemple : le projet « Smart base », qui a été inauguré, cet été également, sur la base d'Évreux. Ce projet innovant consiste à développer, dans le cadre de partenariats, les applications tirées des nouvelles technologies du numérique. Il s'agit, comme pour les smart cities, d'améliorer concrètement la vie du personnel sur les bases aériennes. La vie d'une base aérienne est en effet comparable à celle d'une petite ville qui interagit avec son environnement. L'approche étant résolument expérimentale, il faut accepter un certain foisonnement au départ ; nous accompagnerons, le moment venu, les applications les plus prometteuses. Ce type d'approches est particulièrement adapté à la difficulté que nous avons à appréhender a priori toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Parmi les projets qui se concrétisent chaque jour, nous développons des applications destinées à partager entre aviateurs les informations relatives à différents domaines : protection et sécurité de la base aérienne, administration du personnel ou infrastructure.

Mais la Smart base se caractérise également par son ouverture et sa collaboration avec son environnement. Une première start-up numérique va ainsi s'installer, le 16 octobre, sur la base aérienne d'Évreux, au sein de la pépinière favorisant la synergie entre les entreprises locales et l'escadre de commandement et de conduite projetable, composée de spécialistes des systèmes d'information et de commandement projetables de l'armée de l'air.

Comme le montrent ces trois exemples, le plan stratégique « Unis pour faire face » va continuer à vivre. Si l'armée de l'air est au rendez-vous des opérations, elle démontre également sa capacité à se transformer en conduisant une modernisation d'ampleur. De la réussite de ces projets et de la mise en oeuvre du nouveau plan de stationnement dépend la capacité de l'armée de l'air de réaliser les rationalisations nécessaires et les gains que nous en attendons.

Le second facteur qui nous aidera à obtenir des succès en opération, ce sont incontestablement les décisions prises au titre de l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

Compte tenu du niveau d'engagement de nos forces, il est certain que nous aurions eu des difficultés à garantir la même performance dans la durée sans l'ajustement que vous avez voté en juillet dernier et qui concerne aussi bien les hommes, que les équipements, et leur régénération. L'actualisation de la LPM marque en effet une inflexion significative en ajustant la trajectoire de la programmation au durcissement du contexte sécuritaire. Ce résultat a été rendu possible par l'action volontariste du ministre de la Défense et par des décisions courageuses, compte tenu du contexte budgétaire. Je veux donc saisir l'occasion qui m'est donnée ici afin de remercier votre commission pour son appui et la diligence dont elle a fait preuve dans l'examen, mené tambour battant, de ce texte essentiel pour les capacités des armées, en particulier de l'armée de l'air.

Je souhaiterais également dire un mot de la fin de gestion 2015, qui est importante en ce qu'elle conditionne le lancement sur de bonnes bases des quatre années de la LPM actualisée. Sur le plan financier, la fin de gestion nécessite que toutes les ressources encore attendues se concrétisent. Pour l'armée de l'air, une incertitude existe, comme chaque année, sur la levée totale ou partielle de la réserve de précaution et sur le montant du remboursement des opérations. La couverture du décret d'avance OPEX permettra, par exemple, d'assurer le recomplètement au plus vite des munitions que nous consommons à un rythme élevé en opération. Il est important – et vous me pardonnerez ce tropisme probablement hérité de mes fonctions précédentes – que le ministère aborde l'année 2016 avec un report de charges raisonnable si nous voulons garantir la bonne exécution de la LPM.

Sur le plan capacitaire, je suis attentif à la notification de plusieurs contrats essentiels pour l'armée de l'air, qui doit intervenir d'ici à la fin de l'année. Rénovation des C-130 et des Mirage 2000D, lancement du programme « Avion léger de surveillance et de reconnaissance », dit « ISR léger », commande du troisième système de drones MALE et affermissement de la tranche de huit avions de ravitaillement en vol : autant d'affaires centrales pour la feuille de route capacitaire de l'armée de l'air, tant elles touchent à des domaines clés de ses capacités.

Ces précisions concernant la fin de gestion 2015 étant faites, j'en viens au projet de budget pour 2016. Celui-ci est fondamental pour notre préparation opérationnelle, pour la poursuite de la modernisation de nos capacités, pour la manoeuvre des ressources humaines et pour la poursuite de notre transformation.

Le projet de loi de finances pour 2016 représente la première annuité de la LPM actualisée ; il intègre donc les ajustements apportés par cette actualisation. Pour l'armée de l'air, ceux-ci concernent principalement les crédits consacrés au maintien en condition de nos équipements, qui constitue le premier axe.

En la matière, nous poursuivons les objectifs de remontée de l'activité. L'entretien des équipements est un déterminant de l'activité, laquelle est la clé de notre préparation opérationnelle. L'investissement dans cette préparation est le prix de nos performances en opération ; les heures de vol sont irremplaçables. L'entretien des équipements est donc central. Si je devais résumer l'équation, je dirais que l'objectif consiste à équilibrer la pression des opérations – qui conduit à une surexploitation de certains parcs et au vieillissement accéléré des cellules dans des conditions sévères d'exploitation – à l'aide des mesures décidées en actualisation de la LPM et en LPM, de la poursuite des chantiers de modernisation et de différents chantiers de transformation, dont celui de la formation des pilotes de chasse. Ainsi, la remontée progressive du niveau d'activité à partir de 2016 dépend non seulement de la mise à disposition des ressources prévues par la loi de programmation militaire mais aussi de la baisse des dépenses permise par les réformes engagées dans le domaine du maintien en condition des équipements ou de la « supply chain ».

En 2015, nous observons, comme cela était prévu et malgré la pression des opérations, une stabilisation de l'activité. De fait, les effets des investissements ne sont pas immédiats et ne se font sentir que deux ans plus tard. Ainsi la stabilisation observée cette année est-elle consécutive à la progression des crédits décidée par le ministre de la Défense en 2013. Ce rebond, bien qu'inégal selon les flottes, s'observe déjà, en particulier pour l'aviation de chasse, avec une progression de 3 % attendue cette année. Pour être complet, je dois néanmoins ajouter que cette situation masque des difficultés que nous gérons sur le plan organique : le sous-entraînement des jeunes équipages qui ne sont pas encore engagés en opération et un moindre effort sur certains savoir-faire, que nous surveillons. Pour 2016, toutes choses étant égales par ailleurs, je suis confiant dans le maintien de cette dynamique : nous prévoyons une augmentation de l'activité de l'ordre de 5 % dans tous les domaines : chasse, transport, hélicoptères.

Je rappelle enfin l'importance que revêt la poursuite du projet de formation des pilotes de chasse, dit FOMEDEC. Ce projet est structurant non seulement pour la formation des pilotes mais aussi pour la cohérence du modèle de l'aviation de chasse, la rationalisation de nos emprises et la manoeuvre des ressources humaines. Il importe donc que l'entrée en service de cette capacité se fasse dans les meilleurs délais. Outre une meilleure performance dans la formation de nos pilotes, elle permettrait la réalisation de nombreuses économies indispensables pour tenir les différentes trajectoires de notre transformation.

Deuxième axe : la manoeuvre des ressources humaines. Je crois avoir déjà insisté sur l'importance que j'attache à nos ressources humaines. Les moindres déflations obtenues dans le cadre de l'actualisation de la LPM (1 300 postes) bénéficient principalement au soutien à l'export fourni par l'armée de l'air et aux efforts consentis en faveur du commandement et de la conduite des opérations, du renseignement et de la protection. Elles compensent enfin des contraintes structurelles comme la non-fermeture de certaines emprises. Pour le domaine fonctionnel « air », les déflations sur la durée de la loi de programmation militaire sont ramenées de 4 500 à 3 200. Si l'on tient compte de celles qui ont été réalisées en 2014 et 2015, il reste un peu plus de 500 postes nets à supprimer.

Cette logique arithmétique ne saurait toutefois rendre compte de la complexité d'une manoeuvre RH plus lourde qu'il n'y paraît. Je ferai plusieurs remarques à ce sujet. Tout d'abord, il s'agit bien d'une moindre déflation, et non d'effectifs supplémentaires. Derrière les déflations, il existe un mécanisme complexe de gestion des flux, d'organisation et de gestion des filières. Ainsi l'armée de l'air a besoin de faire des efforts dans certains secteurs. Ces efforts conduisent à des créations de postes supplémentaires dans les métiers de l'aéronautique, de la protection, des structures de commandement et de conduite des opérations ou des unités de drones, qui montent en puissance. Environ 700 postes supplémentaires seront ainsi créés sur la période 2015-2019. Il est donc nécessaire d'ajouter aux déflations nettes les gages à mobiliser pour permettre ces créations. Aussi les déflations totales à réaliser s'élèvent-elles en réalité à environ 1 200 postes entre 2015 et 2019. Du point de vue des flux, le freinage des déflations conduit à doubler le taux de recrutement en 2015 et 2016. Nous ne sommes pas inquiets sur ce point, mais la vigilance reste de mise.

Tout cela montre combien les restructurations restant à effectuer sont indispensables pour atteindre nos objectifs. Nous continuons donc à densifier nos emprises, à optimiser nos transferts de personnels et à réorganiser nos métiers comme nos structures.

Il me faut, pour être complet sur ce sujet, signaler la diminution du taux d'encadrement, c'est-à-dire de la proportion des officiers dans l'ensemble de la population des aviateurs. Le modèle des ressources humaines de l'armée de l'air est, me semble-t-il, spécifique : le volume de ces officiers ne peut être évalué en fonction du seul taux d'encadrement. En effet, nos pilotes et navigateurs sont tous officiers. C'est un mécanisme différent mais comparable à celui des médecins ou des ingénieurs. Le volume de déflation et le dépyramidage ne peuvent pas être abordés sans tenir compte de cette particularité. En termes de cible, nous avons atteint, en 2015, le maximum de ce que nous pouvons réaliser compte tenu de l'augmentation de nombreux besoins, notamment dans les structures de commandement et de contrôle ou dans les structures internationales – ce raisonnement vous avait déjà été présenté par mon prédécesseur.

Enfin, la condition du personnel contribue à l'efficacité opérationnelle de nos forces. Nous demandons beaucoup à notre personnel, dans un environnement qui est incertain à de nombreux égards et suscite de l'anxiété. J'estime donc important de prendre en considération ses attentes et de lui donner le sentiment qu'il bénéficie d'un traitement équitable ; je prendrai le temps d'analyser la situation et de faire remonter les éléments qui me paraîtront les plus significatifs dans ce domaine.

En ce qui concerne la trajectoire capacitaire, le budget pour 2016 permet à l'armée de l'air de poursuivre la modernisation de ses capacités de combat dans le domaine des équipements. Compte tenu du contexte opérationnel, la tenue des feuilles de route capacitaires est indispensable dans une LPM qui ne dispose d'aucune marge.

S'agissant de l'aviation de combat, les perspectives s'organisent autour des éléments clés suivants. Premièrement, la modernisation du Mirage 2000D. En 2020, la plupart des flottes anciennes seront retirées du service ou sur le point de l'être, et l'armée de l'air possédera une centaine de Rafale. La rénovation programmée du Mirage 2000D joue donc un rôle essentiel dans la préservation non seulement de la cohérence opérationnelle mais aussi de l'équilibre du format de l'aviation de chasse.

Deuxièmement, l'export du Rafale est indispensable à l'exécution de la LPM. Nous avons en effet construit notre feuille de route capacitaire sur cette hypothèse, qui suppose une reprise impérative des livraisons en 2021 ; à défaut, il faudrait revoir à la baisse les ambitions de l'aviation de combat.

Troisièmement, la montée en puissance du deuxième escadron nucléaire sur Rafale est un point d'attention majeure. Cet escadron doit être opérationnel à l'été 2018. Sa montée en puissance a débuté cet été à Saint-Dizier, où les ressources humaines et les compétences commencent à être transférées. Vous comprenez bien que, pour une mission de cette importance, ces mouvements sont en partie irréversibles. Dans ce cadre, nous attendons dès 2016 le début de la restitution des six Rafale biplace prélevés sur nos livraisons dans le cadre de l'export Égypte. Puisque j'évoque la dissuasion, il me paraît utile de vous signaler également le lancement en 2016 des importants travaux d'infrastructure nécessaires à l'accueil des avions ravitailleurs MRTT « Phénix » sur la base aérienne d'Istres.

Dans le domaine du commandement et de la conduite des opérations aériennes, l'année 2016 sera marquée par la mise en service, à Lyon, du système de commandement et de conduite des opérations aériennes de l'OTAN, ACCS (Air command and control system), qui permet la rationalisation du dispositif autour de trois centres de détection et de contrôle au standard OTAN, tout en garantissant la robustesse du système pour les missions de souveraineté nationale. Cette intégration se fait en effet au sein du programme « Système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales » (SCCOA).

S'agissant du renseignement, outre le programme d'ISR léger que j'ai évoqué, les priorités pour 2016 concernent principalement le système Reaper. Il s'agit en effet d'une des capacités clés dans la bande sahélo-saharienne, de sorte que la demande en heures de vol augmente : celles-ci ont doublé en l'espace d'un an. Je serai attentif à la livraison, courant 2016, du deuxième système, à la commande du troisième avant la fin de l'année 2015 et à la commande du quatrième en 2016, afin que nous soyons en mesure d'atteindre le format décrit dans la loi de programmation militaire. Je veillerai également à ce que soit étudiée l'acquisition d'une capacité de pilotage des missions depuis la France, avec une station sol sur la base aérienne de Cognac, qui permettrait de soulager temporairement la pression que subit un nombre d'équipages limité à ce stade.

Quant à l'aviation de transport, il s'agit d'une capacité sensible, car extrêmement sollicitée en opération, et qui mérite en conséquence une attention particulière. L'enjeu se situe dans la poursuite de la modernisation de la flotte, avec les livraisons de l'A400M. Nous en attendons trois en 2016, qui s'ajouteront aux huit, dont nous devrions disposer fin 2015. Je suis également très attentif au dialogue engagé actuellement avec l'industrie sur la question des standards tactiques de cet appareil. Par ailleurs, la flotte de C-130, constitue un complément indispensable à l'A400M, en particulier pour les missions effectuées au profit des forces spéciales. Outre le lancement de leur rénovation en 2015, l'acquisition de quatre C-130 supplémentaires, qui vise à soutenir nos efforts en opération, est à l'étude.

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