Intervention de Laurent Collet-Billon

Réunion du 7 octobre 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement :

Je vous remercie de me recevoir dans le cadre de l'examen du PLF 2016, relatif à la troisième année d'exécution de la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019.

Je commencerai par faire un point sur l'exécution du précédent budget, qui a été marquée par l'actualisation de la LPM. Je détaillerai ensuite le projet de loi de finances 2016 pour ce qui concerne le programme 146 « Équipements des forces » et le programme 144, qui inclut des études amont conduites par la DGA.

En ce qui concerne l'exécution budgétaire 2015, sur le programme 146, les besoins de paiements actualisés sont estimés à environ 12,7 milliards d'euros, contre 11,7 milliards l'année dernière, cette hausse étant liée au règlement du différend franco-russe concernant les BPC Mistral, qui a transité par ce programme. Je vais y revenir.

Les ressources en crédits de paiements s'établissent, quant à elles, à 11,2 milliards d'euros, répartis comme suit : 7,686 milliards d'euros de crédits budgétaires initiaux, réserve levée ; 67 millions d'euros de reports de 2014 sur 2015 ; 990 millions de prévisions de ressources extrabudgétaires liées aux fonds de concours, à l'attribution de produits et à des transferts et virements avec les autres programmes – 97 millions hors BPC – ; 23 millions de ressources exceptionnelles sur le CAS-Fréquence provenant des redevances des opérateurs ; 250 millions de crédits de paiements de 2014 ouverts sur le programme d'investissements d'avenir (PIA) pour financer les besoins de 2015.

Nous attendons, par ailleurs, 2,201 milliards d'euros de crédits budgétaires complémentaires qui doivent être ouverts fin décembre par la loi de finances rectificative (LFR) de fin d'année, en compensation, notamment, de la disparition des ressources exceptionnelles actée par le vote de la LPM actualisée. Ces derniers incluent 57 millions d'euros correspondant au solde de l'avance faite par le programme 146 pour le paiement de la transaction avec la partie russe concernant les BPC.

À ce sujet, le programme 146 a été amené à avancer la somme de 950 millions d'euros dans le cadre du règlement des BPC russes au début du mois d'août. Or il ne disposait plus d'assez de crédits de paiements disponibles à cette date : la réserve de précaution de 615 millions d'euros a été entièrement levée. Cette avance de 950 millions d'euros a été partiellement remboursée par DCNS, après règlement de la COFACE, via un fond de concours de 893 millions d'euros. La différence de 57 millions d'euros, à la charge de ce programme, a vocation à être compensée en fin d'année par des crédits budgétaires.

Sous réserve de la mise en place effective du montant prévu de crédits budgétaires en fin d'année en LFR, le report de charge sur le programme 146 serait de l'ordre de 1,743 milliard d'euros sur le périmètre incluant les dépenses obligatoires, estimées à 300 millions d'euros.

Le niveau d'engagement prévu en fin d'année est de 13,3 milliards d'euros – 12,357 milliards d'euros hors BPC. Ce fort niveau d'engagement traduit en particulier le lancement de commandes liées à l'actualisation de la LPM et l'engagement du remboursement des BPC russes.

Par ailleurs, le programme 146 connaît, en cette fin d'année, des tensions de trésorerie inédites.

La mise à disposition tardive de crédits budgétaires sous forme d'une LFR en décembre, se substituant aux recettes exceptionnelles (REX) prévues initialement en septembre, place ce programme en rupture de paiement très tôt ; et ce, malgré la levée de la réserve de précaution en août – 615 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement – et le report en fin d'année de l'ensemble des versements prévus à l'Organisme conjoint de coopération en matière d'armement (OCCAr) et à l'agence NAHEMA (NATO Helicopter Management Agency) sur les programmes FREMM et NH90.

Cette rupture de trésorerie pourrait être retardée d'une à deux semaines grâce à la consommation des intérêts remboursés par l'OCCAr – de l'ordre de 180 millions d'euros –, dont la mise en place est en cours. Enfin, la récupération du reliquat des provisions SOFRANTEM – provisions constituées pour couvrir les risques financiers liés au contrat export de DCN avant son changement de statut –, à hauteur de 148 millions d'euros, pourrait retarder d'une semaine encore la date de fin de paiement. Mais leur attribution au programme 146 est contestée par la direction du budget.

À la veille de la LFR, les créances dues par ce programme atteindront près de quatre milliards d'euros. Si la LFR est au rendez-vous au montant prévu, le report de charge sera, comme je l'ai dit, maîtrisé, mais à la condition qu'il n'y ait pas d'annulations de crédits pour couvrir les surcoûts induits par les OPEX, Sentinelle ou une éventuelle insuffisance sur le titre 2. Hier soir, nous avions 217 millions d'euros en crédits de paiement : nous envisageons de mettre de côté 200 millions d'euros pour payer notamment les PME ; il reste donc 17 millions utilisables pour les autres dépenses ordinaires.

S'agissant des études amont, leur exécution au titre du programme 144 sera, quant à elle, conforme, en engagements et en paiements, aux objectifs de la LPM si la levée de la réserve intervient, à savoir 727 millions d'euros d'engagements et 768 millions d'euros de paiements – dont 50 millions au profit du dispositif Régime d'appui pour l'innovation duale (RAPID), à destination des PME et PMI innovantes. Je souligne à ce sujet le grand succès de la tenue de l'assemblée générale du club RAPID – à laquelle le ministre de la Défense a participé il y a quinze jours – qui a réuni 200 PME et 17 grands groupes et a permis 1 200 à 1 300 rencontres.

Il convient de noter que les ressources consacrées à l'effort de R&T en 2015 – qui, outre les études amont, comprend principalement les subventions vers l'ONERA et l'Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis (ISL) – représentent 861 millions d'euros d'engagements et 902 millions d'euros de paiements.

Les principales études en 2015 portent sur un démonstrateur de sonar actif, qui permettra d'améliorer les capacités de nos sous-marins nucléaires, un démonstrateur pour le futur standard MK3 de l'hélicoptère Tigre, la nouvelle génération de missile de croisière et antinavire lourd, les études d'avant-projets détaillés du SNLE 3G, qui entrera en service à l'horizon 2032-2033, de nouveaux algorithmes de détection-reconnaissance-identification et la poursuite des travaux de maturation technologique du domaine aéronautique de combat, principalement tout ce qui concerne les composants actifs qui permettent d'améliorer la détection et la protection.

Sur la part des études amont du programme 144, le report de charge prévisionnel s'établit à 115 millions d'euros fin 2015, si la réserve de 60 millions d'euros est levée.

S'agissant de la maîtrise des performances, les devis et délais des programmes sont maîtrisés. Hors impact de la LPM actualisée, les indicateurs sont globalement conformes aux objectifs du projet annuel de performances (PAP).

Parmi les principales commandes déjà notifiées cette année, on peut citer la commande d'un deuxième système de drones MALE en juillet 2015, de deux navires BSAH (bâtiments de surveillance et d'assistance hauturiers) en août 2015, du troisième satellite MUSIS en juillet 2015 en coopération avec l'Allemagne et de 75 stations sol COMCEPT.

La fin de l'année 2015 devrait voir aboutir plusieurs autres commandes majeures : sept Tigre et six NH90 au titre de l'actualisation de la LPM ; la réalisation des futurs satellites de télécommunications COMSAT NG ; huit avions MRTT, le lancement du programme frégates de taille intermédiaire (FTI) et l'acquisition d'un nouveau système de drone MALE pour lequel nous avons reçu la lettre d'offre américaine fin septembre 2015.

Les livraisons importantes en 2015 concernent le troisième vecteur aérien pour compléter le premier système Reaper et deux avions A400 M – sachant que cette année connaît une baisse des prévisions de livraisons de ces appareils résultant des retards industriels actuellement constatés, notamment sur la mise au point des nouvelles capacités tactiques contractuellement dues pour le troisième avion de 2015.

S'y ajoutent six hélicoptères NH90, cinq Rafale, une frégate FREMM, des équipements FELIN et des missiles Aster 15 et 30.

En 2015, plusieurs urgences opérations (UO) ont en outre été lancées pour un montant de 83,4 millions d'euros. Elles concernent, entre autres : des matériels visant à améliorer le déploiement, la préparation opérationnelle et la communication pour le Tigre, pour 11,4 millions d'euros ; des équipements supplémentaires pour le Rafale pour quatre millions – je pense notamment aux premiers essais réussis de communication par satellite, il y a quelques semaines – ; des capacités d'appui électronique dans le domaine du renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) avec l'opération STERNES pour 10 millions d'euros ; des postes radio et des jumelles de vision nocturnes pour le commandement des opérations spéciales (COS).

Nous nous plaçons donc à la fois sur le temps long et le temps court.

En matière de base industrielle et technologique de défense (BITD), j'avais déjà mentionné l'année dernière le rapprochement entre Krauss-Maffei Wegmann et Nexter. Ce dernier a été scellé en juillet dernier.

Je citerai, par ailleurs, le rapprochement de Safran et Airbus Group sous l'entité Airbus Safran Launcher Holding (ASLH) qui rassemblera, à terme, les systèmes de lanceurs d'Airbus Group et les systèmes de propulsion spatiale de Safran. Il s'agit d'une étape majeure vers la consolidation de la filière spatiale européenne. Nous avons aussi signé des accords constituant une marche importante avec nos partenaires britanniques dans le cadre de l'initiative « One Complex Weapons ».

S'agissant des exportations, les prises de commandes des entreprises françaises de défense ont atteint 8,2 milliards d'euros – pour les contrats entrés en vigueur en 2014 –, le meilleur résultat des cinq dernières années et le second depuis dix ans.

En 2015, la France a remporté ses premiers contrats export Rafale. Le premier, qui est entré en vigueur, a été signé avec l'Égypte et porte sur 24 Rafale, avec les armements associés, pour un montant total de 5,2 milliards d'euros (ce montant incluant également la vente d'une FREMM). Le second a été signé avec le Qatar pour 24 avions, avec les armements associés, pour un montant de 6,3 milliards, sachant qu'il n'est pas encore entré en vigueur et que des points restent à traiter autour de la formation des personnels qataris.

Ces succès ont permis de lever l'hypothèque principale qui pesait sur la LPM – nous devions prendre 26 Rafale dans le cadre de cette loi et en exporter au moins 40. Cet objectif est pratiquement atteint et le sera à coup sûr si nous formalisons le contrat indien dans des délais raisonnables.

Le montant des contrats entrés en vigueur fin août atteint 4,4 milliards (hors contrats Rafale) et les prévisions de prises de commandes pour l'année 2015 seront probablement dépassées. Pour mémoire, l'objectif du PAP 2015, hors Rafale, est fixé à 5,7 milliards d'euros.

L'année sera donc historique en termes d'exportations, même si tout cela reste encore conditionné par un certain nombre de négociations en cours avec différents pays du Moyen-Orient ou d'Asie.

Concernant les effectifs, pour la DGA, l'actualisation de la LPM conduit à un allégement de la déflation de 150 emplois équivalents temps plein (ETPE), portant sur des métiers sous tension contribuant à l'effort en matière de sécurité, de renseignement ou de lutte contre le terrorisme et répondant aux orientations gouvernementales. Par ailleurs, un renforcement de la cyberdéfense, pour un volume complémentaire de 90 ETPE, a été décidé.

L'année 2015 est marquée, par ailleurs, par la reprise des recrutements – 361 recrutements civils et militaires confondus pour 370 besoins exprimés –, ce qui a permis de compenser la déflation excessive observée en 2014.

Au final, la DGA arrivera fin 2015 à un effectif global d'environ 9 700 ETPE, soit une réduction d'environ 20 % depuis 2009. La DGA prend donc toute sa part dans l'effort de déflation du ministère.

Venons-en au PLF 2016.

S'agissant du programme 146, les besoins de paiement s'établissent à 9,8 milliards d'euros, hors report de charge de l'année 2015.

Les ressources en crédits de paiement prévues pour ce programme en 2016 s'établissent, quant à elles, à 10,016 milliards d'euros. Ces ressources incluent les crédits budgétaires qui se sont substitués aux ressources exceptionnelles initialement prévues par la LPM, suite aux mesures prises à l'occasion de son actualisation.

Ces ressources se répartissent entre des crédits budgétaires, à hauteur de 9,953 milliards d'euros, et des prévisions de ressources extrabudgétaires – fonds de concours, attribution de produits –, à hauteur de 63 millions d'euros.

On notera que le niveau de dépenses autorisé s'élève à 9,844 milliards d'euros et est inférieur aux 10 milliards de crédits de paiement que j'ai cités précédemment. Le report de charge sur le programme 146 pourrait être abaissé à un peu moins de 1,6 milliard d'euros fin 2016 si l'intégralité de la LFR lui était attribuée fin 2015. Cette amélioration temporaire est nécessaire pour limiter le report de charges de fin 2019 à 2,8 milliards, compte tenu des profils de paiements des années 2017 à 2019 consécutifs, en particulier, aux commandes d'équipements décidées par la loi d'actualisation. Je rappelle à cet égard que la réserve du programme, qui servait de « matelas » amortisseur dans les temps précédents, a été intégralement levée pour payer les BPC russes.

Une hausse du report de charge 2016 conduirait à une dégradation du report de charge 2019, qui pourrait rendre nécessaires des étalements ou des annulations de commandes d'équipements.

Enfin, les besoins d'engagements s'établissent à 9,632 milliards d'euros. Ce niveau est en baisse par rapport aux forts niveaux connus en début de LPM. La majorité des nouveaux programmes prévus par la LPM auront, en effet, été lancés comme prévu en 2014 et 2015.

Concernant le programme 144, les ressources consacrées aux études amont représenteront 680 millions d'euros d'engagements et 707 millions d'euros de paiements.

On note une légère baisse des engagements et des paiements par rapport à 2015, conforme au profil de ressources prévu de la LPM et à la valeur moyenne pour les études amont, qui est de 730 millions d'euros par an.

Les principales caractéristiques de l'année 2016 seront la poursuite de travaux sur les architectures modulaires de guerre électronique, la préparation des futurs standards du Tigre, la préparation de la future composante sous-marine océanique stratégique, la feuille de route technologique liée à la frégate de taille intermédiaire (FTI) et de nouvelles études dans le domaine de la cyberdéfense.

Même s'il n'est pas prévu en 2016 de lancement de programme majeur, on notera les commandes suivantes : un système de drones de lutte anti-mines ; un quatrième bâtiment multimissions (B2M) ; la régénération de véhicules blindés légers ; la commande du fusil d'assaut de nouvelle génération, arme individuelle future (AIF), destinée à remplacer le FAMAS ; des équipements sécurisés cyber ; des stations satellites COMSAT NG et des roquettes à précision métrique pour le Tigre, particulièrement utiles pour les opérations dans la bande sahélo-saharienne. Enfin, nous commanderons probablement en 2016 des avions de transport Cl30, le périmètre et les modalités de cette commande étant en cours d'étude, comme indiqué dans la loi d'actualisation.

Les livraisons se poursuivront à un rythme soutenu en 2016 avec 11 hélicoptères Tigre et NH90 – deux en version navale et quatre en version terrestre –, six Rafale neufs et trois Rafale marine mis au standard F3, 25 poids lourds pour les forces spéciales attendus avec impatience par le COS, trois A400M en théorie, deux premiers lots de missiles de croisières navals (MdCN) ; un lot de missiles M51 ainsi que l'adaptation du second SNLE NG, Le Triomphant. Il faut y ajouter un centre de détection et de contrôle (ARS) à Cinq-Mars-la-Pile dans le cadre du programme SCCOA, une FREMM, un système de drones MALE et 31 missiles Aster 15 et Aster 30 B1.

S'agissant des effectifs et de la masse salariale, l'objectif de déflation de la LPM devrait conduire à 9 600 ETPE fin 2016. Les recrutements au juste besoin doivent se poursuivre pour garantir les compétences indispensables à la conduite de nos missions, comme par exemple dans la cyberdéfense ou les systèmes d'ingénierie moderne.

En conclusion, la gestion de 2015 est contrainte par de fortes tensions de trésorerie, dues à la mise à disposition tardive des crédits budgétaires remplaçant les recettes exceptionnelles prévues initialement.

On prévoit une amélioration du report de charges du programme 146 fin 2015 par rapport à l'année dernière grâce à l'utilisation des crédits ouverts en 2014 sur le PIA, pour 250 millions d'euros, et à des aménagements d'échéanciers de programmes.

Pour autant, cette amélioration temporaire du report de charge n'est pas liée à une amélioration, sur le fond, de la santé financière du programme 146, dont le report de charge fin 2019 devrait atteindre le niveau très élevé de 2,8 milliards d'euros.

Par conséquent, si le programme 146 subit de nouvelles amputations, notamment s'il ne dispose pas de la totalité du montant actuellement prévu en LFR de décembre – soit 2,2 milliards d'euros –, il faudra procéder à un réexamen des commandes et de l'étalement des livraisons, nécessaire pour assurer sa viabilité financière.

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