Pour commencer, je reviens sur le volumineux rapport sur la négociation collective en 2014 dont nous vous apportons un exemplaire papier, dernier du genre puisqu'il a vocation à être remplacé par une version exclusivement numérique dès l'année prochaine. Ce document de plus de 700 pages, qui rassemble les contributions d'une soixantaine de collaborateurs, essaie de proposer un panorama de la réalité de la négociation collective tant au niveau national et interprofessionnel que dans les branches et les entreprises.
Le rapport est synthétisé par la direction générale du travail mais elle reçoit les contributions des partenaires sociaux et la collaboration des services de l'État qui, de près ou de loin, s'intéressent et participent au processus qui aboutit à l'extension d'accords collectifs – notamment la délégation générale à l'emploi, mais aussi le ministère chargé de la sécurité sociale pour la prévoyance, ainsi que les ministères de l'agriculture, des transports et de l'énergie.
Quelques ordres de grandeur : une dizaine d'accords nationaux interprofessionnels sont signés chaque année, dans les domaines correspondant au paritarisme dit de gestion : l'assurance-chômage, les retraites complémentaires, la prévoyance, autant de domaines clés dans lesquels les partenaires sociaux jouent un rôle moteur, l'État étant en seconde ligne.
Entre 950 et 1 000 accords de branche sont conclus par an. Les branches sont aujourd'hui au nombre de 750. Toutes les branches ne négocient pas ; les accords sont le fait d'à peine 150 branches chaque année, certaines négociant très peu, ce qui explique le processus de restructuration en cours.
Enfin, 35 000 à 40 000 accords d'entreprise sont signés.
Les salaires sont le thème central, consubstantiel oserai-je dire, de ces accords. Cette question est historiquement, techniquement et mécaniquement au coeur de la négociation collective. Les salaires restent le domaine privilégié sur lequel les salariés et leurs représentants attendent l'employeur, indépendamment de l'obligation légale de négociation qui s'y rattache.
Le deuxième thème prépondérant de ces accords est la méthode et les conditions de la négociation. Enfin, le troisième thème est lié au paritarisme de gestion – la formation professionnelle, les retraites complémentaires et la prévoyance.
Quelle est la dynamique à l'oeuvre dans ces accords ?
On observe ces deux dernières années une baisse du nombre d'accords de branche sur les salaires, qui représentaient jusqu'à présent la moitié des accords – en 2014, sur les 950 accords signés, entre 400 et 450 portent sur les salaires. Cette évolution ne tient pas à un refus de la négociation par les partenaires sociaux mais à la situation économique : dans une période de ralentissement de la masse salariale et de l'inflation, il est difficile de s'accorder sur une revalorisation significative. Le contexte économique influe sur le résultat de la négociation ; il ne pèse pas sur le processus lui-même mais sur son aboutissement.
Cette diminution du nombre d'accords sur les salaires permet de relativiser les considérations selon lesquelles la pression sur la négociation entraîne une rigidité des salaires à la baisse et empêche l'économie de se développer. Nous ne constatons pas aujourd'hui d'accords qui feraient croître la masse salariale de manière inconsidérée dans une période de ralentissement général de celle-ci. Il n'y a pas d'effet anticyclique de la négociation salariale.
Le succès de la négociation collective tient aussi au paritarisme de gestion : les partenaires sociaux sont en charge de la définition des règles qui s'appliquent aux régimes qu'ils gèrent, des avantages qu'ils peuvent accorder aux salariés et des services qu'ils peuvent apporter aux entreprises. L'existence d'un domaine de compétence clairement délimité donne du grain à moudre aux partenaires sociaux. Les partenaires sociaux détiennent une compétence dans le domaine de la protection sociale obligatoire mais, s'agissant de la prévoyance, ils interviennent également dans un domaine dévolu aux marchés. C'est d'ailleurs au nom de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle que le Conseil constitutionnel a, en juin 2013, interdit les clauses de désignation d'organismes assureurs dans les conventions collectives organisant un régime de prévoyance. Le rôle des partenaires sociaux ne se cantonne donc pas au domaine quasi régalien de la protection sociale.
Le troisième élément qui contribue à la prospérité de la négociation collective est l'intervention du législateur. Celui-ci invite régulièrement les partenaires sociaux à négocier avec plus ou moins de « carotte » ou de « bâton ». Dans les accords enregistrés en 2012, 2013 et 2014, nous voyons clairement apparaître ce cycle de trois ans de négociations dites administrées, c'est-à-dire impulsées par les pouvoirs publics et assorties d'incitations financières ou de pénalités. Les négociations de cette nature ont porté sur le contrat de génération mais aussi sur l'égalité entre les hommes et les femmes ou encore la pénibilité. On observe une hausse des accords en début de cycle puis une baisse pendant la période triennale. Incontestablement, les partenaires sociaux répondent à l'appel du législateur. Toutefois, avec un peu de recul, si les accords sont au rendez-vous en termes de quantité, leur contenu offre des marges de progression, en particulier dans la définition de véritables politiques de branche qui ne se contentent pas de reprendre les dispositions législatives.
Autre sujet, les commissions mixtes paritaires (CMP). Elles réunissent les partenaires sociaux d'une branche qui ne parviennent pas à se parler sans un tiers facilitateur. Ceux-ci sollicitent alors la présence d'un représentant de l'État. Ils demandent à celui-ci de les réunir, de fixer l'ordre du jour de leurs travaux et de les aider à dialoguer. Le président de la commission s'interdit de prendre parti évidemment, mais aussi de donner son onction ou de censurer un accord, même s'il est manifestement illégal. Il est là uniquement pour faciliter la négociation. Il s'agit pour lui d'une mission originale et très enrichissante.