Intervention de Christian Bataille

Réunion du 8 juillet 2015 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille, député, vice-président :

– Le 15 avril 2015, l'Autorité de sûreté nucléaire présentait son rapport annuel devant notre Office. À cette occasion, son président, M. Pierre-Franck Chevet, a souligné que le défaut de fabrication de la cuve de l'EPR, officialisé une semaine auparavant, constituait une anomalie très sérieuse.

Il s'agit là d'une question d'ordre technologique et scientifique susceptible d'affecter l'une de nos plus importantes filières industrielles. La presse étrangère ne s'y est pas trompée, puisqu'elle a largement répercuté les propos du président de l'ASN. Il revenait donc à notre Office d'organiser une audition publique, destinée à informer plus complétement nos collègues parlementaires, et, à travers la presse, nos concitoyens, sur ce sujet. En la circonstance, il m'a semblé d'abord nécessaire que l'Office fasse preuve de réactivité. Cette audition publique s'est, de ce fait, tenue dès le 25 juin dernier.

J'ai aussi voulu assurer l'objectivité de cette audition, en réunissant l'ensemble des acteurs directement concernés : l'ASN, l'IRSN, la direction générale de la Prévention des risques, EDF et Areva. Étant donnée la nature du sujet examiné, j'ai jugé utile de nous adjoindre l'appui de scientifiques de haut niveau, en la personne de M. Thomas Pardoen, professeur à l'Université catholique de Louvain, et du Haut-commissaire à l'énergie atomique, M. Yves Bréchet, qui est aussi membre de l'Académie des sciences. Tous deux sont des physiciens spécialistes des métaux, de réputation internationale. Étaient également représentés à cette audition : l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN), l'Association pour la qualité des appareils à pression et le CEA.

Enfin, j'ai également eu le souci de l'exhaustivité, d'abord en réservant suffisamment de temps pour le débat et les questions – j'insiste sur ce point : toutes ont pu être posées – ensuite en n'éludant aucun aspect du problème.

Deux tables rondes étaient prévues. La première a été consacrée à la question du contrôle des équipements sous pression nucléaires et, en particulier, à la réglementation. En effet, l'ASN avait fait part d'éventuelles réserves, non exprimées, de certains acteurs de la filière, à l'encontre de la nouvelle réglementation sur les équipements sous pression nucléaires, plus exigeante, mise en place en 2005. Comme vous le savez, la démarche de sûreté française est fondée sur un renforcement continu des exigences, ce qui se traduit aussi par une réglementation plus rigoureuse.

Nous avons donc pu interroger publiquement à ce sujet l'ensemble des acteurs présents, ce qui nous a permis de constater qu'aucun d'entre eux ne voyait d'objection aux exigences de la nouvelle réglementation. Le problème de la cuve de l'EPR n'est donc pas une « anomalie réglementaire », terme que M. Pierre-Franck Chevet avait relevé et à propos duquel il a appelé des commentaires. Il était important que ce point puisse être publiquement établi. La sûreté repose sur le respect de l'autorité de l'ASN, par l'ensemble des acteurs de la filière, et sur l'acceptation des règles qu'elle a fixées.

La seconde table ronde a, quant à elle, permis de débattre sans ambages et avec toute la rigueur scientifique nécessaire des défauts signalés en avril 2015 sur la fabrication de la cuve de l'EPR. Ces échanges ont démontré qu'il ne s'agissait pas d'une « fissure », mais d'un problème de résilience et de ténacité du métal sur lequel les avis des spécialistes restent encore assez partagés. Il convient de distinguer le cas de la virole, d'un côté, de celui des calottes – couvercle et fond de cuve –, de l'autre. Si ces dernières sont soumises à des contraintes plus réduites en termes de chocs thermique et d'irradiation, il s'avère nécessaire d'évaluer l'impact des concentrations élevées en carbone, constatées par endroits, sur la démonstration de sûreté du réacteur. Il est clairement apparu que l'ensemble des acteurs serait mobilisé, encore pour de longs mois, sur l'approfondissement de l'étude de ces difficultés. L'ASN, au travers de sa Direction des équipements sous pressions, et de son appui scientifique, l'IRSN, ont pris en main ce processus d'analyse, qui devrait aboutir à une décision en 2016.

Par conséquent, je considère que l'organisation de cette audition a eu au moins deux vertus majeures : d'une part, celle de lever toute ambiguïté quant à la position des différents acteurs concernés sur la nature de l'anomalie, et, d'autre part, celle de démontrer qu'il s'agit d'un sujet complexe sur le plan scientifique qui est pris en charge et étudié de la façon la plus sérieuse. Ces enseignements pourraient à eux seuls suffire à justifier l'organisation de cette audition, mais je crois que nous pouvons aller plus loin, en tirant trois conclusions.

Ma première conclusion concerne la nécessité de relancer la recherche et l'enseignement en science des métaux. L'Académie des sciences avait alerté, dans un rapport de 2010, sur les risques pour nos industries d'un recul dans ce domaine. L'Académie des technologies l'a rejoint dans un avis qu'elle vient de publier. Pour sa part, l'Office avait déjà préconisé il y a quatre ans, en 2011, dans les conclusions d'une audition publique sur les métaux stratégiques, un renforcement des moyens consacrés à la formation et à la recherche en métallurgie, en s'inscrivant dans la logique des Alliances. Au vu des difficultés de l'EPR, cette recommandation semble plus que jamais d'actualité.

Ma deuxième conclusion est liée à la première : pour relancer durablement les études académiques et les recherches en métallurgie, il faut redéfinir une politique industrielle. C'est justement ce qui a manqué, depuis plus de vingt ans, pour la filière nucléaire. L'absence de décision n'est jamais sans effet. Elle a des conséquences, en termes de perte de savoir-faire industriel et de maîtrise scientifique. Comme l'a rappelé le président Jean-Yves Le Déaut en introduction de cette audition, notre Office a averti, dès 1991, des conséquences délétères d'une absence de visibilité sur la politique énergétique à long terme. À cet égard, j'ai proposé, avec le premier vice-président Bruno Sido, dans notre rapport de 2011 sur l'avenir de la filière nucléaire, un calendrier « raisonné », consistant à remplacer, avant le milieu du siècle, deux réacteurs de deuxième génération par un de troisième génération. Ce calendrier « raisonné » a été calibré pour prendre en compte le temps nécessaire à la mise au point des dispositifs de stockage d'énergie indispensables pour stabiliser la production intermittente d'électricité.

Ma troisième conclusion découle des deux précédentes. Elle concerne l'importance d'un lien permettant un échange permanent entre mondes scientifique et politique. Contrairement à d'autres pays, la France ne dispose pas d'autre instance que notre Office à même de maintenir cette relation. Par exemple, au Royaume-Uni, cette liaison est assurée par quatre instances : le Government Office for Science, les deux commissions pour la science et les technologies des deux chambres du parlement, et, enfin, le Parliamentary Office of Science and Technology (POST), membre de l'EPTA. Comme le montre l'exemple de la métallurgie, assurer ce lien entre science et politique est, dans le contexte de la mondialisation, plus que jamais vital, ce qui justifie pleinement le rôle de notre Office.

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