Intervention de Dominique Lefebvre

Réunion du 14 octobre 2015 à 14h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Lefebvre, rapporteur pour avis :

Les mesures prises en 2010 étaient insuffisantes ; au cours de cette législature, nous avons pris des mesures sur les dépenses, mais aussi sur les recettes – celles-ci ayant d'ailleurs porté uniquement sur les salariés, puisque les augmentations de cotisations à la charge des entreprises ont été compensées par une baisse des cotisations familiales patronales. C'est l'action cumulée de toutes ces mesures qui permet d'envisager le retour à l'équilibre.

Nous connaissons bien maintenant tous les leviers de maîtrise des comptes des régimes de retraite. Aujourd'hui, tout doit nous mener à une hausse progressive de l'âge moyen de départ à la retraite – un graphique sera consacré dans mon rapport à l'évolution de ce facteur, indicateur principal de l'évolution de la dépense. Pour cela, il faudra jouer tant sur l'âge légal de départ que sur l'augmentation de la durée de cotisation requise. Pour 2015, le nombre d'assurés du régime général partant à la retraite serait réduit de 7,2 % par rapport à 2014, malgré l'accélération du nombre de départs anticipés d'assurés bénéficiant du dispositif relatif aux carrières longues.

En ce qui concerne la branche famille, le déficit se réduit également, pour atteindre 1,6 milliard d'euros en 2015 : là encore, le retour à l'équilibre est proche. Cette situation est le résultat de la réforme de la politique familiale décidée par l'actuelle majorité. Deux mesures principalement ont fait débat entre nous : la mise sous condition de ressources des allocations familiales permet d'améliorer les comptes de la branche de près de 800 millions d'euros en année pleine ; le plafonnement du quotient familial, qui est une forme de redistribution, a permis de dégager en 2014 environ un milliard d'euros, somme qui a été affectée à la branche famille.

La branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP) dégagera en 2015 un excédent de 600 millions d'euros. C'est la seule branche qui demeure presque purement contributive : cette nature assurantielle impose un objectif d'équilibre annuel. Les gouvernements ont parfois reculé le moment d'ajuster les taux de cette branche, pour profiter des excédents dégagés…

Cela doit nous rappeler que s'il est intéressant de raisonner en solde par branche, il est aussi nécessaire de raisonner en solde global : le solde par branche est très largement une construction, puisqu'il dépend de la façon dont on affecte des ressources qui peuvent évoluer et être réaffectées, année après année.

La branche maladie représente toujours un enjeu essentiel, puisqu'elle pèse pour près de 40 % dans la dépense de protection sociale. En 2015, elle présenterait un déficit de 7,5 milliards d'euros, en augmentation de 0,9 milliard d'euros par rapport à 2014 – paradoxalement, alors que l'ONDAM non seulement diminue, mais n'a jamais été aussi bien respecté. Cette situation est due à la dynamique des dépenses de soins de ville et à l'augmentation des dépenses hors du champ de l'ONDAM, notamment les prestations d'invalidité.

Les facteurs d'évolution des dépenses de santé sont bien connus. D'une part, la demande croît, car la population augmente et vieillit. D'autre part, l'offre s'améliore : des progrès techniques sont réalisés, de nouveaux médicaments inventés – nouveaux médicaments dont le coût doit être régulé, car il est parfois parfaitement irrationnel ; la démographie médicale est également un facteur connu d'augmentation de la dépense. Plus il y a de médecins, d'infirmières, de masseurs-kinésithérapeutes, de dentistes… plus les dépenses sont importantes. Nous n'échapperons donc pas à une réflexion sur la démographie médicale et sur la rationalisation du parcours de soins.

Il convient de signaler que l'exécution prévisionnelle de l'ONDAM en 2015 aboutirait à une hausse de seulement 2 %, soit un niveau historiquement faible, le plus bas depuis 1998.

Au cours de cette législature, le choix de la majorité et du Gouvernement a été d'accorder de nouveaux droits, mais aussi d'améliorer le taux de prise en charge par la sécurité sociale. Même la Cour des comptes considère que ce second objectif est important ; abaisser le taux de prise en charge, en effet, ne peut mener qu'à une maîtrise purement financière des dépenses de santé. Certains diront qu'une amélioration de la prise en charge fait déraper les dépenses ; or, au contraire, je ne sache pas que l'augmentation des dépenses à charge, qui se traduit d'abord par un transfert vers les régimes complémentaires, ait jamais entraîné de rationalisation ou d'optimisation de l'offre de soins, hospitalière ou de ville. Nous devons plutôt responsabiliser les professionnels de santé et les patients.

Les projections pour l'avenir confirment cette tendance au rétablissement des comptes à l'horizon 2020, horizon qui reste pertinent pour des prévisions macro-économiques.

Pour 2016, la branche vieillesse retrouverait un solde positif, pour la première fois depuis 2004. La branche ATMP enregistrerait un excédent pour la quatrième année consécutive, et la branche famille serait à l'équilibre dès 2018. Le Gouvernement prévoit donc un excédent du régime général dès 2019. Dans ce tableau, le FSV fait exception, du fait de la structure même de ses dépenses, étroitement liées à la conjoncture économique. Le FSV souffre d'une insuffisante affectation de recettes, et il a parfois été victime – certains ici s'en souviennent – de sapeurs Camember qui déplacent ses ressources pour les mettre ailleurs… Retirer des recettes au régime structurellement déficitaire qu'est le FSV pour les attribuer à la CADES n'est pas une bonne idée. Le FSV finance principalement le minimum vieillesse, aujourd'hui appelé allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ; il finance également des validations de trimestres pour la retraite de certaines périodes comme le chômage ou la maternité… ; il finance encore, par exemple, une partie des dépenses du minimum contributif (MICO). Il est donc extrêmement dépendant de la conjoncture, et notamment du niveau du chômage. Aujourd'hui, son déficit s'élève à presque 4 milliards d'euros ; il devrait être ramené en fin de période à 2,8 milliards.

Au-delà de 2019, le maintien à l'équilibre de notre système de protection sociale dépendra bien évidemment d'hypothèses macroéconomiques qu'il serait hasardeux d'anticiper. Je veux insister sur la mise en place, depuis vingt-cinq ans, d'outils de pilotage efficaces : le Haut Conseil des finances publiques, qui impose la construction des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale sur des hypothèses réalistes ; le Conseil d'orientation des retraites (COR), avec des mécanismes de régulation quasi automatique qui empêchent de laisser filer les déficits, ce qui ne nous dispensera pas de prendre d'autres mesures, mais permettra de le faire moins brutalement et plus régulièrement ; le comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie, dont le travail sur la gouvernance et le suivi des dépenses est très important pour nous tous. Ainsi, le COR a prévu différents scenarii d'évolution du système de retraites : il s'agit là de choix de société, qui devront être débattus lors de la prochaine élection présidentielle, en 2017.

Je reste persuadé pour ma part que l'équilibre repose sur un allongement de la durée de l'activité et un relèvement progressif de l'âge moyen de départ à la retraite, qui dépasse aujourd'hui à peine 62 ans – quels que soient les théories et les fétiches des uns et des autres, nous ne sommes donc ni à 60 ans pour tous, ni à 65 ans pour tous.

Quelles sont les mesures importantes de ce PLFSS ?

L'article 7 prévoit une extension du champ de la réduction des cotisations patronales familiales jusqu'à 3,5 SMIC, à partir du 1er avril 2016. Christophe Caresche a déposé un amendement sur cet article, nous y reviendrons donc. Mon rapport, je l'ai dit, présentera un historique de ces mesures de réduction du coût du travail.

L'article 8 met en oeuvre la deuxième étape du pacte de responsabilité et de solidarité, avec le relèvement de l'abattement d'assiette de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) à 19 millions d'euros. Il n'y aura donc plus en 2016 que 20 000 entreprises redevables.

Différentes mesures de rationalisation de la dépense publique sont mises en oeuvre par ce texte ; elles ne représentent toutefois que 80 millions d'euros d'économies en 2016. L'efficience des exonérations de cotisations sociales spécifiques à l'outre-mer sera améliorée ; trois dispositifs – les bassins d'emplois à redynamiser (BER), qui n'étaient qu'au nombre de deux, les zones de revitalisation rurale (ZRR) et les zones de restructuration de la défense (ZRD) – seront progressivement supprimés.

Les dates et les mécanismes de revalorisation des prestations sont simplifiés. Le seul défaut de cette mesure de simplification intelligente, c'est qu'elle permet une économie de trésorerie en 2016 : elle peut donc paraître suspecte ; mais, à long terme, elle est neutre pour la dépense sociale.

L'ensemble des mesures qui entraînent une perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale en 2016, soit 5,29 milliards d'euros, seront compensées à l'euro près – ce qui explique d'ailleurs la faible réduction du déficit de l'État.

Je voudrais maintenant aborder la question de la clarification des flux financiers entre l'État et la sécurité sociale. Le modeste rapporteur pour avis que je suis ne peut pas vous faire une présentation limpide d'une situation très complexe. Mais je veux insister sur le fait que deux faits conduisent à une clarification des relations entre l'État et la sécurité sociale et de l'affectation des ressources entre les différentes branches.

D'une part, la compensation par l'État des pertes de recettes de sécurité sociale aboutit naturellement à une baisse tendancielle du poids des cotisations par rapport à l'impôt dans le financement de la protection sociale. Vous verrez dans le rapport des tableaux qui, branche par branche, distinguent ce qui relève des cotisations – qui ne sont quasiment plus des cotisations salariales, mais essentiellement des cotisations patronales, sauf pour la branche vieillesse – de ce qui relève de l'impôt. Un débat nous attend sur la fusion entre l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG) : c'est un débat sur la redistribution ; mais il faut aussi, je crois, connaître l'histoire de chaque prélèvement, et de leur affectation. La CSG n'est pas un impôt unique : il en existe quatre, la CSG sur les revenus d'activité et de remplacement, la CSG sur les revenus du patrimoine, la CSG sur les revenus de placements et la CSG sur les jeux, dont les taux diffèrent. C'est de la première que l'on parle en général : or, je vous rappelle qu'elle a pour l'essentiel remplacé des cotisations maladie. La CSG n'a pas été conçue, à l'origine, pour fiscaliser le financement de l'assurance maladie, ni même pour financer l'assurance maladie au moyen d'un impôt progressif ; il s'agissait uniquement d'élargir le financement de la protection sociale.

Permettez-moi une petite digression. Faut-il financer l'assurance maladie par un impôt progressif ? C'est une question qui se pose depuis longtemps. Mais c'est à mon sens le meilleur moyen d'inciter ceux qui ont les revenus les plus élevés à demander, de plus en plus fortement, la fin de l'affiliation obligatoire à la sécurité sociale – en Allemagne, vous le savez, il est possible de renoncer aux assurances de base. Il faut donc toujours réfléchir, lorsque l'on met en place un mécanisme de financement, à ce que l'on finance, et à la légitimité de ce mécanisme. L'assurance maladie, c'est bien une assurance, donc une redistribution entre bien portants et malades ; si on la finance par un impôt progressif, les hauts revenus seront conduits à refuser peu à peu ce système. Je dis à ceux qui tiennent au régime obligatoire de sécurité sociale que plus les dépenses de protection sociale seront financées par un impôt progressif, plus le système obligatoire sera remis en cause. Bien sûr, on peut résister à ces revendications. Mais il y a d'autres moyens de redistribuer les revenus : l'impôt, mais surtout le versement de prestations. C'est là un point de vue personnel, qui m'oppose, sur le plan théorique, à notre collègue Pierre-Alain Muet en particulier.

D'autre part, le Gouvernement, plutôt que de transférer des recettes de l'État aux régimes de sécurité sociale, fait le choix – cohérent, selon moi – d'achever le mouvement enclenché l'an dernier avec la rebudgétisation de l'intégralité des aides au logement. Ainsi, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) verse environ 85 milliards d'euros de prestations, mais le budget de la branche famille stricto sensu se réduit, pour s'établir à 50 milliards d'euros pour 2016.

Le reclassement s'explique ensuite par les effets de l'arrêt de principe, dit arrêt « de Ruyter », de la Cour de justice de l'Union européenne. M. de Ruyter, citoyen néerlandais et résident fiscal français, affilié à un régime de protection sociale aux Pays-Bas, percevait un revenu lié à un patrimoine situé dans ce pays. S'il a déposé un recours, c'est pour contester le fait qu'il payait un impôt affecté à la protection sociale française alors qu'il n'en bénéficiait aucunement. La Cour de justice lui a donné raison car, selon elle, le facteur décisif n'est pas la distinction que nous faisons entre cotisation sociale et impôt, mais l'affectation du produit du prélèvement quel qu'il soit. Je rappelle que la CSG sur les revenus d'activité n'est due que par les résidents fiscaux en France qui sont affiliés à un régime de protection sociale français.

Dès lors, la solution est toute trouvée : les résidents étrangers dont les revenus du patrimoine ont été soumis à la CSG, voire à la CRDS, seront remboursés des sommes ainsi acquittées depuis 2012 – soit environ 250 millions d'euros par an, alors que la taxation des revenus du patrimoine contribue à hauteur de 18,6 milliards d'euros au financement de la protection sociale. L'exonération de CSG des revenus du patrimoine des résidents français à l'étranger non affiliés en France, comme l'ont d'ailleurs souhaité nos onze députés représentant les Français établis hors de France, ne favorise guère les finances publiques, convenons-en. Le nécessaire reclassement des dépenses qui en découle consiste à ne réaffecter le produit de la fiscalisation des revenus du patrimoine et des revenus de placement jusque-là consacré aux quatre branches du régime général qu'aux seules prestations sociales non contributives.

Le long article 15 du PLFSS qui en résulte prévoit un reclassement d'ensemble qui suppose des transferts de recettes entre organismes et régimes de sécurité sociale, ainsi que la modification du taux de certaines taxes. In fine, le compte est bon. Actuellement, la CSG est pour l'essentiel affectée au financement de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et, dans une moindre mesure, de la CNAF ; elle sera réaffectée au financement quasi intégral de la CADES et, surtout, à celui du FSV. Le texte de l'article est certes ardu, mais il est logique et simplifie le dispositif – un mouvement qui n'est pas encore achevé.

Je conclurai par le traitement de la dette sociale. L'an dernier, j'estimais que le moment n'était pas venu de transférer à la CADES la dette sociale logée à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui gère la trésorerie des organismes sociaux. Le fait que l'ACOSS ait ainsi pu lever près de 28 milliards d'euros sur les marchés à court terme nous donne raison a posteriori. En 2011, il avait été décidé d'autoriser une reprise de dette à hauteur de 62 milliards ; cette année, il est proposé d'anticiper cette reprise de dette afin que la CADES profite du faible niveau des taux du marché pour consolider cette dette. La durée de vie prévisionnelle de la CADES, censée s'éteindre en 2024, ne s'en trouve pas modifiée. Créée en 1996, elle devait d'abord disparaître en 2009 mais fut prorogée en 1998 jusqu'en 2014, avant que sa durée de vie soit soumise à l'achèvement de sa mission – soit une date indéterminée. La loi organique de 2005 a interdit tout transfert de dette sans compensation par des ressources correspondantes ; à ce jour, néanmoins, aucun texte ne fixe une date d'extinction de la CADES. Plus les taux d'intérêt sont faibles et plus la CADES est en mesure de rembourser du capital plutôt que des intérêts. Le plafond de 62 milliards sera atteint cette année – et c'est une bonne chose. Selon la trajectoire prévisionnelle, il restera le moment venu 29 milliards à transférer pour retrouver l'équilibre, ce qui supposera soit l'augmentation de 0,24 point de la CRDS, soit la prorogation du mandat de la CADES au-delà de 2024. En tout état de cause, la mesure à court terme que nous proposons permet de prémunir la CADES contre une éventuelle remontée des taux d'intérêt.

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