Intervention de Bernard Guirkinger

Réunion du 14 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Guirkinger :

On peut se demander pourquoi le CESE travaille sur la question des négociations climatiques, et pourquoi sa section des affaires européennes et internationales s'est emparée de ce sujet pour la deuxième fois, après avoir rendu un premier avis sur la conférence de Cancún de 2010.

Le premier objectif du Conseil est de faire de la pédagogie et de mobiliser autour des négociations internationales qui vont avoir lieu, en montrant les enjeux ainsi que la difficulté de parvenir à un accord. Nous avons pris conscience, en travaillant sur la question des changements climatiques et de la COP21, du fait que les négociations à venir n'étaient pas tant de nature environnementale que de nature économique et géopolitique.

Notre deuxième objectif consiste à exprimer les attentes de la société civile vis-à-vis de négociateurs. Il n'y a plus de débat au sein du CESE sur l'origine humaine du changement climatique, et notre intervention vise aussi à traduire l'impatience, pour ne pas dire l'exaspération, que l'on peut ressentir en constatant la difficulté à conclure un accord, alors que l'on travaille depuis une vingtaine d'années sur ces questions, dont on connaît désormais les enjeux au regard des conséquences dramatiques qui sont à craindre.

Nous assumons notre rôle militant en prenant le relais de la société civile, y compris en dehors de nos frontières, puisque nous avons travaillé avec des associations internationales et de nombreux conseils économiques et sociaux de par le monde afin de les mobiliser sur ces questions. Un avis a été adopté récemment à Moscou, et le CESE a organisé plusieurs réunions associant des membres de la société civile travaillant dans des enceintes équivalentes à la nôtre. Nous avons eu à coeur de montrer, notamment aux pouvoirs publics, que la société civile était prête à agir, et que les acteurs économiques et syndicaux, ainsi que les ONG, prenaient déjà de nombreuses initiatives afin de contribuer à l'atténuation et à la lutte contre le changement climatique. Nous avons donné plusieurs exemples internationaux montrant que de très nombreuses choses sont faites partout dans le monde, notamment en Chine – beaucoup plus active qu'on ne l'imagine dans ce domaine – et aux États-Unis, en particulier en Californie.

Il est impressionnant de voir à quel point les syndicats ont pris la mesure des enjeux liés aux changements climatiques. La Confédération syndicale internationale (CSI) se prononce très clairement pour un autre mode de production et de consommation, et est parfaitement consciente des enjeux que cela implique en termes d'emploi dans les secteurs d'activité qui vont devoir s'adapter et les nouveaux secteurs d'activité qui vont émerger. La secrétaire générale de la CSI a déclaré en 2014 : « Il n'y a pas d'emploi sur une planète morte ». Ce que demandent les syndicats aujourd'hui, c'est que l'on anticipe l'engagement de la transition écologique en ouvrant des négociations, en renforçant les plateformes de négociation telle l'Organisation internationale du travail (OIT), et en accompagnant, en termes de formation, toutes les personnes dont l'emploi est susceptible d'être impacté.

Nous nous sommes peu étendus sur la nature de l'accord attendu, considérant que le débat n'est pas d'ordre juridique. Ainsi, nous n'avons pas utilisé l'adjectif « contraignant » : nous considérons qu'il faut un accord juste, global et ambitieux, basé sur des engagements réciproques, et à partir duquel il faudra encore créer une dynamique afin de renforcer continuellement les engagements pris par les différentes parties, mesurer, contrôler et améliorer ces engagements, et mettre en oeuvre les plans d'action qui seront définis.

Le Fonds vert pour le climat et les engagements pris à ce sujet à Copenhague constituent également un point très important. Tous ceux qui s'intéressent à la négociation savent qu'il s'agit là d'une question de confiance : c'est la manifestation de la responsabilité différenciée des différentes parties. Les pays en voie de développement attendent, sur ce point, une concrétisation des engagements pris, en particulier sur ce chiffre mythique de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. C'est une somme considérable et un engagement qu'il va falloir honorer, ce qui va demander des efforts aux pays développés. Le Président de la République a déclaré en janvier 2015 que la taxe sur les transactions financières serait entièrement affectée au Fonds vert – une démarche que nous soutenons.

Nous avons attiré l'attention de toutes les parties sur l'importance de la gouvernance du Fonds vert, qui va être à l'origine de flux d'argent considérables. La société civile demande à être partie prenante des conseils d'administration du Fonds vert. L'OCDE vient de publier une analyse dans laquelle elle a miraculeusement identifié 60 milliards d'euros qui seraient d'ores et déjà disponibles. On peut être perplexe devant ce chiffre qui, à notre sens, n'a pu s'obtenir qu'en additionnant choux et carottes, c'est-à-dire dons et prêts, aides au développement et sommes d'autre nature.

Pour ce qui est de la fiscalité, le CESE réclame plus de fiscalité écologique et moins de fiscalité sur le travail. La seule façon de faire évoluer les comportements des acteurs économiques est d'agir soit sur la réglementation et les normes – ce qui relève de la compétence du législateur –, soit sur la fiscalité, afin de faire évoluer les comportements des acteurs économiques. Nous considérons qu'émettre des gaz à effet de serre constitue une pollution, donc une externalité négative, et qu'il convient en la matière d'appliquer le principe « pollueur-payeur » et de taxer les émissions, soit sous forme de marché de droits à polluer, soit sous forme de redevances pollution – ma préférence allant à cette deuxième solution compte tenu de la difficulté qu'il y a à faire fonctionner un marché.

S'il est souvent question de la Californie dans l'actualité en raison des problèmes de sécheresse auxquels elle est confrontée, cela fait plus de dix ans qu'elle travaille régulièrement, et avec une grande continuité d'un gouverneur à l'autre. Cet État a mis en place des taxations sur toutes les émissions de gaz à effet de serre, toutes les énergies fossiles, ce qui a eu des conséquences très importantes sur le plan économique : aujourd'hui, ce n'est pas un hasard si la Californie est en train de prendre une longueur d'avance en matière de fabrication de voitures électriques. Alors que la question du stockage de l'électricité va jouer un rôle majeur dans les années qui viennent, c'est en Californie que l'on investit le plus actuellement, et que des industriels commencent à travailler à très grande échelle sur cette question.

Nous sommes très partisans du principe « put a price on carbon » – fixer un prix pour le carbone – et considérons même que, de ce point de vue, nous vivons un moment historique. Tous ceux qui réclament aujourd'hui un prix du carbone sont surpris de constater que les grands acteurs économiques adhèrent à cette démarche – plus de 1 000 entreprises ont signé l'appel de la Banque mondiale – et une grande partie des leaders du secteur énergétique se sont prononcés en faveur d'un prix du carbone. Il y a donc une chance à saisir.

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