Intervention de Gaël Virlouvet

Réunion du 14 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Gaël Virlouvet, rapporteurs du Conseil économique :

Je suis très heureux de venir vous présenter le rapport « 20 ans de lutte contre le réchauffement climatique en France : bilan et perspectives des politiques publiques ». Au cours de la préparation de cet avis, nous avons invité les députés Arnaud Leroy et Martial Saddier à venir nous faire part de leurs points de vue sur la question de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est donc logique qu'aujourd'hui, nous venions vous exposer les travaux que nous avons menés avec leur appui.

Je vous présenterai successivement les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique, les constats que nous avons faits et les préconisations que nous formulons.

Pour ce qui est des enjeux, nous avons rapidement pris conscience que la COP21 allait constituer un moment fort de focalisation sur le climat. Depuis quelques années, on assiste à une dramaturgie médiatique de la COP, s'achevant par la constatation que celle-ci n'a pas permis d'aboutir à un accord significatif et constitue donc un échec – on a parfois l'impression que le deus ex machina que l'on s'attendait à voir surgir ne s'est jamais montré. En réalité, les négociations internationales et la lutte contre le changement climatique concernent les modes de vie de l'ensemble des habitants du monde ; de ce fait, les avancées que l'on peut obtenir dans ce domaine sont forcément lentes – ce qui ne nous empêche pas d'espérer que nous en verrons de significatives en décembre prochain. Pour ne pas ressortir de la COP21 avec la gueule de bois, il faut resituer la lutte contre le changement climatique dans une continuité s'étalant sur plusieurs dizaines d'années. Parler de vingt ans de lutte contre le réchauffement climatique, c'est aussi mettre en lumière ce qui s'est fait en amont de la COP en France, et évoquer ce qui pourrait se passer après – de ce point de vue, on peut espérer que la COP va avoir un effet stimulant.

Les avancées de la COP21 seront, à notre sens, d'autant plus importantes qu'elles trouveront leur origine à l'échelle territoriale : aucune négociation internationale ne peut être totalement déconnectée de ce qui se passe sur les territoires. Il était donc intéressant de se pencher sur la réalité française en matière de lutte contre le réchauffement climatique.

Le premier constat que nous ayons fait, c'est que la France a agi depuis vingt ans : si c'est une évidence, elle n'est pas suffisamment rappelée. Entre 1990 et 2000, l'objectif national n'a consisté qu'à stabiliser nos émissions de gaz à effet de serre après leur décrue au cours des années 1980, notamment grâce à la montée en puissance du nucléaire ; notre objectif était très modeste sur cette période, mais il a été atteint. Depuis 2000, nous avons diminué de 13 % les émissions de gaz à effet de serre en France, en particulier dans les secteurs énergétique et industriel et, dans une moindre mesure, dans le secteur agricole ; quant au secteur des transports, il n'y a été obtenu aucune diminution des émissions.

Nous constatons, par ailleurs, que la politique nationale de lutte contre le réchauffement climatique a été, jusque dans les années 2000 à 2005, une politique engagée principalement par le niveau national, en excluant presque totalement l'initiative territoriale. C'était alors un petit groupe composé d'ingénieurs et de fonctionnaires de haut niveau rattaché au ministère de l'environnement – ou parfois au Premier ministre, au sein de la mission interministérielle sur l'effet de serre – qui impulsait la politique nationale de lutte contre le réchauffement climatique. Il n'y avait donc pas de réalité territoriale de la lutte contre le réchauffement climatique, tout au plus une réalité sectorielle, par silo.

La réalité territoriale a émergé au début des années 2000, avec la mise en application des premiers agendas 21 dans les territoires, qui, pour certains, ont pris une dimension « énergie-climat », avec le soutien de l'ADEME, qui a aidé les territoires à s'intéresser non seulement à la question énergétique, mais aussi à celle du climat. En 2004 est apparue la possibilité d'élaborer des plans climat volontaires dans les territoires ; les premiers de ces plans ont servi de modèle pour la massification des plans climat territoriaux intervenue à l'issue de la loi Grenelle, qui a constitué un véritable point de bascule pour l'implication des territoires dans la lutte contre le changement climatique.

Enfin, notre troisième constat est que la territorialisation progressive de la lutte contre le changement climatique, initiée à partir de la seconde moitié des années 2000 et poursuivie avec la loi de transition énergétique votée par votre assemblée au cours de l'été dernier, s'est accompagnée d'une décentralisation des enjeux énergétiques : lorsqu'on a commencé à parler de climat dans les territoires, on a également décentralisé les questions énergétiques.

J'en viens à nos préconisations, toutes liées aux difficultés observées. La première difficulté notée, c'est qu'alors que la participation de tous est requise dans la lutte contre le changement climatique, la politique nationale est confiée à la ministre chargée de l'environnement, sans pouvoir interministériel lié. La deuxième difficulté, c'est qu'il n'y a pas d'instance officielle de dialogue et de suivi de la politique climat au niveau national : s'il existe un conseil national de l'eau et un conseil national des déchets, il n'y a pas de conseil national du climat, en dépit de l'importance de la politique à mener en la matière.

Nous proposons donc une gouvernance lisible, tenant en deux points. Il s'agit d'abord de doter la politique climat d'une dimension interministérielle en faisant en sorte qu'elle soit assumée par le Premier ministre, notamment devant le Parlement. Il y a eu débat sur le point de savoir si la dimension opérationnelle devait rester entre les mains du ministre de l'environnement ou être confiée au Premier ministre, et ce débat n'a pas été tranché en section. Pour ma part, je pense que le ministre doit rester responsable de cette dimension opérationnelle, puisqu'il existe une direction générale de l'énergie et du climat, que l'on voit mal rattachée au Premier ministre. Nous proposons également de confier le suivi de la politique climat à une instance de dialogue unique, qui pourrait être le Conseil national de la transition écologique (CNTE) ou un conseil national du climat.

Une autre difficulté consiste dans le fait que la mobilisation des acteurs repose sur la proximité. Beaucoup de solutions étant territoriales ou locales, les politiques territoriales sont essentielles dans la lutte contre le changement climatique. Cela dit, la contribution des territoires à l'atteinte des objectifs nationaux est peu lisible. Il faut donc responsabiliser les territoires en les dotant de contrats d'objectifs climat – définissant, par exemple, les objectifs d'un territoire en matière de réduction des gaz à effet de serre. Il s'agit d'inclure ces objectifs territoriaux dans les objectifs nationaux et d'améliorer l'articulation entre les politiques sectorielles d'une part – en matière de d'énergie, de transport, d'industrie – et les politiques territoriales d'autre part.

Le troisième groupe de difficultés réside dans le changement conséquent attendu dans les modes de vie. Or, le changement climatique est encore peu abordé à l'école et le savoir-faire d'accompagnement au changement est relativement limité en France – de ce point de vue, les Anglo-Saxons sont bien meilleurs que nous. Il convient donc de densifier le contenu « climat » des programmes scolaires – encore davantage que cette année, où une circulaire ministérielle a incité à un effort en ce sens. Par ailleurs, il faut aussi dynamiser la recherche en France sur l'accompagnement au changement : nous ne devons pas laisser les Anglo-Saxons nous distancer sur ce point. Enfin, nous devons favoriser la mobilisation grâce à une semaine nationale du climat et des moyens de communication et de proximité.

Le quatrième ensemble de difficultés est celui lié aux transports. Le transport routier est le premier émetteur de CO2, avec 25,1 % des émissions de CO2. Les émissions du secteur routier ont augmenté de 9 % entre 1990 et 2012 : non seulement nous n'avons pas réussi à réduire ces émissions, mais elles ont même augmenté !

La loi Grenelle de 2009 avait fixé pour objectif de revenir en 2020 au niveau de 1990. Malheureusement, nous ne sommes pas sur cette trajectoire aujourd'hui : la distance entre le domicile et le travail continue d'augmenter, et la taxe kilométrique poids lourd a été abandonnée – au grand regret du CESE, qui a toujours soutenu le principe de l'écotaxe. Nous proposons d'initier un Grenelle du transport et de la mobilité afin d'avancer sur ces questions, en donnant une franche impulsion à la dynamique en matière de mobilité.

Le cinquième groupe de difficultés réside dans le fait que le prix du carbone n'incite pas à la réduction des émissions des gaz à effet de serre, et que certaines politiques publiques favorisent même les émissions. Sur ce point, nous partageons une préconisation avec la section des affaires internationales : il s'agit de refléter, dans le cadre économique, la préférence collective pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre – concrètement, de donner un prix incitatif au carbone, et de commander un audit sur l'impact des investissements et aides publics en matière de carbone.

En conclusion, ce n'est pas en faisant peur au sujet du climat que nous parviendrons à mobiliser : en procédant de la sorte, nous ne ferions que contribuer à ce que les Français cèdent à la tentation de repli à laquelle ils sont parfois soumis. Nous devons mobiliser sur des valeurs positives : en d'autres termes, donner envie. Il se trouve que la lutte contre le changement climatique, qui constitue un enjeu mondial, ouvre aussi de nouvelles opportunités économiques, puisque tous les territoires y sont confrontés et vont donc avoir besoin de solutions. La France doit conserver son leadership dans la course mondiale que constitue la lutte contre le changement climatique. Nous devons nous montrer offensifs, en promouvant les solutions développées en France, en assurant une veille à l'international – ce que nous faisons insuffisamment – et en encourageant l'investissement des acteurs français dans les structures et réseaux internationaux oeuvrant sur le climat. Il ne faut pas laisser aux seuls Anglo-Saxons la définition des normes qui régiront demain le monde en matière de lutte contre le changement climatique : il est essentiel que les Français contribuent à l'édiction de ces normes.

Par ailleurs, l'accueil de la COP21 doit être bénéfique à la politique française de lutte contre le changement climatique. Cela signifie que nous devons fournir de l'information fiable aux Français, et ouvrir un vrai débat, où les climato-sceptiques n'ont plus leur place – il n'y en a plus un seul au CESE, et ils sont désormais très rares au sein de la communauté scientifique –, portant sur les moyens qui nous permettront de limiter le réchauffement à plus 2 °C : c'est le sujet numéro un dans les médias français en amont de la COP.

Il s'agit donc de parler des solutions, comme l'a fait le Gouvernement, mais aussi – et cela reste à faire – de capitaliser la mobilisation de tous les acteurs – entreprises, syndicats, monde scientifique, associations – à laquelle on assiste actuellement autour de la COP21, et d'établir un bilan afin de contribuer à pérenniser et amplifier la dynamique française de lutte contre le réchauffement climatique.

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