Intervention de Bernard Guirkinger

Réunion du 14 octobre 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bernard Guirkinger :

Monsieur le président, nous n'avons pas travaillé sur la question de la fiscalité sur le gazole et l'essence. Dans la mesure où nous sommes favorables à la fiscalité écologique et au signal prix, il me semble évident qu'il faut être cohérent et maintenir des prix élevés. Je regrette qu'une TIPP flottante n'ait pas été mise en place et que l'on ne profite pas des baisses comme celle que l'on a constatée récemment sur le prix du pétrole pour augmenter un peu la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

Il n'y a pas de honte à dire qu'un tel dispositif peut permettre à l'État d'alimenter ses recettes et d'en diminuer d'autres. En tout cas, c'est l'esprit dans lequel travaille le CESE depuis plusieurs d'années.

Les entreprises sont convaincues que le changement climatique est une réalité. Elles veulent se préparer aux marchés de demain qui concerneront plutôt toutes les technologies susceptibles de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Aussi veulent-elles avoir une vision à moyen terme. C'est pourquoi elles réclament une fiscalité sur les énergies fossiles mais aussi une fiscalité stable parce qu'une entreprise qui investit se projette forcément sur plusieurs années.

Il ne faut pas sous-estimer l'action des actionnaires privés. Je suis frappé de voir de plus en plus d'investisseurs privés faire pression sur les entreprises pour savoir si les engagements qu'elles prennent sont sincères. Il ne faut pas sous-estimer les patrons qui se projettent aussi vers cette prise de conscience collective sur les conséquences du changement climatique. Enfin, il y a ceux qui prennent des engagements, même quand la loi ne les y oblige pas, et qui doivent rendre des comptes à un moment donné parce que toute une série d'activistes le demande.

Aujourd'hui, les entreprises ont donc intérêt à ce que de vraies actions soient engagées en matière de lutte contre le changement climatique.

Vous me demandez si l'on peut imaginer le grand soir où l'on aura fixé un prix mondial du carbone. Personnellement, je n'y crois absolument pas. La législation restera forcément organisée par sous-ensembles à l'échelle des États ou de groupements d'États comme l'Union européenne. Il me paraît important que la COP21 ait la volonté de fixer un prix sur le carbone. Plusieurs d'entre vous ont souligné que la COP21 n'était pas un aboutissement, que ce ne serait pas le grand soir et que tout restera à faire ensuite. Il faudra suivre les engagements et continuer à faire pression sur les moins vertueux en ce qui concerne le prix du carbone. S'il faut une législation française sur le prix du carbone, le vrai périmètre c'est l'Europe. Il ne faut pas écarter la nécessité d'une taxation à l'entrée du territoire européen. C'est une évolution tout à fait souhaitable.

Si un engagement collectif est pris pour fixer le prix du carbone, il ne faut pas sous-estimer que dans la mesure où ils se préparent au marché de demain, les acteurs économiques vont demander à leur gouvernement de mettre en place une fiscalité carbone. C'est ce que font les Chinois qui, bien que réticents à accepter des contraintes de la part des autres pays, travaillent sur les questions de pollution, d'énergie solaire sous forme thermique ou électrique. Aux États-Unis, si le scepticisme est encore présent il n'empêche que des sous-ensembles travaillent sur les marchés de demain, comme le montre l'exemple californien.

Si l'on ne peut pas mettre au point un grand système, dès lors qu'une dynamique sera engagée les choses iront dans la bonne direction dans un deuxième temps.

Le choix des mots est très important. Il faut parler de changement climatique plutôt que de réchauffement climatique, certains pouvant encore croire que c'est une bonne chose.

En ce qui concerne la gouvernance, de par mon parcours personnel j'avais une vision plutôt hiérarchique et simpliste des choses. Je considérais qu'il y avait des chefs qui donnaient des ordres, des politiques, etc. (Sourires) Mais cela ne marche plus de cette façon-là. Aujourd'hui, vous êtes obligé de dialoguer avec les parties prenantes, avec la société civile et c'est cela qui est source de progrès. Je suis absolument persuadé que c'est la société civile beaucoup plus que les partis politiques qui est en train d'inventer le monde de demain.

Mesdames, Messieurs les députés, utilisez la société civile, gérez leurs contradictions. Le CESE parvient à faire voter des choses extraordinaires. Mais tous ceux qui les votent au CESE ne tiennent pas forcément le même discours à titre individuel, quand ils sont à l'extérieur. Il faut donc mettre les différentes parties de la société civile face à ses propres contradictions. Bien sûr, il y a un paradoxe entre la mobilisation de la société civile française et la mobilisation des citoyens. Mais je suis beaucoup moins pessimiste que vous, Madame Dubois. En effet, on ne peut pas demander aux citoyens de s'intéresser tout à coup à une négociation internationale particulièrement complexe et alors qu'ils ont perdu toute confiance dans les institutions. Cela dit, les citoyens ne se désintéressent pas autant qu'on peut l'imaginer des questions environnementales. Il y a une sensibilité environnementale qui se développe.

Madame Marie Le Vern, je vous trouve très pessimiste à l'égard des jeunes. Ils sont plutôt modernes, ils ont envie de changer les choses, ils prennent des initiatives. L'action du Gouvernement en matière de pédagogie a été très sincère. Je pense, en particulier, à ce qui a été fait par l'éducation nationale.

Il n'y a pas suffisamment de débats politiques sur le terrain en ce qui concerne le changement climatique. Or je suis persuadé que pour trouver un consensus autour d'un nouveau projet politique, il faut associer la société civile et organiser le débat sur le terrain.

Vous nous avez interrogés sur la formation supérieure. Je suis ingénieur de formation. J'ai réalisé, à travers le Grenelle de l'environnement, que notre pays formait des ingénieurs sans jamais leur expliquer quelle était la contribution de la nature. Jusqu'à présent, on ne leur parlait pas de la biodiversité. Les choses commencent à changer, mais notre pays reste dominé par les sciences rationnelles. On pense que les solutions viendront toujours des mathématiques, de la physique et de la chimie. En la matière, il faut faire un effort collectif. Dans notre avis figure une phrase de Descartes qui considérait que la nature devait être au service de l'homme et qu'il fallait absolument la dominer. Il est assez intéressant de réfléchir à notre culture dans ce domaine. C'est très spécifique à la France.

Monsieur Alain Chrétien, vous nous faites beaucoup d'honneur en nous demandant comment va fonctionner dans le détail la COP21. Je rappelle que nous ne sommes pas partie prenante. La COP21 rassemblera 190 parties prenantes, des États ou des groupes d'État. Beaucoup de choses se passent avant cette conférence.

Depuis que je suis attentivement ce dossier, je vois de nombreux signaux positifs, par exemple l'accord bilatéral sur le climat signé entre la Chine et les États-Unis. Certes, ces signaux ne sont pas à la hauteur de l'objectif de limiter à deux degrés le réchauffement climatique, mais on le savait, d'où l'importance de la dynamique qui sera impulsée derrière. Je pense que la France est très mobilisée et qu'elle réalise un travail exceptionnel au niveau international.

Le texte de vingt pages qui vient d'être mis sur la table est très intéressant. Pour une fois, on arrive à le lire en entier. (Sourires)

Monsieur Michel Lesage, j'ai passé l'essentiel de ma carrière professionnelle dans le domaine de l'eau. Aussi, je vous remercie pour votre question. Bien évidemment, l'eau est la première concernée par le réchauffement climatique et elle contribue à créer des catastrophes, comme on l'a encore vu récemment.

Nicolas Hulot insiste beaucoup sur le fait que le changement climatique est l'injustice suprême, c'est-à-dire que les premiers à en subir les conséquences sont ceux qui n'y sont pour rien, à savoir les pauvres qui habitent dans des pays en voie de développement. Dans les pays développés, les premiers touchés sont aussi les plus modestes d'entre nous. D'où l'importance d'être extrêmement vigilants en matière de conséquences sur les plus pauvres de la mise en place d'une fiscalité écologique.

Les pays en développement aspirent à la croissance, à consommer davantage d'énergie. D'où leur réticence à signer des engagements les concernant. Je suis persuadé qu'ils ont envie, comme les autres pays, d'être sur les marchés de demain. La gestion du Fonds vert doit être crédible. Il faut créer un climat de confiance qui incarne cette responsabilité différenciée qu'on accepte. Mais lorsque l'on parle de responsabilité différenciée, je ne suis pas sûr que l'on mesure bien la portée des mots. Cela veut dire que les pays développés qui sont responsables de 70 ou 80 % du stock des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère acceptent une responsabilité particulière vis-à-vis de ceux qui sont affectés directement aujourd'hui. On parle de 100 milliards de dollars par an en direction du Fonds vert sans expliquer que cela va nous demander, à nous pays riches, un effort supplémentaire alors que nous n'arrivons même pas à atteindre notre objectif collectif de 0,7 % en direction de l'aide au développement. Aujourd'hui, la France stagne tranquillement à 0,4 %.

Je vous remercie pour toutes vos questions. J'ai eu plaisir à vous écouter.

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