Intervention de Damien Abad

Réunion du 14 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad, président de la mission :

La situation de la filière bois-forêt en France ayant déjà fait l'objet de nombreux travaux, on peut s'interroger quant à la valeur ajoutée d'un nouveau rapport parlementaire. C'est le premier constat dressé par les représentants du secteur que nous avons rencontrés. En janvier 2015, une synthèse des plus de 250 rapports produits lors des trente dernières années sur le sujet a même été effectuée. Dans ce contexte, le rapport que nous soumettons aujourd'hui n'a pas vocation à traiter de l'ensemble des sujets liés à la filière bois-forêt ni à venir s'ajouter à la pile de rapports existants mais à s'attaquer aux problèmes rencontrés par cette filière en France sous un angle résolument économique. L'originalité de cette approche doit permettre de tirer profit des analyses passées et d'apporter un regard neuf sur ces difficultés.

Bien sûr, dans le contexte de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP21) qui se tiendra dans quelques semaines à Paris, nous avons veillé à ce que cette focale économique ne se transforme pas en oeillères : multifonctionnelle, la forêt française remplit un rôle tant productif qu'écologique et social. Le rapport tâche donc de mettre en avant l'équilibre, sinon la complémentarité, entre l'exploitation économique de la forêt, la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.

La forêt française n'est pas – loin de là – menacée par la déforestation, malgré ce que pourrait croire l'imaginaire populaire. Au contraire, les fragilités économiques de la filière bois-forêt se traduisent par une sous-exploitation chronique : la croissance naturelle de la forêt est supérieure au volume des coupes. En outre, les entreprises sylvicoles se heurtent à un réel problème d'acceptabilité sociale : l'opinion publique tolère difficilement que des parcelles de chênes centenaires fassent l'objet d'une exploitation économique. Pourtant, d'un point de vue écologique, une forêt correctement entretenue joue mieux son rôle de puits de carbone. La forêt, comme ressource renouvelable, se renouvelle : cette tautologie ne paraît pourtant pas aller de soi, situation qui met en péril nombre de petites entreprises. Des efforts de communication devraient être entrepris pour expliquer que la croissance biologique française est supérieure à la quantité d'arbres débités chaque année et qu'une exploitation économique peut être durable et respectueuse des fonctions écologiques de la forêt. Il semble nécessaire de faire évoluer les mentalités sur le sujet.

Quelles sont les difficultés économiques de la filière bois-forêt ? Celle-ci subit une perte structurelle de compétitivité depuis plusieurs années et peine à sortir de la crise économique. Pourtant, la France détient la troisième forêt européenne en surface ; ses entreprises sont présentes dans tous les secteurs du bois et de la forêt ; nous disposons d'une main-d'oeuvre qualifiée. Ainsi, alors que la filière bois-forêt devrait être un atout industriel pour le pays, c'est loin d'être le cas.

Pour établir un diagnostic complet, il convient de distinguer facteurs conjoncturels et structurels.

Sur le plan conjoncturel, la filière subit de plein fouet la crise économique. D'une part, les entreprises sylvicoles et industrielles de la filière ont subi, au même titre que l'ensemble du tissu productif français, le retournement de la conjoncture en 2008-2009 : une chute de la consommation, une contraction des marchés mondiaux, un accès réduit au crédit bancaire, de faibles perspectives d'investissements et un risque déflationniste. À titre d'exemple, la crise du marché du logement a entraîné une stagnation encore sensible du secteur du bois construction, et, avec lui, de sa chaîne d'approvisionnement. Or, les entreprises du secteur, en particulier en amont, dans le secteur de la première transformation et dans la papeterie, étaient déjà sujettes à des fragilités économiques, qu'il s'agisse de problèmes de trésorerie, d'amortissement de lourds investissements ou de carnets de commandes insuffisamment remplis. D'autre part, ces entreprises ont subi l'accroissement de la concurrence internationale, notamment issue de pays comme la Chine ou l'Allemagne, plus vite sortis de la crise que nous, et qui ont misé sur des politiques commerciales très offensives pour redresser leur rythme de croissance.

Sur le plan structurel, les difficultés sont de trois ordres.

Celles de l'amont forestier, tout d'abord. La forêt française se caractérise par de fortes disparités géographiques et un important morcellement. Pour mémoire, 3,5 millions de propriétaires forestiers se partagent 75 % des forêts françaises. Parmi eux, 2,4 millions de propriétaires possèdent moins d'un hectare de parcelle. Les propriétaires forestiers ne sont pas tous exploitants sylvicoles : les petites parcelles détenues peuvent se limiter à un investissement patrimonial, tandis que certaines n'atteignent pas la taille critique pour justifier une exploitation économique rentable. Ce morcellement explique un des principaux problèmes économiques de l'amont de la filière : la difficulté à mobiliser la ressource disponible. En effet, les petits propriétaires privés ne sont pas suffisamment incités à une gestion dynamique de leur parcelle ou ont des difficultés à structurer une offre compétitive. Les petites parcelles sont sujettes à une rentabilité économique aléatoire et confrontées à des obstacles pour écouler localement leur production – soit parce que les industries locales de première transformation sont déficientes, soit en raison de tensions logistiques dues au coût, au manque d'accessibilité et à l'indisponibilité des transports. Ces difficultés sont de nature à contraindre des projets d'exploitation économique viables à long terme. En conséquence, la quantité de bois sur pied disponible est sans commune mesure avec le bois récolté et commercialisé à destination de l'aval de la filière, ce qui crée des risques de pénurie assez paradoxaux.

La deuxième difficulté concerne l'aval industriel. Les travaux de la mission d'information ont montré que l'essentiel des difficultés provenait du secteur des scieries. Certaines d'entre elles sont très compétitives, telles que les établissements Ducret et Monnet-Sève, dans l'Ain, dont nous avons rencontré les dirigeants en juin. Mais dans l'ensemble, les faibles performances économiques des scieries pèsent par ricochet sur celles des industries de la deuxième transformation c'est-à-dire de l'ameublement et de la construction. Rapporté au potentiel forestier français, que ce soit en termes de bois sur pied ou de bois récolté, le volume annuel de sciages est très faible.

Cela s'explique par plusieurs facteurs : tout d'abord, les scieries françaises, implantées au plus près de la ressource forestière, sont souvent de très petite taille et fonctionnent selon un mode de production artisanal et un mode de financement familial. Les faibles économies d'échelle attendues d'un tissu économique aussi atomisé expliquent la difficulté à concurrencer efficacement les scieries industrielles allemandes qui ont atteint la taille critique suffisante pour débiter de gros volumes de grumes. Cette situation s'aggrave d'année en année : les petites scieries françaises connaissent une augmentation de leurs coûts d'exploitation qui les empêche d'investir suffisamment dans la modernisation de leur appareil productif, ce qui influence négativement leur résultat économique. Ce sous-investissement chronique se traduit par une perte de compétitivité qui se répercute sur l'ensemble des secteurs.

Enfin, la dernière difficulté structurelle de la filière bois-forêt réside dans le « découplage » économique observé entre l'amont et l'aval : les acteurs économiques ont du mal à s'entendre sur leurs besoins mutuels et préfèrent souvent recourir à l'importation plutôt que de privilégier un patriotisme économique essentiel à la survie de la filière. Par exemple, les ressources de bois disponibles, en majorité feuillues, comme celles issues des chênes, ne correspondent pas aux besoins réels des industriels, orientés vers les essences résineuses telles que les pins. En particulier, le secteur du bois construction, malgré une demande en hausse constante, ne parvient pas à s'alimenter suffisamment en bois résineux français correspondant aux canons réglementaires et techniques actuels. Économiquement, nous observons donc une situation contre-intuitive pour un pays industrialisé : la France exporte du bois brut bon marché, sous forme de matière première, et importe des produits transformés intermédiaires ou finaux, incorporant de la valeur ajoutée : meubles, arbres sciés et charpentes.

L'offre de formation disponible dans la filière apparaît parfois déconnectée des besoins des entreprises à court terme et peu adaptée aux besoins de plus long terme, ce malgré certaines bonnes pratiques en ce domaine. Les emplois du bois et de la forêt pâtissent encore d'un faible attrait auprès des jeunes cherchant une formation initiale, ce qui exige que ces emplois soient davantage orientés vers l'innovation.

Face à ces préoccupations, nous énonçons dans notre rapport quinze recommandations qui seront détaillées par Mme Got. Ayant travaillé dans le même état d'esprit, nous partageons la grande majorité des constats et des solutions cités dans ce document. Cette convergence de vues illustre l'urgence d'agir pour sauver la filière.

Cependant, je souhaiterais exprimer quelques divergences d'appréciation. La première concerne le rôle d'acteur économique majeur du marché du bois que le rapport souhaite conférer à l'Office national des Forêts (ONF). L'ONF joue certes un rôle important mais parfois en décalage avec ses capacités d'action réelles tant il est contraint budgétairement et peu efficace dans les territoires. C'est donc une réforme en profondeur de l'ONF qu'il aurait fallu viser. La deuxième divergence de vues concerne l'attention particulière portée aux soutiens et à la gouvernance publics qui laisse à penser que les acteurs privés, notamment les interprofessions, n'ont pas leur rôle à jouer dans le redressement de la filière. Il conviendrait d'éviter le penchant consistant à vouloir apporter des solutions de nature publique à tous les problèmes économiques. C'est pourquoi je m'interroge quant à la nécessité d'instituer une structure nouvelle et supplémentaire, l'observatoire de la forêt et du bois, surtout en période d'économies budgétaires. Enfin, j'aurais souhaité mettre davantage l'accent sur les blocages socio-culturels qui empêchent le développement des coupes d'arbres et l'orientation des plantations vers les résineux, y compris dans les forêts publiques – déterminant essentiel des difficultés que rencontrent les entrepreneurs sylvicoles.

Globalement, hormis ces trois points, je rejoins l'ensemble des préconisations de ce rapport. Je remercie donc la rapporteure pour son travail de qualité.

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