Intervention de Pascale Got

Réunion du 14 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Got, rapporteure :

Partageant le diagnostic d'une perte structurelle et inquiétante de compétitivité de la filière bois-forêt, je m'attacherai à présenter les mesures qu'il serait souhaitable de prendre pour mieux la valoriser économiquement. À la différence de M. Damien Abad, j'estime que l'impulsion publique est nécessaire au redressement de cette filière. La situation actuelle réclame un électrochoc : c'est à l'État et aux collectivités locales de prendre la responsabilité de restaurer le dynamisme des entreprises du bois et de la forêt. Si le patriotisme économique ne se décrète pas, il peut être encouragé par des politiques adaptées, ciblées et visant le coeur des problèmes à traiter. Je n'écarte pas pour autant les acteurs privés, notamment les interprofessions qui ont tout leur rôle à jouer en ce domaine.

C'est dans cet esprit que j'ai proposé quinze recommandations visant tant la structure que l'économie de la filière. Sa structure, d'une part, parce qu'un recouplage de l'amont et l'aval est absolument nécessaire pour parvenir à l'intégration économique de la filière, à sa croissance et au développement de l'emploi. Nous devons être en mesure d'affronter la concurrence internationale et mettre fin à un déficit commercial chronique. Son économie, d'autre part, car les difficultés propres à l'amont et à l'aval appellent des solutions économiques spécifiques. On ne saurait résoudre d'un même trait les problèmes des entreprises sylvicoles et ceux des entreprises de la construction bois. En allant au plus près des logiques économiques de chaque secteur, il est possible d'avancer des recommandations réellement opérantes. Il convient d'amorcer le redressement des parties avant de songer à guérir le tout.

En vue d'assurer le recouplage de l'amont et de l'aval, nous énonçons cinq recommandations.

Il conviendrait tout d'abord de désigner un délégué interministériel pour la forêt et le bois. Car la filière ne fonctionne pas spontanément, par le libre jeu des acteurs économiques. La nomination de ce délégué interministériel, placé auprès du Premier ministre, aurait trois objectifs. Elle permettrait d'améliorer la cohérence et la transparence de la gouvernance publique de la filière, actuellement suivie par quatre ministères. Il est temps de montrer un seul visage aux acteurs de la profession. Elle permettrait également de restaurer le dialogue entre les différents acteurs pour amorcer un recouplage entre les besoins et les ressources de l'amont forestier et les besoins et les débouchés de l'aval industriel. Le délégué pourrait jouer un rôle d'interface entre le comité stratégique de la filière bois et le programme national de la forêt et du bois. Il pourrait également servir de médiateur dans l'éventuel rapprochement des deux principales interprofessions de la filière, France Bois Forêt et France Bois Industries Entreprises, que beaucoup appellent de leurs voeux. Enfin, le délégué interministériel aurait pour mission de communiquer sur les dispositifs de soutien institués par les décideurs publics en faveur des entreprises du bois et de la forêt et de mener des campagnes de sensibilisation afin de renforcer l'acceptabilité sociale des coupes d'arbres. Il ne s'agit pas là d'ajouter une couche de gouvernance supplémentaire mais bien de créer un outil de médiation entre des intérêts publics et privés qui peuvent diverger, dans une logique d'émulation plus que de gouvernance à outrance.

Notre deuxième proposition consiste en la création d'un observatoire économique de la forêt et du bois. La filière économique agissant parfois à l'aveugle, nous pourrions l'éclairer quant à son environnement à l'aide d'études économiques, de ressources statistiques complètes et fiables, de cartes des massifs forestiers, des routes d'approvisionnement et des zones tendues en termes de disponibilité des ressources. Cet observatoire permettrait aussi de disposer d'une meilleure prospective des besoins nouveaux et des marchés émergents afin que les entreprises concentrent leur effort d'innovation et commercialisent une offre adaptée.

Nous avons également émis deux recommandations en matière de formation : il convient de développer l'offre disponible, de l'apprentissage à l'enseignement supérieur, et de stimuler la demande en renforçant l'attractivité des métiers de la filière – qui se heurte à un double problème qualitatif et quantitatif. En amont de la filière, il convient de former des conducteurs d'engins, des scieurs et des ouvriers sylvicoles ; et en aval, des architectes spécialisés dans la construction bois, des ingénieurs de la première transformation, des spécialistes du bois énergie et des chimistes. Il faut élargir les spécialisations proposées en BTS (brevet de technicien supérieur), en licence et en master, et créer des doubles diplômes permettant d'intégrer des profils commerciaux aux profils des ingénieurs. Parallèlement, il convient de démocratiser les nouvelles techniques et modes d'organisation par des formations continues ponctuelles et ciblées.

Nous avons un effort important à mener en matière de demande de formation. Comme dans la viticulture, on ne devrait pas « finir dans la forêt » parce que l'on est en échec scolaire. Compte tenu de l'essor des nouvelles technologies et de l'enjeu écologique, des besoins d'innovation se font sentir à chaque stade de la filière, ce qui devrait permettre d'effacer l'image surannée qu'ont les jeunes et les actifs en reconversion des métiers de la sylviculture. Nous envisageons dans notre rapport le recours à plusieurs leviers, dont la promotion de la filière bois-forêt dans les écoles situées dans des régions forestières, au moyen de partenariats éducatifs conclus entre l'éducation nationale et les professionnels.

La dernière recommandation de ce premier ensemble vise à créer un label « qualité France » pour développer l'esprit de patriotisme économique des entreprises. La déconnexion des intérêts de l'amont et de l'aval est la difficulté structurante des entreprises du bois et de la forêt, dans une économie mondialisée et concurrentielle. Il importe de favoriser la rencontre de l'offre et de la demande locales, tout au long de la chaîne de valeur, afin de présenter à l'échelle internationale une filière homogène, indépendante et compétitive. Au-delà de la certification des bois, nous proposons un label « qualité France » pour les produits du bois français : cela nous semble un levier utile à la compétitivité hors prix à l'échelle internationale, permettant de rassembler la filière autour d'une même bannière.

La deuxième série de recommandations porte plus spécifiquement sur l'amont de la filière. Nous avons formulé deux recommandations visant à réorienter la fiscalité forestière en faveur d'une gestion plus productive et d'un regroupement des exploitations. Les avantages fiscaux accordés en matière forestière doivent être soumis à une condition de réelle exploitation économique de la forêt. Nous préconisons de conditionner l'abattement sur l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) à une exploitation économique effective de la forêt afin d'encourager les contribuables aisés à investir dans la forêt. Notre objectif est de transformer la niche fiscale actuelle en incitation fiscale productive, dans la même logique que celle de l'abattement dit « ISF-PME ». Il faudrait également prolonger la durée des différents dispositifs d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI) afin d'apporter un horizon fiscal stable aux entrepreneurs sylvicoles. Enfin, nous proposons d'encourager le regroupement des propriétaires forestiers. Pour rationaliser les politiques de coupe et engendrer des économies d'échelle importantes, il faut rendre plus incitative la fiscalité des organisations de production, en les rendant éligibles à un DEFI majoré, en contrepartie d'obligations déjà nombreuses mais qui pourraient être mieux contrôlées.

Nous préconisons par ailleurs d'assurer l'effectivité du déploiement des groupements d'intérêt économique et environnemental forestier (GIEEF) instaurés par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, afin de permettre aux propriétaires forestiers privés de gérer durablement et activement leurs forêts, sur une base volontaire et concertée. Les acteurs que nous avons rencontrés émettent des réserves quant à l'efficacité d'un tel dispositif qui impose, selon eux, des contraintes administratives supplémentaires sans contrepartie clairement identifiée. Nous souhaitons donc que le ministère de l'agriculture rende rapidement effectives les incitations fiscales promises pour encourager leur déploiement.

Il conviendrait de redéfinir le rôle de l'ONF, principal acteur du marché de la forêt en France. L'État doit saisir l'opportunité que constitue la signature du nouveau contrat d'objectif et de performance 2016-2020 de l'ONF pour l'inciter à mieux remplir sa mission de gestion prévisionnelle des ressources et des besoins pour adapter au mieux la forêt publique à la demande de l'aval de la filière.

Nous préconisons aussi de garantir le ciblage du fonds stratégique pour la forêt et le bois. Créé par la loi du 13 octobre 2014 précitée, ce fonds vise essentiellement la multifonctionnalité de la forêt. Ses crédits devraient être prioritairement investis dans les actions à fort levier pour la filière forêt-bois, notamment pour soutenir l'innovation, la restructuration et le regroupement des industries faiblement compétitives. Il s'agit d'éviter le saupoudrage d'un fonds déjà faiblement doté au vu des enjeux économiques que la filière doit affronter.

Enfin, nous avons émis cinq recommandations concernant plus spécifiquement l'aval industriel.

Nous proposons d'assurer la continuité des approvisionnements en ressource forestière par le développement de la contractualisation. Les délais de livraison irréguliers et l'hétérogénéité du bois reçu par les industriels fragilisent la trésorerie des entreprises, les empêchent de tenir leur cahier des charges ou d'amortir les investissements réalisés. L'accès à la ressource pose problème, raison pour laquelle nous proposons de stabiliser les relations commerciales entre l'amont et l'aval et de développer la contractualisation de l'approvisionnement, en termes de volumes, de qualité comme de délais. C'est l'une des missions du comité stratégique de filière « bois » (CSF Bois).

Nous préconisons la restructuration et la modernisation de l'industrie de la première transformation du bois. Secteur pivot de la filière bois-forêt, l'industrie du sciage en est aussi le maillon faible. La filière doit intervenir pour encourager la concentration des scieries en concurrence sur un même territoire, tout comme le plan « Industrie du futur » devrait, avec l'appui des crédits du programme d'investissement d'avenir, inciter à la création de scieries industrielles de grande ampleur.

Il sera dès lors plus facile de stimuler l'exploration de marchés étrangers pour valoriser les produits à haute valeur ajoutée. L'aval est en effet constitué de nombreuses TPE et PME qui peinent à pénétrer sur les marchés étrangers alors que leurs produits sont de qualité, qu'elles disposent d'un réel savoir-faire et que la haute valeur ajoutée des produits français pourrait bien mieux s'exporter. Là encore, l'accompagnement de Business France pourrait permettre de donner un second souffle à la filière.

Le bois construction représente incontestablement un gisement de croissance, d'emplois, d'innovation et de performances énergétiques. Malheureusement, ce secteur est handicapé par une culture de la construction davantage orientée vers le béton et le ciment, et par des normes peu favorables. C'est pourquoi nous incitons au recours à ce matériau dans le cadre de la commande publique. Il convient également de mieux traiter la question de la normalisation : il convient de renforcer la part des professionnels du bois dans les comités spécialisés de qualification et de normalisation français comme européens.

La dernière recommandation du rapport porte sur la définition d'une politique d'innovation dynamique qui permette à la filière de sortir par le haut de la crise. Dans la filière bois-forêt, le besoin d'innovation est transversal : dans le secteur sylvicole, les dépenses de recherche-développement doivent se concentrer sur les procédures de récolte ou sur les moyens logistiques d'exploitation et de sortie du bois. Dans les secteurs industriels, l'innovation devrait surtout porter sur les processus de production par le biais de la robotisation et de la numérisation, du design et du marketing, pour créer de nouveaux produits à forte valeur ajoutée – tels que le bois plastique composite et les produits issus de la chimie verte. Quatre solutions sont avancées, comme le développement des appels à manifestation d'intérêt ou les appels d'offre de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ou de la Banque publique d'investissement (BPI) qui encouragent le développement de projets innovants.

J'espère que nos échanges contribueront à apporter des solutions pour améliorer la valorisation économique de cette filière. Je remercie M. Damien Abad pour l'excellent état d'esprit qui a prévalu au sein de notre mission.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion