Intervention de Harlem Désir

Séance en hémicycle du 19 octobre 2015 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Article 22 et débat sur le prélèvement européen

Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, monsieur le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure générale de la commission des finances, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les députés, le débat relatif au prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est particulièrement important. D’abord parce qu’il concerne l’un des montants les plus importants en discussion dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Ensuite parce qu’il permet d’effectuer un large examen des politiques communes de l’Union européenne, d’en vérifier la pertinence, d’en suivre les évolutions et les constantes. Il permet ainsi au Parlement d’analyser les relations financières entre la France et l’Union européenne, l’utilisation des fonds européens dans notre pays et l’efficacité des politiques européennes.

Cette année, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne s’établit dans le projet de loi de finances pour 2016 à 21,509 milliards d’euros. Le calcul de la contribution française au financement du budget de l’Union européenne tient à deux facteurs : d’une part, une estimation du besoin de financement de l’Union ; d’autre part, une estimation du niveau des ressources, notamment de la part de la France dans le revenu national brut – RNB – de l’Union européenne. La hausse de notre contribution au financement du budget de l’Union européenne tient essentiellement à la prise en compte de l’entrée en vigueur prévisionnelle de la nouvelle décision relative au système des ressources propres de l’Union européenne, sur laquelle votre assemblée va être prochainement appelée à se prononcer.

En 2016, la France devra s’acquitter de façon rétroactive des corrections et rabais forfaitaires accordés à certains États membres au titre des années 2014 et 2015. Cet impact est estimé à 900 millions d’euros sur le prélèvement sur recettes de cette année. Cet effet rétroactif est analogue à celui du précédent cadre financier 2007-2013, pour lequel la décision sur le système des ressources propres était entrée en vigueur en 2009. Lors de la présentation de la nouvelle décision sur les ressources propres, j’aurai d’ailleurs l’opportunité de revenir plus longuement sur les modalités de financement du budget de l’Union européenne et sur la volonté du Gouvernement de les réformer en profondeur pour les rendre plus lisibles, plus transparentes et plus équitables. Cela implique en particulier de revenir sur tous les mécanismes de correction qui se sont multipliés et sédimentés au fil du temps. C’est le sens des travaux du groupe à haut niveau que préside l’ancien président du Conseil italien et ancien commissaire européen Mario Monti, que j’ai eu l’occasion de recevoir. Nous soutenons sa démarche et souhaitons qu’il fasse des préconisations ambitieuses.

La France demeure le deuxième contributeur net en volume au budget de l’Union européenne, après l’Allemagne et devant le Royaume-Uni. En retour, la France est aussi le deuxième bénéficiaire en volume des dépenses de l’Union européenne en 2014, derrière la Pologne et devant l’Espagne. Elle a ainsi reçu 13,5 milliards d’euros en 2014. Cependant, nous ne pouvons – et nous ne devons pas – nous contenter d’une lecture comptable consistant à analyser des flux entre le budget de l’Union européenne et le budget national. Les avantages et les bénéfices de notre appartenance à l’Union européenne ne peuvent être réduits à cette seule donnée. Parler du budget de l’Union européenne, c’est parler des politiques européennes qui irriguent nos territoires, de notre participation à l’espace européen de la recherche, de la politique agricole commune, du financement des grandes infrastructures régionales ou transfrontalières, du soutien des fonds européens à notre tissu économique.

En définitive, c’est parler de l’orientation de ces politiques au service de la croissance et de l’emploi – je pense en particulier au Fonds social européen ou à la Garantie pour la jeunesse. C’est parler de ce que nous estimons être mieux à même de faire ensemble que chacun séparément, au risque de l’inefficacité. Je pense à l’Europe de l’énergie, au numérique ou à la politique spatiale européenne. Parler du budget, c’est finalement parler du projet pour l’Europe, de notre vision de l’avenir de l’Europe et des ambitions que nous voulons voir assignées à l’Union européenne dans son ensemble. Il ne s’agit donc pas d’esquiver les chiffres, mais de les éclairer.

Le projet de budget présenté par la Commission européenne pour 2016 s’élève, pour l’ensemble de l’Union européenne, à 153,8 milliards d’euros en crédits d’engagement et 143,6 milliards d’euros en crédits de paiement. Ce budget 2016 a ceci de particulier qu’au-delà de la mise en oeuvre de nos grandes priorités stratégiques, définies dans le cadre financier pluriannuel, il tient compte des nouveaux défis que doit relever l’Union européenne, avec par exemple la mise en oeuvre du plan d’investissements Juncker, la réponse à la crise des filières d’élevage et, bien sûr, l’ajustement de nos politiques communes pour faire face à la crise des réfugiés.

En premier lieu, ce budget traduit les grandes priorités de la programmation budgétaire 2014-2020, notamment la réorientation des politiques européennes en faveur de l’investissement, de la croissance et de l’emploi. Le budget de l’Union européenne pour 2016 se caractérise ainsi par la montée en charge des nouveaux programmes de la période de programmation financière 2014-2020, en particulier le programme Horizon 2020 pour la recherche, les universités et l’innovation, le programme Erasmus + pour la mobilité des jeunes, l’éducation et la formation tout au long de la vie, le Mécanisme pour l’interconnexion pour l’Europe, consacré aux investissements dans les infrastructures énergétiques, de transport et numériques. Sur toutes ces politiques, l’enjeu pour la France est de permettre à nos projets de bénéficier de financements européens. Il faut à cet égard se réjouir de l’augmentation de nos retours en 2014, dernière année de référence connue. En 2014, la France a ainsi perçu 570 millions d’euros au titre du programme Horizon 2020 et 182 millions pour Erasmus +. Elle est désormais, en volume, le premier bénéficiaire de ces programmes. Plusieurs projets français ont également été retenus par le comité de coordination du Mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, en particulier le canal Seine-Escaut et la ligne ferroviaire Lyon-Turin, projets sur lesquels le Gouvernement s’est beaucoup mobilisé.

Le projet de budget de l’Union européenne pour 2016 prévoit également des crédits pour la mise en place du Fonds européen pour les investissements stratégiques dans le cadre du Plan Juncker, afin de réaliser un total de 315 milliards d’euros d’investissement publics et privés au cours des trois prochaines années. En France, plus de 140 projets éligibles ont d’ores et déjà été identifiés. Plusieurs d’entre eux ont déjà reçu de premiers financements relais. Dans le même temps, les grandes politiques de l’Union européenne, en particulier la politique de cohésion, avec le Fonds européen de développement régional – FEDER – et le Fonds social européen – FSE –, doivent continuer à favoriser la croissance et l’emploi dans nos territoires. En France, le rôle des acteurs territoriaux sera accru, puisque les conseils régionaux sont devenus autorités de gestion de ces crédits européens pour maximiser leur effet de levier sur le développement local.

En second lieu, ce budget doit aussi nous permettre de répondre collectivement aux grandes crises auxquelles l’Union européenne est aujourd’hui confrontée. En effet, le projet de budget européen pour 2016, que le prélèvement sur recettes permet de financer, est aussi un budget de réponse aux urgences et aux crises. Je mentionnerai d’abord, dans le domaine de l’agriculture, la crise que connaît l’élevage depuis cet été. Les secteurs des produits laitiers et de la viande porcine, en particulier, souffrent de la faiblesse des prix du marché. Les facteurs de cette crise sont connus : excès d’offre sur les marchés lié notamment à la fin des quotas laitiers, embargos russes et demande chinoise moins importante que prévue sur les produits laitiers.

Le ministre de l’agriculture et l’ensemble du Gouvernement se sont mobilisés pour trouver des solutions à l’échelle européenne. La France a obtenu en septembre la réunion d’un Conseil des ministres de l’agriculture exceptionnel. À cette occasion, la Commission a annoncé un paquet de 500 millions d’euros d’aides, notamment pour le lait en poudre et la viande porcine, qui sera pris en compte dans le budget 2016. Ce paquet budgétaire doit aussi permettre de répondre aux difficultés de trésorerie des agriculteurs. La France va ainsi recevoir une enveloppe de 62,9 millions d’euros d’aides supplémentaires. Les paiements aux agriculteurs seront effectués avant le 31 décembre. Le plan européen prévoit également des actions de stabilisation des marchés, avec de nouvelles mesures de stockage privé pour les produits laitiers, le fromage et le porc.

Sur la crise migratoire, les défis pour l’Europe sont colossaux ; ils ont été présentés par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale. Je ne reviens pas sur les positions que nous avons défendues en Europe, qui traduisent un équilibre entre la solidarité et la responsabilité. Mais cette crise a aussi une dimension budgétaire. L’accueil des réfugiés, leur enregistrement dans les fameux centres d’enregistrement et d’accueil, les hot spots, la gestion de nos frontières extérieures communes, le renforcement de la lutte contre les passeurs, notamment l’opération maritime Sophia, au large des côtes libyennes, contre les trafiquants d’êtres humains en Méditerranée, le raccompagnement dans leur pays d’origine de ceux qui ne relèvent pas de la protection internationale, l’appui à des projets de développement dans ces pays, tout cela a un coût qu’il faut supporter. Il nous faut également aider les pays tiers de transit, en particulier les pays voisins de la Syrie confrontés à un afflux de réfugiés syriens – Liban, Jordanie, Turquie –, afin que ceux-ci puissent y être accueillis au mieux plutôt que de tenter à tout prix de rejoindre l’Europe.

Tous ces sujets ont été au coeur des débats des dernières réunions du Conseil européen. La Commission évalue l’effort budgétaire global pour répondre à la crise des réfugiés, en 2015 et en 2016, à 9,2 milliards d’euros. Ceci inclut certains montants déjà budgétés, mais également les nouvelles mesures annoncées lors du Conseil européen extraordinaire du 23 septembre, à hauteur de 1,7 milliard d’euros. Ces moyens budgétaires permettront notamment d’apporter des financements supplémentaires aux agences de l’ONU, comme le Haut Commissariat pour les réfugiés ou le Programme alimentaire mondial. Ils permettront également de renforcer le Fonds asile, migration, intégration – FAMI – et le Fonds pour la sécurité intérieure – FSI –, de financer les augmentations d’effectifs annoncées dans les agences européennes sollicitées – Frontex, le Bureau européen d’appui en matière d’asile et Europol – ainsi que, en appui des États membres, la relocalisation de 160 000 personnes, laquelle résulte des décisions prises en juillet et en septembre derniers.

Mesdames, messieurs les députés, tels sont les grands enjeux du budget de l’Union européenne pour 2016. Financer l’Europe, c’est se donner les moyens de notre ambition européenne dans les grands domaines d’avenir comme face aux urgences et aux crises. C’est refuser de céder à la tentation du repli. C’est servir l’intérêt de l’Europe, donc l’intérêt de la France. Tel est l’enjeu de l’examen du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne sur lequel l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer et que le Gouvernement vous demande de soutenir.

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