Intervention de Estelle Grelier

Séance en hémicycle du 19 octobre 2015 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Article 22 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure générale, chers collègues, la commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis de l’article 22 du projet de loi de finances, qui détermine la contribution française au budget communautaire. Pour la seconde année, nous examinons cet article en séance, à défaut d’en débattre.

Je veux commencer mon propos en soulignant que les constats, parfois durs, les analyses, partagées, les propositions – ambitieuses –, monsieur le secrétaire d’État, nous les formulons de manière constante et régulière depuis 2012 ; mais l’écho rencontré jusqu’alors est assez faible. Je compte donc sur votre détermination pour faire bouger les lignes et pour qu’enfin un projet européen ambitieux soit financé.

La négociation sur la proposition de budget de l’Union européenne pour 2016 est engagée. Elle s’inscrit dans un cadre financier pluriannuel que nous sommes nombreux à juger insuffisant, dans un contexte d’augmentation du nombre des États membres, d’élargissement par les traités du périmètre des compétences communautaires, de besoins importants en investissements structurants, de défis stratégiques immenses, avec une multiplication des conflits dans son voisinage, dont la crise migratoire – à laquelle l’Europe peine encore à faire face – est le dramatique symptôme – le symptôme d’une impuissance politique, que les citoyens européens perçoivent et rejettent et à laquelle il est urgent de remédier.

Le budget 2016 est le premier budget élaboré par la nouvelle Commission européenne, qui a indiqué qu’elle présentait un projet à la hauteur des ambitions fixées par le Conseil, ambitions rappelées par l’appel conjoint lancé par François Hollande et Angela Merkel, côte à côte devant le Parlement européen début octobre, un appel à plus d’Europe face aux crises. Il est impossible, pour ceux qui pensent, comme beaucoup d’entre nous, que l’Europe est une solution, de ne pas souscrire à un tel objectif. Malheureusement, les moyens pour y parvenir ne sont pas là.

En effet, ils s’établissent à 143,5 milliards d’euros en paiements, soit 0,98 % du revenu national brut, le RNB, en progression de 1,6 % – soit une quasi-stabilisation en volume – et à 153,8 milliards d’euros en engagements, soit 1,05 % du RNB, en diminution de 5 %. Cette baisse doit cependant être relativisée, car une fois neutralisée la reprogrammation des crédits de 2014, qui se fait à titre principal sur 2015, les engagements progressent de 2,4 % entre 2015 et 2016.

La Commission indique qu’elle souhaite porter l’accent sur la croissance et l’emploi, la sécurité, la politique migratoire et la politique extérieure, et affiche également sa volonté de maîtriser les dépenses administratives, qui augmentent néanmoins de 2,9 %, et de réduire les effectifs des institutions européennes.

Comme toujours, la proposition du Conseil est en retrait. Il a, en effet, souhaité restaurer des marges sous plafonds significatives, a fixé le niveau des crédits d’engagement à 153,269 milliards d’euros, soit une diminution de 5,4 % par rapport au budget voté pour 2015, et a limité la hausse des crédits de paiement à 0,6 %. Ainsi, par rapport au projet de la Commission, le Conseil a décidé de réduire de 564 millions d’euros les crédits d’engagement et de 1,4 milliard d’euros les crédits de paiement. Les instruments spéciaux sont maintenus au niveau proposé par la Commission, hormis l’instrument de flexibilité, qui n’est plus mobilisé en crédits de paiement et qui pèse 389 millions d’euros.

Dans un jeu de rôle maintenant bien rodé, le Parlement européen a proposé de supprimer les propositions de baisse de crédits du Conseil, d’augmenter les moyens des agences en charge de la gestion de la crise migratoire ainsi que des programmes en faveur de l’entrepreneuriat et des PME, de revenir sur les redéploiements des crédits du programme de recherche d’Horizon 2020 au bénéfice du Fonds européen d’investissement et enfin de faire un plein usage des instruments de flexibilité.

La commission des affaires étrangères, pour sa part, estime que les arbitrages budgétaires, qui devront intervenir avant le 25 novembre 2015, doivent tendre vers le projet de la Commission, qui est l’institution européenne la plus capable d’apprécier les besoins de financement. J’ajoute que la position du Conseil est en contradiction avec les priorités affichées dans le cadre financier pluriannuel et les objectifs que fixe celui-ci. Elle est aussi en contradiction avec les objectifs politiques que fixe le Conseil lui-même.

Premier exemple, l’investissement en faveur de la croissance. L’initiative de la Commission européenne de créer un Fonds européen pour les investissements stratégiques est à saluer. Toutefois, les effets de levier de 1 à 15 qui ont été annoncés pour les dépenses de ce fonds sont peu réalistes. En outre, les sommes proposées ne couvrent qu’une partie des besoins de l’Europe en infrastructures. Enfin, le fonds mobilise surtout des redéploiements de crédits.

Deuxième exemple, la politique étrangère de l’Union européenne. En 2016, les crédits qui doivent permettre d’assurer la poursuite des opérations en cours au Sahel, dans la Corne de l’Afrique, en Libye, en République démocratique du Congo et en Ukraine s’élèvent à 327 millions d’euros en engagements et à 299 millions d’euros en paiements. Ils sont certes en légère hausse, mais limités en valeur absolue. Et il est nécessaire aussi de renforcer les dotations en faveur de l’instrument européen de voisinage, notamment au sud de l’Europe, dont l’importance stratégique est trop souvent minimisée par certains de nos partenaires européens, alors que les crises s’y multiplient, en Libye, au Proche-Orient, en Syrie, que la stabilité du Liban ou encore de l’Égypte est fragile et que la crise migratoire trouve sa réponse au sud.

Je note au passage que c’est principalement par redéploiements et usage des instruments de flexibilité que l’Europe a fait face aux dépenses liées à cette crise.

Enfin, troisième exemple, on peut vraiment regretter, messieurs les secrétaires d’État, que l’Initiative pour l’emploi des jeunes ne bénéficie d’aucun nouveau crédit en 2016.

Lors des négociations sur le cadre financier pluriannuel, une clause de revoyure en 2016 a été obtenue de haute lutte par les parlementaires européens, clause à laquelle les Parlements nationaux seront associés au cours d’une conférence institutionnelle.

La France doit y jouer un rôle de premier plan, d’abord parce que notre pays est l’un des grands bénéficiaires et premiers contributeurs du budget européen. Le dynamisme de sa contribution ne se dément pas. En 2016, l’article 22 du projet de loi de finances, comme vient de le rappeler Mme la rapporteure générale, évalue à 21,5 milliards d’euros le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au profit du budget de l’Union européenne, évaluation sur laquelle pèsent encore de nombreuses incertitudes puisqu’on sait qu’il y a une mauvaise estimation chronique et structurelle des droits de douane par la Commission européenne. Je ne rappelle pas les enjeux, évoqués par Mme la rapporteure générale, de ce prélèvement sur recettes qui s’effectue dans une enveloppe normée.

La France participe toujours davantage à l’effort de solidarité européen, comme le montre la dégradation de son solde net, qui approchait les 8 milliards en 2014.

Je rappelle ici que nous avons voté, à l’initiative du groupe socialiste, une résolution européenne favorable à l’exclusion de ce solde du calcul du déficit. La France oeuvre à un rééquilibrage de la politique européenne en faveur du soutien à la croissance et à l’emploi. Le pacte de croissance en témoigne, de même que nos efforts pour concrétiser l’union bancaire, renforcer la coordination de nos politiques économiques, soutenir l’investissement dans l’énergie, les transports ou encore la santé, anticiper comme nous l’avons fait avec le cadre financier pluriannuel la mise en oeuvre de l’Initiative européenne pour la jeunesse.

Messieurs les secrétaires d’État, dans cette perspective et celle de la clause de revoyure de 2016, pourriez-vous éclairer les membres de la commission des affaires étrangères sur la position de la France sur trois sujets ?

En premier lieu, les nouvelles modalités de souplesse de gestion définies avec le Parlement européen. Leur portée doit encore être précisée, notamment pour ce qui concerne la possibilité de mobiliser au-delà du plafond des crédits de paiement les instruments spéciaux, point qui oppose le Conseil à la Commission et au Parlement. J’estime pour ma part que dans un cadre pluriannuel restreint – et les membres de la commission des affaires étrangères se sont ralliés à cette analyse –, ces instruments de flexibilité doivent être utilisés à plein pour faire face aux dépenses imprévues. C’était d’ailleurs une des contreparties au vote du cadre financier pluriannuel par les députés européens.

Le deuxième point sur lequel je souhaite attirer votre attention, au risque de me répéter, est celui de la persistance des « reste à liquider », qui sont évalués à 200 milliards d’euros : sujet désormais récurrent. Nous sommes nombreux ici à considérer leur accumulation inquiétante.

Vous le savez, des délégations de parlementaires européens sont venues à la rencontre des parlementaires nationaux pour les mettre en garde sur ce point.

Enfin et surtout, je souhaite évoquer la réforme des ressources propres de l’Union européenne, réforme avortée en 2014, puisque la dernière décision adoptée par le Conseil, non seulement n’a rien changé, mais a ajouté des rabais aux rabais et se soldera par un surcoût proche de 900 millions d’euros pour la France en 2016. Le budget européen ne peut pas continuer à être l’agrégation des contributions des différents États membres, ou bien, inlassablement, ressurgira chaque année le clivage entre les pays de la cohésion – qui dénoncent les engagements non tenus – et les contributeurs nets expliquant que subissant des contraintes budgétaires fortes, ils souhaitent limiter leur contribution. On aboutit à une situation absurde, pour ne pas dire préoccupante, dans laquelle chaque État essaie de reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre.

Il faut aussi poser les questions institutionnelles. Le Parlement européen ne joue qu’un rôle consultatif pour les recettes, l’adoption du cadre financier pluriannuel est déconnecté des élections – comment défendre un projet devant les électeurs sans maîtrise du cadre budgétaire ? – et la règle de l’unanimité qui s’applique aux décisions relatives aux ressources propres est une des raisons pour lesquelles le système n’a jamais été réformé : tout cela laisse craindre un grand manque d’ambition pour l’après 2020.

Tels sont donc, messieurs les secrétaires d’État, sur cette question essentielle qu’est la contribution française au financement des politiques européennes, les points sur lesquels, au nom de la commission des affaires étrangères, nous souhaitons obtenir des réponses.

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