Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 19 octobre 2015 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2016 — Article 22 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État aux affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État au budget, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, nous en avons encore la confirmation cette année avec le projet de budget pour 2016 et les budgets rectificatifs pour 2015 : le budget européen est insuffisant pour faire face aux défis auxquels l’Union est confrontée.

Trop étriqué, ce budget craque de toutes parts. Alors comment va-t-il pouvoir financer la nécessaire solidarité que représente l’accueil des réfugiés qui fuient les guerres et frappent légitimement à nos portes ?

Pour financer le plan d’investissement pour l’Europe, qui est doté de seulement 8 milliards d’euros de garanties provenant du budget européen, il faut prendre, en 2016 et ce jusqu’en 2018, des crédits sur les lignes budgétaires destinées au programme de recherche Horizon 2020, pour 2,7 milliards d’euros, et au Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, pour 3,3 milliards d’euros. Autrement dit, on déshabille Pierre pour habiller Paul et on prive de moyens conséquents des programmes phares pour la croissance et l’emploi, y compris l’emploi des jeunes.

Plus grave encore : le financement des mesures en faveur des réfugiés, qui a été annoncé cet été et cet automne, est assuré en partie par redéploiement, et non uniquement à partir de moyens nouveaux. Ainsi, les 78 millions d’euros de paiements prévus dans le cinquième budget rectificatif pour 2015 sont pris à 90 % sur le programme Galileo. De même, le septième budget rectificatif pour 2015 prévoit, sur un montant total annoncé de 400 millions d’euros en engagements et de 57 millions d’euros en paiements, de financer 10 % des engagements et la totalité des paiements à partir des lignes budgétaires destinées au Fonds de solidarité de l’Union européenne, à la politique agricole et à la pêche. Est-ce bien raisonnable en période de crise agricole ? Est-ce cohérent ?

Nous avons ainsi la confirmation que la mise en garde à laquelle avait procédé la commission des affaires européennes lors des négociations relatives au cadre financier pluriannuel, était pleinement justifiée. Ce cadre est nettement insuffisant. On le voit : l’Union, désargentée, n’apparaît pas en mesure de relever les défis auxquels elle est confrontée, ce qui entame encore davantage la confiance de nos concitoyens dans le projet européen.

Il faut que nous tirions pleinement profit du réexamen du budget de l’Union qui doit avoir lieu en 2016, afin de remédier enfin à cette situation de crise.

Nous devons faire en sorte que la conférence inter-institutionnelle relative aux ressources propres prévue l’an prochain impose une remise à plat du système de financement du budget européen et dote celui-ci de véritables ressources propres.

Nous bénéficierons certainement, dans notre projet, d’un soutien précieux en la personne de Mario Monti. Ce dernier, qui préside le groupe à haut niveau chargé de procéder à un réexamen général du système des ressources propres, a en effet mis en évidence, lors de son audition par notre commission et par celle des finances le 31 mars dernier, une « évaluation unanimement très négative » du système actuel.

Afin de pallier cette situation, je considère qu’il est indispensable de réviser en profondeur le système des ressources propres, avec un double objectif de simplification et d’autonomisation.

Il faut notamment supprimer les rabais et autres ristournes, dont on constate pleinement les effets négatifs sur le prélèvement sur recettes inscrit dans le projet de loi de finances pour 2016. Celui-ci, compte tenu de l’entrée en vigueur rétroactive de ces mécanismes, est supérieur de 900 millions d’euros à son niveau attendu.

Afin de mettre un terme à la logique du « juste retour » qui domine les négociations sur le cadre financier pluriannuel et de doter correctement le budget européen, il est impératif de mettre en place de véritables ressources propres. Mario Monti avait évoqué, lors de son audition, l’impôt sur les sociétés. Pour ma part, je plaide plutôt pour la taxe sur les transactions financières. Quelle est votre position, monsieur le secrétaire d’État, sur ce sujet des ressources propres du budget européen ? Quel impôt privilégieriez-vous ? Et où en sont les négociations sur la taxe sur les transactions financières, Arlésienne du budget européen ?

Et pourtant, monsieur le secrétaire d’État aux affaires européennes, nous faisons vous et moi partie des gens attachés à cette taxe sur les transactions financières !

Je pense par ailleurs que nous devons tirer pleinement parti de la conférence inter-institutionnelle prévue en 2016, en élargissant son mandat à la question des dépenses du budget européen.

Il convient en effet, à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, de tirer les enseignements des trois premières années de sa mise en oeuvre, qui montrent d’ailleurs l’insuffisance criante des moyens mobilisés au niveau européen.

À cet effet, il faut revoir les plafonds de crédits arrêtés en 2013. On voit aujourd’hui qu’ils ne sont absolument pas à la hauteur des défis auxquels l’Europe est confrontée.

Il nous faut aussi trouver, ensemble, une réponse à la progression continue des « reste à liquider », que le projet de budget européen pour 2016 ne semble, pas plus que les précédents, devoir contribuer à résoudre – sujet cher à Estelle Grelier. Quelles sont, à cet égard, les pistes que vous privilégiez, messieurs les secrétaires d’État, pour endiguer ce « reste à liquider », qui a progressé de plus de 40 % sur les cinq dernières années ?

Il convient également de préciser l’ampleur de la portée des instruments de flexibilité, afin de sortir de la controverse stérile qui oppose le Conseil au Parlement européen sur la possibilité de mobiliser ces instruments au-delà du plafond des paiements. Au vu de la situation actuelle, la réponse me semble évidente : oui, il doit être possible d’aller au-delà de ces plafonds.

Pour sortir de la logique égoïste qui guide les discussions budgétaires européennes et redonner tout son sens au budget européen, il convient par ailleurs d’adopter une approche plus logique dans le suivi des finances publiques mené dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance.

Ainsi, pour que la participation financière aux politiques européennes ne soit plus considérée comme un fardeau pour les finances publiques nationales, il faut exclure du mode de calcul du solde public la contribution des États membres au budget de l’Union.

Pensez-vous, messieurs les secrétaires d’État, défendre cette proposition que notre Assemblée a adoptée dans une résolution européenne le 8 juin dernier ?

Nous sommes par ailleurs bien conscients que la prise en compte de la contribution de la France au budget européen dans la norme de dépense a pour conséquence de contraindre le financement des politiques au niveau européen, alors même que le budget européen est un budget d’investissement, c’est-à-dire un budget qui doit construire l’avenir.

Cette inclusion du prélèvement européen dans la norme de dépense a également, et surtout, pour conséquence de contraindre les moyens des différents ministères, dès lors que tous sont inscrits dans la même enveloppe.

Il faut que nous nous libérions de ces logiques comptables, et simplement comptables, totalement déconnectées de la réalité et des choix politiques, qui se révèlent la plupart du temps absurdes et contre-productives. Nous devons éviter que notre action se retrouve uniquement guidée par des règles et non par des projets.

Revenons donc à la définition même d’un budget, et tout particulièrement du budget européen : c’est un outil au service de politiques ambitieuses et non, je le répète, un instrument comptable.

À cet effet, il convient sans doute d’exclure le prélèvement européen de la norme de dépense alors que, je le rappelle, il a été introduit dans cette enveloppe normée en 2008 suite à une décision d’opportunité du gouvernement d’alors. Le Gouvernement, vous-mêmes, messieurs les secrétaires d’État, êtes-vous prêts à faire cet effort ?

Voilà les quelques réflexions que la commission des affaires européennes tenait à faire valoir au moment où nous discutons de ce sujet éminemment européen.

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