Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État chargé du budget, madame la présidente de la commission des affaires européennes, madame la rapporteure générale, chers collègues, la France est un contributeur important du budget de l’Union européenne. Pour 2016, sa contribution est évaluée à 21,5 milliards d’euros, sous la forme d’un prélèvement sur recettes. De plus, la France devra s’acquitter de manière rétroactive de rabais forfaitaires accordés à des États membres tiers au titre des années 2014 et 2015, pour 900 millions d’euros. La contribution française au budget de l’Union atteint donc en 2016 un total de 22,4 milliards d’euros, soit près de 7 % de plus que l’année dernière. Le débat se justifiait l’an passé ; il se justifie encore plus cette année.
Le contexte européen est marqué par ce qu’il est communément admis d’appeler la « crise des migrants » et des demandeurs d’asile, qui fuient leurs pays d’origine pour des motivations légitimes au péril de leur vie – une crise sur laquelle ose surfer sans complexe l’extrême droite, avec une complaisance déconcertante. J’en veux pour preuve l’amendement déposé par notre collègue M. Bompard, qui ne semble pas dans les starting-blocks pour le défendre, amendement qui propose la suppression pure et simple de l’article 22 dont nous discutons ici, c’est-à-dire celle de la participation de la France au budget de l’Union européenne, sous le motif que celle-ci « soutient l’invasion du territoire français par l’immigration massive ». Rien de moins ! À l’inverse, le groupe RRDP estime que le montant total du budget de l’Union européenne n’est pas suffisant, malgré les augmentations de crédits des rubriques « Europe dans le monde » et « Sécurité et citoyenneté », pour faire face aux enjeux du Proche-Orient et de la Méditerranée, dans lesquels la France doit prendre toute sa part.
Toutefois, ne balayons pas d’un revers de main le sujet du montant élevé, il est vrai, prélevé sur les recettes de la France. Car si ce débat est légitime, il est bien plus complexe que ne le prétendent d’aucuns. En effet, je tiens à rappeler ici que notre assemblée a adopté le 8 juin dernier une proposition de résolution européenne soutenue par le Gouvernement et le Président de la République, relative à la juste appréciation des efforts faits en matière de défense et d’investissements publics dans le calcul des déficits publics. Cette proposition rappelle plusieurs des objectifs de l’Union européenne énoncés à l’article 3 du traité qui l’instaure, selon lequel l’Europe « contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la Charte des Nations unies ».
Ce cadre général engage l’ensemble des pays de l’Union européenne. Néanmoins, les États membres présentent des niveaux d’engagement et donc des efforts budgétaires très variables. Depuis l’élection de François Hollande, la France s’est engagée, sous mandat des Nations unies, dans de vastes opérations extérieures de maintien de la paix visant à lutter contre le terrorisme au bénéfice de l’ensemble du territoire européen. Or cette donnée essentielle n’est pas prise en compte dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – au sein de l’Union, signé en mars 2012 par les États membres, à l’exception du Royaume-Uni et de la République tchèque.
Cet accord intergouvernemental, régi par le droit international, comporte des engagements des États contractants en vue de « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire » et de « renforcer la coordination de leurs politiques économiques et améliorer la gouvernance de la zone euro ».
Le TSCG a été transposé en droit français par la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques du 17 décembre 2012, qui a donné lieu, ici même, à des débats très nourris au sein de la majorité sur l’opportunité de tels carcans normatifs en l’absence durable de dynamisme économique. Le renforcement de la discipline budgétaire fait toutefois l’objet d’exceptions, en cas de « faits inhabituels » ou de « grave récession économique ». Ces dispositions permettent ainsi aux gouvernements de l’Union qui maintiennent leurs efforts structurels de déroger, avec l’accord de la Commission, au carcan du traité et d’éviter les sanctions économiques associées en demandant des reports de leurs objectifs de déficit nominal de moyen terme.
Toutefois, rien dans ce traité ne se rapporte aux efforts réalisés par les États membres en matière de défense afin de contribuer à la réalisation des objectifs généraux du traité sur l’Union européenne, notamment ceux visant le maintien de la paix et la lutte contre le terrorisme. Or ce n’est pas un mince sujet, tant les surcoûts annuels des opérations militaires extérieures françaises – les OPEX – atteignent des montants importants : 873 millions d’euros en 2012, affectés principalement au maintien des opérations en Afghanistan, 1,25 milliard d’euros en 2013, année de l’opération Serval au Sahel et au Mali, et encore 1,12 milliard d’euros en 2014, avec, entre autres, l’opération Sangaris en République centrafricaine. Ces opérations non budgétées font l’objet d’un financement interministériel et ne pèsent pas sur le seul budget de la défense.
Sur l’ensemble du produit intérieur brut national, l’effort budgétaire de la France en matière de défense est considérable, puisque, depuis plusieurs années, il est légèrement supérieur à 1,5 % ; il n’est par exemple que de la moitié en Italie et des deux tiers en Allemagne. Ainsi, ces opérations conduites sous mandat de l’ONU créent une inégalité de situation entre les partenaires européens. En effet, ces disparités, stables dans le temps, peuvent être considérées comme structurelles et légitiment donc la demande d’une révision de la définition de l’assiette du déficit public structurel, qui figure à l’article 2 du protocole no 12 du Traité sur l’Union, afin que cette définition repose également sur une juste appréciation des efforts consentis au titre des OPEX.
Comme aucune décision n’a encore été prise sur le sujet par la Commission ou par le Conseil, qui devaient pourtant avancer sur ce point en juin dernier, et bien que nous ne pouvions nier la forme d’ « indulgence» qui nous est consentie dans le temps par les instances de Bruxelles pour réduire notre déficit nominal, il n’est pas incongru de considérer qu’en l’espèce la note pour la France est un peu salée.
Une fois faite cette remarque de fond sur le montant prélevé sur les recettes de la France, contenu à l’article 22 du PLF, j’en viens au budget de l’Union lui-même. Pris globalement, et bien que considérable en volume, il n’est peut-être pas assez ambitieux, compte tenu des défis qui attendent l’Union l’année prochaine et des priorités qu’elle se donne, à savoir la croissance, l’emploi et la question des réfugiés.
En effet, la transition énergétique et l’adaptation au changement climatique ne sont pas citées comme priorités par l’Union européenne, alors que ce sont des secteurs d’avenir qui nécessitent des investissements publics forts. De plus, l’initiative pour l’emploi des jeunes mérite plus de moyens, bien que le taux de préfinancement de ce projet soit porté à 30 %. La question est toujours brûlante d’actualité avec une jeunesse paupérisée, qui se tourne en conséquence vers l’abstention ou les extrêmes. La situation est en effet pour le moins dramatique : sur l’ensemble de l’Union des vingt-huit, l’écrasante majorité des jeunes de moins de trente ans sont des outsiders : ils sont au chômage, voire sans aucune activité, en termes non seulement d’emploi mais également d’études ou même de formation.
Sur la totalité de ces jeunes Européens, un peu plus de 13 % seulement occupent un emploi salarié à durée indéterminée, quand 10 % occupent un emploi salarié à durée déterminée. Le constat de cet échec qui est, il ne faut pas s’en cacher, un échec de la construction européenne, doit nous pousser à réagir, d’autant plus que ces jeunes sans activité et disposant de peu de perspectives ont moins de chance de devenir des adultes pleinement citoyens et équilibrés, désireux de construire l’Europe de demain. Cette situation fragilise le contrat social intergénérationnel et engendre de surcroît un coût économique et financier non négligeable.
En effet, le coût du non-emploi des jeunes adultes représentait 150 milliards d’euros en 2011 pour l’Union des vingt-huit, soit 1,2% de son produit intérieur brut, auxquels il faut ajouter une perte nette de gain de croissance, plus difficilement chiffrable, que ces jeunes auraient pu apporter à l’économie européenne. C’est pourquoi, si nous nous félicitons des moyens supplémentaires mobilisés en faveur du programme Erasmus +, nous redoutons malheureusement qu’ils ne suffisent pas l’année prochaine à endiguer le mouvement de paupérisation de toute une génération et toutes les conséquences politiques qui vont avec.