Je représente ici le groupe BPCE, dont vous savez qu'il est composé de plusieurs entités : les caisses d'épargne, dont je suis personnellement employé ; Crédit foncier de France ; Natixis. L'action de ces trois entités est très importante dans le domaine du financement du secteur public dans son ensemble. Nous parlons ici des communes et EPCI, mais il y a aussi toutes les autres collectivités, ainsi que le secteur public hospitalier, avec lesquelles elles forment un ensemble très pondéreux en termes de volume d'investissements. Tout ce qui touche aux réseaux, notamment d'eau et d'assainissement, représente également un volume d'investissement très important.
Ainsi, l'encours du groupe BPCE, avec Caisses d'épargne et Crédit foncier, sur le secteur public français local est d'environ 55 milliards d'euros, ce qui représente un peu moins de 30 % de l'ensemble du financement du secteur public, qui s'élève entre 140 et 150 milliards d'euros pour les collectivités, plus 30 milliards avec les hôpitaux. Cet encours se répartit sur 30 000 clients. En fait, nous considérons que, hors quelques cas vraiment exceptionnels, toute entité publique qui a un jour emprunté a un encours auprès de notre groupe.
Vous savez tous très bien que les caisses d'épargne sont des entreprises véritablement régionales, locales, mutualistes, puisque les collectivités locales s'impliquent personnellement dans leur gouvernance : la loi prévoit qu'elles disposent d'un représentant au sein du conseil d'orientation et de surveillance de chaque caisse régionale de caisse d'épargne. Le sujet que vous traitez aujourd'hui est donc très important pour nous, de même que nous préoccupe la question de la soutenabilité financière de l'endettement de la clientèle publique.
Derrière la masse que le banquier considère en « macro » au siège de BPCE, ce sont en fait près de 220 000 contrats qui ont été conclus avec une collectivité locale bien identifiée, qui, à un moment, a emprunté pour un projet lui-même bien identifié. La comptabilité publique est une réglementation très rigoureuse, les banques sont aussi soumises à des règles très strictes. À chacun de nos 30 000 clients, nous sommes tenus d'attribuer et de fournir une note qui synthétise sa situation financière. Cette note doit, d'une part, indiquer quelle est la situation de la collectivité sur le plan des équilibres financiers ; d'autre part, présenter une dimension prospective. Ainsi, à mesure que des données nouvelles sont intégrées, le calcul doit pouvoir se modifier pour bien refléter l'évolution de la situation financière de la collectivité examinée.
Comment construisons-nous cette note ? Une quinzaine de critères, connus des banquiers, entrent en considération. Quoiqu'ils aient un caractère confidentiel, vous imaginez très bien quels sont ceux qui pèsent très lourd dans la note : ce sont évidemment l'épargne brute et son évolution, et la capacité de désendettement de la collectivité. La dégradation de ces paramètres pèsera lourd dans l'évolution de la note.
Depuis toujours, l'idée est largement partagée qu'une capacité de désendettement relativement courte – de trois, quatre ou cinq ans – est une bonne chose, et c'est vrai. Cela veut dire que la collectivité peut se désendetter très rapidement, simplement en arrêtant d'investir. C'est un bon indicateur. Sachez cependant, pour mieux en comprendre la construction, que la note d'une collectivité ne se dégradera sensiblement en raison d'une détérioration de la capacité de désendettement que lorsque celle-ci dépassera dix ans. Et des seuils d'alerte importants seront franchis au-delà de douze ans. Je crois que vous avez déjà débattu de la question de la durée des emprunts. Doit-on toujours emprunter sur dix, vingt ou trente ans pour amortir des ordinateurs aussi bien que des routes, des bâtiments ou des ponts, qui sont encore plus durables ? Nos modèles, validés par les régulateurs, intègrent des paramètres de ce type. Quand une collectivité emprunte, elle ne le fait que pour financer une dépense d'investissement, que l'on considère, par nature, comme durable.
La construction de la note intégrera aussi des considérations liées à la dynamique du territoire, par exemple à la croissance de sa population dans le temps. Nous examinons donc des ratios qui sont quand même bien connus et, finalement, relativement simples, peut-être même relativement intuitifs. C'est cela qui nous permettra de déterminer si la collectivité qui est notre interlocuteur pourra bien soutenir sa dette ou si cela lui sera un petit peu plus difficile.
À l'heure actuelle, et sur la base des comptes 2014, notre échelle de notation, purement interne, va de 1 à 11, et les notes de 90 % des collectivités territoriales françaises sont comprises entre 1 et 4. Il est des cas de collectivités dont la situation financière est très dégradée, et c'est de celles-là que l'on parle toujours. Généralement, ils sont déjà bien des connus, les collectivités peuvent être déjà sous tutelle, ou bien des discussions, des négociations se sont déjà engagées. Mais l'immense majorité de notre portefeuille de collectivités clientes est dans la zone considérée comme la plus saine.
Nous nous livrons aussi à des exercices de prospective. Ils ne sont pas aussi scientifiques que ceux de La Banque postale, car nous n'avons pas les mêmes équipes, mais nous faisons des projections internes. À la suite des décisions prises, c'est-à-dire la baisse des dotations, comment ces notes, comment la qualité de ce portefeuille auront-elles évolué en 2017 ou 2018 ? Nous avons fait ces projections, non sur la totalité du portefeuille, mais sur certaines classes de collectivités : les départements – vous comprendrez pourquoi. Si ce qui est prévu arrive, la note de 45 de nos 100 départements se dégradera de plus de deux points, étant entendu qu'actuellement, 90 % d'entre eux ont une note comprise entre 1 et 4.
Dire que la baisse des dotations et les tensions fiscales que connaissent aujourd'hui les collectivités territoriales affecteront profondément leur solvabilité, c'est oublier que la comptabilité publique, en France, par sa construction même, est extrêmement résiliente. Dans tous les cas, les collectivités territoriales ont l'obligation de présenter des budgets en équilibre par sections. En réalité, la baisse des dotations se traduira mécaniquement par une baisse de l'épargne brute qui sera compensée soit par des hausses de fiscalité, soit par des hausses de tarification des services publics – les cantines scolaires sont ainsi très touchées –, soit, assez logiquement, par une baisse de l'investissement. Le résultat en fin de course sera, selon nous, assez homothétique, c'est-à-dire que la diminution des dotations se retrouvera probablement, comme en miroir, dans la baisse des investissements réalisables : si les dotations diminuent de 10 milliards d'euros, les investissements baisseront de 10 milliards d'euros. Nous notons qu'une hausse de la fiscalité sera nécessaire, plus modérée que ce que l'on pouvait craindre. Dans le même temps, les dépenses de fonctionnement continueront à progresser.
À propos de la hausse de la fiscalité constatée en 2015 dans les villes moyennes, je voulais porter à votre connaissance deux documents que nous avons produits avec Villes de France, association avec laquelle nous avons un partenariat. Le premier, qui date du début de l'année, est relatif à la dotation globale de fonctionnement (DGF) pour l'année 2015 ; le second, très récent, est intitulé En 2015, le raz-de-marée fiscal n'a pas eu lieu, en référence à la crainte qui s'était exprimée. Les calculs ont été faits par des équipes externes aux caisses d'épargne, un cabinet bien connu sur la place. Ils montrent – comme on pouvait s'y attendre – que la hausse de la fiscalité dans les budgets de 2015 a été assez modérée. Mais comme les dépenses de fonctionnement ont aussi connu une hausse, modérée elle aussi, mais réelle, les deux phénomènes se compensent entre eux et ne compensent pas la baisse des dotations.
Aujourd'hui, comme le disait Serge Bayard, d'un point de vue macro, la solvabilité générale des collectivités publiques ne nous inspire pas d'inquiétude : le système est extrêmement solide. En outre, ce n'est pas l'analyse des trois derniers exercices qui nous garantit le remboursement d'emprunts d'une durée de quinze, vingt ou trente ans. Éventuellement, ce sont un peu des facteurs sociologiques, comme le développement du territoire. Et n'oublions pas la batterie de garanties qui existe en France : le budget est en équilibre, il est exécuté et si un problème survient, le préfet intervient, etc. C'est cela qui fait que les banquiers continuent aujourd'hui à prêter. Aucun banquier universel ne prête « en blanc » des sommes aussi importantes. Comme ce système est résilient, nous pensons qu'il va fonctionner, mais la baisse des dotations entraînera tout un tas de conséquences en cascade, à commencer par la baisse de l'investissement. Nous sommes une banque très universelle, une banque pour les entreprises, les associations et tout le monde HLM, et nous constatons, nous aussi, des conséquences en cascade. Indéniablement, le travail sur la section de fonctionnement a des effets sur les associations, mais aussi sur les communes elles-mêmes, qui reçoivent des conseils généraux des dotations très importantes pour la réalisation de certains investissements.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, nous ne sommes plus dans cette période de credit crunch que la Caisse d'épargne a traversée en restant présente le plus possible aux côtés des collectivités territoriales. La question, c'est plus le niveau de la demande, c'est-à-dire le niveau d'investissement qui va pouvoir être mis en oeuvre. On ne peut pas compenser le manque d'autofinancement par de l'emprunt, puisque, par définition, l'emprunt, c'est de l'autofinancement du futur. Cela dit, cela ne s'est jamais produit dans l'histoire des collectivités : depuis la décentralisation, les cas de collectivités objectivement surendettées à la suite d'erreurs sont extrêmement rares. Lorsqu'une collectivité s'est retrouvée en situation de surendettement, c'est parce qu'un projet particulier, qui devait lui procurer des recettes, n'a pas fonctionné – les stations de ski de Briançon, des ateliers-relais qui ne se remplissent pas, des bâtiments qui se révèlent ne pas être productifs alors qu'ils l'auraient dû.
Mécaniquement, je pense que la solvabilité tiendra le coup, mais les élus devront faire des arbitrages : quel investissement, et à quel moment ? Peut-être les périodes de préparation seront plus importantes ; peut-être un certain nombre d'investissements devront être différés.