Monsieur le président, mes chers collègues, la diffusion à l'étranger, en langue originale ou traduite, de la pensée et de la création littéraire française, est une composante essentielle de la diplomatie culturelle, tant en termes d'influence qu'en termes économiques.
Première industrie culturelle française, l'industrie du livre est l'une des plus internationalisée, avec près du quart de son chiffre d'affaires réalisé à l'étranger en 2014, soit 641 millions d'euros, en excluant les départements et collectivités d'outre-mer.
Mais ces exportations évoluent de manière contrastée. Vers nos principaux voisins européens, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie et Pays-Bas, elles sont en progression et représentent près de 16 % des exportations totales. Vers les zones francophones, elles constituent près de 72 % des exportations totales, avec une différence entre les pays francophones du Nord, en recul depuis 2010, et les zones francophones du Sud qui affichent une croissance de 7,3 % par rapport à 2013. En dehors de la Francophonie et des principaux pays de l'Union européenne, elles régressent par rapport à 2013 : moins 7,5 % pour les États-Unis, moins 6 % pour l'Amérique latine malgré une reprise au Brésil, moins 23 % en Asie sauf à Taïwan où elles ont progressé de près de 30 % en quatre ans.
Le nombre des cessions de traduction du français vers des langues étrangères a plus que doublé en dix ans – plus de 13 000 contrats ont été signés en 2014 contre 6 000 en 2004 –, ce qui fait du français la seconde langue traduite après l'anglais. Quelque 16 % des contrats de cession concernent la fiction et 10 % la non-fiction, c'est-à-dire les sciences humaines, l'actualité, les essais et documents.
La politique de soutien au livre à l'étranger relève de deux ministères – affaires étrangères et développement international, d'une part, et ministère de la culture et de la communication, d'autre part – appuyés par leurs opérateurs, respectivement l'Institut français et le Centre national du livre (CNL), ainsi que par des organismes interprofessionnels partenaires de l'action culturelle extérieure de la France, la Centrale de l'édition et le Bureau international de l'édition française (BIEF), notamment. Tous ces acteurs s'appuient très largement sur le réseau culturel français à l'étranger.
Cette politique publique mobilise des moyens importants, estimés à 33 millions d'euros, dont 25 millions pour le ministère des affaires étrangères et du développement international. Elle met également en oeuvre un dispositif d'aides très complet, détaillé dans le rapport, et qui concerne tous les acteurs de la chaîne du livre : tout d'abord des aides à la promotion des auteurs, des éditeurs et des oeuvres français à l'étranger, actions parmi lesquelles on citera pour mémoire les Missions Stendhal, l'appui à la participation aux foires du livre internationales – la France est invitée d'honneur à la Foire du livre de Francfort en 2017 ; la prospection des marchés. Tous ces dispositifs favorisent les cessions de droits de traduction de titres français. Des aides à la diffusion du livre français en langue originale, ensuite ; il s'agit de l'aide au transport de livres français à l'étranger – groupage du transport et police globale d'assurance à l'exportation – et du programme de bonification des prix, le « Programme Plus », du soutien à l'édition locale dans les pays du Sud, du soutien financier aux librairies francophones pour l'acquisition de titres, ou encore du réseau des 570 médiathèques implantées dans les Alliances et Instituts français. Enfin, les aides à la traduction de titres français en langues étrangères, à travers le soutien à la traduction et les bourses de séjour aux traducteurs étrangers, les aides à la cession de droits et à la traduction et le soutien à la formation de nouvelles générations de traducteurs du français vers des langues étrangères, via, par exemple, la « Fabrique des traducteurs ».
Toutefois, face aux mutations du secteur et à la conjoncture économique incertaine, qui plus est dans un contexte fortement concurrentiel, cette politique doit être plus efficace et, pour cela, évoluer afin de surmonter plusieurs difficultés. Au premier chef, la dispersion des actions : les deux ministères ont en effet des approches différentes de la politique de promotion du livre français à l'étranger, qui, sans être contradictoires, doivent être mieux coordonnées. La diversité des objectifs ainsi que la pluralité des acteurs et des dispositifs d'aide nuisent le plus souvent à la lisibilité des actions ; en outre, le cadre budgétaire durablement contraint impose la mutualisation des efforts.
Dans cette perspective, les deux administrations ont mené une réflexion avec leurs opérateurs respectifs et leurs principaux partenaires afin de recenser les moyens mobilisés, de rationaliser les dispositifs d'aide et d'élaborer une stratégie publique commune dont les axes sont précisés dans le rapport. Les conclusions de cette concertation, qui ne sont pas encore publiées, serviront de fondement à une communication gouvernementale.
Cette mutualisation permettra de répondre une réelle réduction des moyens. Les postes consacrés au livre au sein du réseau culturel ont été particulièrement touchés par les baisses d'effectifs. Les personnels ont en charge plusieurs secteurs – le livre, mais aussi les médiathèques, voire les échanges culturels au sens large –, et le nombre de Bureaux du livre a été réduit à 19 actuellement. Cette situation est problématique notamment parce que face à la concurrence, les éditeurs et les professionnels s'appuient sur ces structures pour développer leurs capacités d'export et de projection à l'international.
L'environnement peu favorable à la diffusion du livre français dans les zones d'avenir constitue une autre difficulté. Les enjeux stratégiques de croissance se situent en effet principalement en Afrique subsaharienne et au Maghreb, où on évalue à près de 600 millions le nombre des locuteurs francophones à l'horizon 2050, en raison de la croissance démographique et à condition que la francophonie soit un vecteur, et ne se résume pas à la seule défense de la langue française. Il y a donc là des possibilités considérables de développement pour la diffusion du livre français si l'essor des exportations se poursuit.
Mais le défaut de professionnalité en matière éditoriale est l'un des handicaps majeurs de cette zone. De plus, les réseaux de distribution du livre y sont peu développés et peu structurés, en raison, notamment, des multiples taxes qui grèvent le prix des ouvrages ; les librairies de fonds dans les pays du Maghreb et en Afrique francophone subsaharienne et de l'Océan indien sont peu nombreuses et concentrées dans les grandes villes.
À ces difficultés s'ajoute enfin la forte pression de la culture anglo-saxonne ainsi que la présence éditoriale croissante en Afrique francophone des États-Unis, qui diffusent la pensée américaine traduite à des prix sensiblement inférieurs à ceux des ouvrages français.
Parmi les pistes d'évolution qui ont été abordées lors des auditions, il faut évoquer le modèle de coéditions Sud-Sud, développé par l'Alliance internationale des éditeurs indépendants. L'Alliance achète les droits sur un livre édité en France et les cède à un collectif d'éditeurs africains qui mutualisent leurs moyens pour produire l'ouvrage. L'impression est réalisée en Afrique, la distribution ayant lieu ensuite dans les différents pays des coéditeurs, avec un soutien de l'Alliance et une subvention de l'Organisation internationale de la Francophonie, ce qui réduit les coûts et rend le prix de vente plus abordable. Ce modèle économique de coédition semble particulièrement intéressant parce qu'il associe la diffusion d'ouvrages écrits en français à un processus collectif d'édition qui renforce les structures éditoriales locales.
Le système de plateforme sécurisée d'impression à la demande pourrait constituer une autre piste d'évolution. Il permettrait d'imprimer localement les livres envoyés par les éditeurs français, livres qui seraient ensuite acheminés vers des points de vente. Mais jusqu'à présent, ce système n'a pas trouvé de solution de financement.
Le numérique, enfin, peut constituer une piste pour atteindre de nouveaux publics en réglant la question du transport, qui reste un problème majeur pour la diffusion du livre français à l'étranger, et développer l'influence de la France. De fait, en France, le numérique représente à peu près 2,3 % du chiffre d'affaires de l'édition pour le livre public, et de nombreuses maisons d'édition se sont dotées de chaînes de production numérique. Néanmoins, le phénomène est encore trop récent pour être parfaitement maîtrisé par l'ensemble de la filière, notamment en ce qui concerne les ventes à l'étranger. Il est nécessaire de résoudre un certain nombre de problèmes opérationnels, comme la gestion des droits. En ce qui concerne les pays d'Afrique francophone, principal enjeu de croissance, le numérique pourrait répondre au problème de l'implantation d'une industrie du livre, à condition, bien entendu, que le continent puisse se doter des infrastructures nécessaires et assurer la sécurisation des contenus.
La question du numérique a été abordée lors de la réflexion menée par les deux ministères sur l'élaboration d'un cadre stratégique de soutien au livre français à l'étranger que j'ai eu l'occasion d'évoquer, et dont les conclusions sont attendues avec impatience. Il existe donc un potentiel de diffusion importante de livres français à l'étranger, élément majeur de la présence de la littérature mais aussi de la pensée, mais, compte tenu des difficultés qui sont devant nous, une politique de mutualisation – afin d'être plus efficace – nous semble nécessaire.