Intervention de Sophie Dessus

Réunion du 14 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Dessus :

Il peut paraître surprenant ou réconfortant de traiter de la promotion et de la diffusion du livre français à l'étranger. Bien des Cassandre avaient prédit la désertion des lecteurs, la disparition du livre et son remplacement par la liseuse, en ce XXIe siècle, ère de l'image et de l'écran, du numérique et d'Amazon. Et pourtant, comme l'écrivait Le Monde il y a deux jours, le livre est toujours en résistance. Bien mieux, cet objet d'outre-tombe est toujours aussi à l'aise sur nos étagères et toujours aussi adapté pour faire évoluer l'humanité vers plus de savoir, plus de tolérance et d'intelligence.

Le choix de ce sujet, monsieur le rapporteur, illustre à l'envi votre volonté de relever un beau défi : celui du redressement de l'influence française dans le monde, et seule une bonne connaissance des forces et des faiblesses dans ce domaine permettra de trouver des solutions.

Le premier atout est non seulement que l'industrie du livre est la plus ancienne mais aussi la plus solide, comme vous venez de le dire, et le prix unique du livre, comme la TVA réduite, n'y sont pas pour rien. Ce secteur représente 2,5 milliards d'euros et réalise un quart de son chiffre d'affaires à l'étranger, et ces chiffres vont croissant. C'est là un intéressant paradoxe, à l'heure où les grandes librairies et bibliothèques de la planète se trouvent sur internet, où l'on constate un recul des ventes de liseuses et le développement de la vente du livre, particulièrement du livre jeunesse et de la bande dessinée, notamment dans les pays du sud de la Méditerranée.

L'autre atout pour la promotion du livre à l'étranger réside dans la qualité, la diversité et le nombre d'intervenants, privés comme publics, oeuvrant dans ce domaine : l'Institut français, qui encourage la traduction de nos auteurs et organise des rencontres internationales ; le Centre national du livre, qui favorise la création et l'édition d'oeuvres tant littéraires que scientifiques ; la Centrale de l'édition, groupement d'intérêt économique qui soutient l'exportation ; le Bureau international de l'édition française, association d'éditeurs adhérents ; le Syndicat national de l'édition, qui regroupe 670 maisons d'édition ; l'Alliance internationale des éditeurs indépendants, qui regroupe 400 maisons d'édition ; l'association indépendante des librairies francophones, réunissant une centaine de libraires implantés dans 60 pays ; enfin deux ministères, celui de la culture et celui des affaires étrangères.

La présence de ces neuf structures manifeste autant la richesse du dispositif que sa faiblesse, car loin de regrouper leurs forces, leurs actions se croisent sans se mutualiser. Aussi, si l'on ne peut douter des compétences de chacun de ces organismes, le manque de coordination et de mise en réseau se traduit par une moindre efficacité, des surcoûts et un gaspillage d'énergie, alors que les moyens humains se raréfient. Les deux ministères eux-mêmes ont pris conscience des divergences de leurs approches, ignorant trop souvent ce que fait l'autre, et ont reconnu qu'il y a urgence à réarticuler une véritable politique de diffusion du livre à l'étranger, afin d'avoir une stratégie de reconquête du français.

Autre point faible : l'apprentissage de la langue, qui est en régression. Les interlocuteurs francophones locaux disparaissent, l'enseignement du français et la constitution d'un réseau entre bibliothèques, librairies et enseignants n'est pas une priorité.

Enfin, on ne saurait ignorer la très forte pression de la culture anglo-saxonne qui met des moyens très importants pour que le modèle américain domine toute autre forme de pensée – et particulièrement la pensée française –, allant jusqu'à subventionner la publication en français de ses propres ouvrages. Attention à ce que l'Accord commercial transatlantique, dit TAFTA, ne prenne pas la place des valeurs républicaines !

Il est donc grand temps de nous donner les moyens de réaffirmer notre volonté de réhabiliter culture, langue et enseignement du français. Reprendre la main, c'est se donner les moyens de rendre les ouvrages accessibles à tous, et, partant, de promouvoir l'accès à la culture et à l'enseignement pour tous dans le plus de pays possible. À cette fin, je vais faire quelques propositions, qui sont d'ailleurs les mêmes que celles de notre rapporteur. Ne pourrions-nous pas éditer et imprimer les livres sur place, afin de réduire les coûts d'acheminement ? Ne pourrions-nous pas former plus d'enseignants, notamment en Afrique, et promouvoir les sections bilingues ? Enfin, ne pourrions-nous pas tirer parti des évolutions démographiques et économiques en s'appuyant sur l'outil numérique ? Ces quelques efforts pourraient être largement récompensés au regard du potentiel de croissance de la francophonie, puisqu'à l'horizon 2050, le nombre de locuteurs devrait avoir triplé pour passer de 274 à 700 millions. À travers la politique de soutien du livre français, nous sommes confrontés à un vrai défi : il y va du rayonnement de la France et de sa culture à travers le monde.

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