Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 14 octobre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Merci, monsieur le rapporteur, pour cet avis budgétaire qui nous rappelle que notre diplomatie culturelle est placée sous la double autorité du ministère des affaires étrangères et du développement international et du ministère de la culture. La double appartenance de ce secteur et la multiplicité des intervenants nécessitent une vigilance de chaque jour dans la coordination des actions et des acteurs.

J'ai bien compris, à la lecture de votre rapport, qu'à ce jour les différents services ne sont pas entrés en concurrence et ont même mis en place des instances de concertation et de coordination. Je me réjouis de cette démarche et, comme vous, j'imagine que certaines fusions seront nécessaires dans un avenir proche. Avec les auteurs, les éditeurs et défenseurs du livre français à l'étranger, nous redoutons la baisse des budgets et des personnels. Vous indiquez que les postes consacrés au livre ont été les plus touchés par la réduction d'effectifs et, comme vous, je réclame leur stabilisation.

Je me réjouis que le numérique constitue une nouvelle piste pour trouver de nouveaux publics et développer l'influence de la France. Vous relevez que ce marché ne représente aujourd'hui que 2,3 % du chiffre d'affaires de l'édition française. Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette faiblesse et le système du prix unique, qui permet aux éditeurs de fixer le prix de vente des ouvrages, a été efficace pour protéger les libraires indépendants en France ; dans d'autres pays n'ayant pas adopté cette mesure, les libraires indépendants ont disparu, tout comme les disquaires chez nous. Mais cette mesure est seulement défensive, elle a permis la sauvegarde d'une activité au nom de l'exception culturelle ; le secteur du livre numérique étant naissant, à l'époque, il n'y avait aucun petit acteur à préserver.

Ce sont les principaux éditeurs papier qui recourent à cette loi pour dégager des marges exorbitantes ; sur de nombreux sites, vous trouverez une version numérique à un prix supérieur – et de loin – à la version papier en format de poche. Mes chers collègues, osons une comparaison : lorsque vous envoyez un courriel avec un texte en pièce jointe, le coût du transfert vous paraît-il supérieur à l'impression de ce texte sur papier et à l'envoi postal ? Non. C'est pourtant ce que les principaux éditeurs veulent faire croire à leurs lecteurs. En outre, sur les principales plateformes de diffusion numérique, vous n'achetez pas un livre : vous souscrivez à une licence de lecture très limitée. Oubliez la possibilité de léguer votre bibliothèque à vos enfants, vos achats seront inaccessibles dès votre décès. Oubliez également la notion de propriété, les entreprises propriétaires des grandes plateformes se réservant le droit de supprimer vos livres de vos appareils. Amazon l'a notamment fait pour 1984 de George Orwell, il n'y a donc pas de hasard… Oubliez enfin les promesses d'accessibilité en tout lieu : au nom du respect de certains droits d'auteur, des Français ont eu la mauvaise surprise, à l'occasion d'un voyage à l'étranger, de ne plus pouvoir accéder à des oeuvres qu'ils pensaient pourtant avoir achetées. Les conditions d'autorisation leur permettaient d'acheter une oeuvre en France, puis de partir à l'étranger avec cette oeuvre sur leur liseuse, mais pas de télécharger la même oeuvre depuis l'étranger sur cette même liseuse. Nous sommes dans le domaine littéraire, je peux donc qualifier cette réalité de kafkaïenne…

Mes chers collègues, il est temps de promouvoir le livre, le vrai, celui que l'on peut lire ad vitam aeternam, dès lors qu'il est payé ; le livre sans protection technique, sans digital rights management (DRM), de nombreux éditeurs l'ont déjà compris – je pense à Publie.net, Walsworth et Bragelonne. J'attire donc votre attention sur l'amendement que je présenterai ce soir après le troisième article du projet de loi de finances pour 2016, qui propose d'augmenter la TVA sur le livre numérique présentant des mesures de protection techniques. C'est ainsi, monsieur le rapporteur, que nous inciterons les éditeurs à développer leur secteur numérique et que nos livres seront lus dans le monde entier.

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