Intervention de Yoann Iacono

Réunion du 30 septembre 2015 à 16h30
Commission d'enquête visant à évaluer les conséquences sur l'investissement public et les services publics de proximité de la baisse des dotations de l'État aux communes et aux epci

Yoann Iacono :

Je vous remercie d'avoir convié les associations professionnelles de cadres dirigeants de collectivités territoriales, regroupées sous la bannière de l'Entente des territoriaux et l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) que j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui.

En tant que praticiens et professionnels de l'action publique, nous avons à coeur de participer à l'ensemble des débats sur la décentralisation et sur les moyens de financer tant la démarche que les collectivités qui y concourent. C'est pourquoi nous avons adopté, en 2013, un Manifeste de la décentralisation que je viens de vous remettre, et sur lequel je reviendrai puisque nous y avons formulé quatre-vingts propositions concrètes pour faire avancer l'idée de décentralisation dans notre pays.

Nous sommes évidemment convaincus de son bien-fondé, puisque nous en sommes des acteurs, sous l'autorité des élus locaux. Sur l'aspect financier, l'idée initiale de ce manifeste était bien évidemment de faire participer les collectivités locales à l'effort de redressement des comptes publics, mais dans une proportion juste et supportable, considérant également que les collectivités locales jouent un rôle relativement mineur dans l'évolution de l'endettement public ; ainsi que de redonner tout son sens au principe d'autonomie financière des collectivités locales – c'est important dans le débat sur les dotations ; et enfin en affirmant plus de solidarité entre les territoires. Voilà quels étaient les trois grands axes de ce manifeste.

Je suis membre du bureau de l'AATF, et j'ai exercé au sein de différentes strates de collectivités territoriales en tant que directeur du contrôle de gestion, de l'évaluation des politiques publiques et de l'audit, puis des finances et de la commande publique, et aujourd'hui directeur général délégué en charge des ressources – qu'elles soient financières ou humaines – donc de toute l'optimisation des services publics du territoire et des politiques publiques menées. J'ai également eu le plaisir de coordonner le volet « Finances » du Manifeste de la décentralisation des administrateurs et j'ai participé aux comités de pilotage nationaux pour la création de l'Agence France locale, où je siégeais au nom des régions de France. Aujourd'hui, j'exerce mes fonctions dans une intercommunalité, après avoir longtemps exercé comme directeur général délégué dans une grande région de l'ouest de la France.

Avant d'en venir au sujet qui intéresse directement votre commission – l'impact sur les investissements et les services publics de proximité de cette baisse des dotations, et les facteurs de rigidité et de souplesse – permettez-moi une observation liminaire qui n'est pas neutre dans le débat actuel sur la performance de la gestion publique locale, si souvent décriée, voire caricaturée. Certains clubs de réflexion notamment ne cessent de dénigrer par voie de presse les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux, trop nombreux à en croire certains. L'intérêt des métiers de la fonction publique territoriale est assez méconnu du grand public, et je crois important de dire à cette commission d'enquête que les élus locaux, au travers du CNFPT, ont su considérablement moderniser, au cours des dernières années, les voies de recrutement et de formation des cadres dirigeants territoriaux.

Au sein de notre association, nous sommes très sensibles à la parité entre fonctions publiques et à la mobilité. La fonction publique d'État pourrait construire des dialogues plus intenses avec la fonction publique territoriale, notamment dans les mobilités entre administrations et entre fonctions publiques, que nous réclamons. Nous avons considérablement innové sous l'angle managérial des ressources humaines, avec des politiques de formation, de recrutement, de santé et d'innovation sur lesquelles nous pourrons revenir si vous souhaitez parler de la maîtrise des dépenses de personnel : une politique managériale dynamique et active est également une politique responsable de maîtrise des dépenses de personnel. J'ai eu, au titre de mes fonctions, à gérer ces aspects de ressources humaines.

Avec la règle d'or qui impose l'équilibre budgétaire des collectivités locales, des efforts très importants ont été réalisés dans le domaine de la gestion des ressources humaines, sous l'autorité des élus, car c'est l'exécutif – le maire ou le président – qui est chef du personnel. Ces efforts sont méconnus du grand public ; c'est pour cela que j'ai parlé de caricature pour qualifier les critiques de certains et d'une certaine presse.

Lorsque la crise financière s'est déclenchée, à la fin de l'année 2008, nul n'ignorait au sein des collectivités locales que l'investissement public local représente près de trois quarts de l'investissement public français. Confrontées à l'atonie de l'investissement privé, toutes les collectivités locales ont eu à coeur de participer à l'effort de soutien à l'activité économique par le maintien des investissements publics.

En 2009, j'exerçais les fonctions de directeur général délégué au sein d'une région française. Dès cette année, cette région a mis en place un plan de soutien à l'investissement de plus de 260 millions d'euros en plus des investissements initialement prévus, pour soutenir les circuits courts de l'économie, surtout dans un contexte de crise de liquidités. Les collectivités locales ont donc toujours eu conscience du rôle de l'investissement public et de la nécessité de le maintenir.

Pour autant, le contexte a été difficile dès 2009, puisque les collectivités locales ont fait face à un effet de ciseaux que les intervenants précédents ont déjà dû décrire, puisque les recettes de fonctionnement ont été fortement affectées par la crise tandis que les dépenses d'intervention sociale et de formation ont été fortement mobilisées.

Notre rôle, en tant que cadres dirigeants d'une collectivité locale et conseillers d'élus locaux dans un contexte de crise, a été de dire aux élus que la priorité était évidemment de soutenir l'investissement public, comme le faisaient également le Gouvernement et l'État. Pour cela, il fallait à tout prix préserver la capacité d'autofinancement pour ne pas dégrader la situation financière des collectivités locales. Il faut garder une ambition d'investissement, mais dans le même temps préserver la bonne santé financière. Et pour ce faire, il faut travailler sur deux leviers : les recettes de fonctionnement et les dépenses de fonctionnement.

S'agissant des recettes de fonctionnement, le levier fiscal a été utilisé lorsque c'était possible : dans certains territoires, pour certaines strates de collectivité, des disparités de situation en offraient encore l'opportunité. La politique tarifaire a également été utilisée, cela a déjà été longuement présenté devant votre commission d'enquête parlementaire. Enfin, nous avons recouru à l'optimisation de financements privés : nous avons essayé de travailler à des formules nouvelles de marchés de performance énergétique, avec un mixage de financements publics et privés.

Une fois ce travail sur les recettes de fonctionnement effectué, dans un contexte contraint, il faut avouer que ce n'est pas le levier le plus simple à actionner, surtout quand la valeur ajoutée des entreprises – qui détermine la CVAE – est en baisse, à l'instar d'une série d'autres assiettes de fiscalité. Il nous a donc fallu travailler sur les dépenses de fonctionnement, depuis 2009, jusqu'à la baisse plus drastique des dotations de l'État que nous connaissons aujourd'hui.

Je dois le dire ici solennellement, comme je pense que Michel Klopfer ou Olivier Landel ont pu le faire avant moi : les collectivités locales ont engagé un profond travail de maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, de leurs charges de structure et de gestion. De nombreux dispositifs ont été mis en place, dont je peux témoigner au titre de mes expériences professionnelles : systématisation du dialogue de gestion avec les satellites au sein des collectivités ; revisite des politiques publiques avec la mise en place de missions de contrôle de gestion pour décortiquer les coûts des services publics et opérer des choix entre gestion déléguée et gestion en régie ; utilisation de toutes les techniques de commande publique telles que les groupements de commandes, etc. Je ne développerai pas toutes ces techniques, notre métier est de faire ces propositions d'économies aux élus, de les utiliser et de les mobiliser. Tout cela a été fait, et continue de l'être car c'est toujours dans la contrainte que l'on devient plus innovant pour la gestion des dispositifs.

Ces efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement se traduisent dans les chiffres. Je crois que Michel Klopfer l'avait indiqué : en 2015, l'évolution des dépenses de fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales se situerait aux alentours de 2 %. Ce chiffre peut s'expliquer en prenant en compte les effets démographiques, et il reflète un travail profond de maîtrise des dépenses de fonctionnement. C'est à ce moment qu'est intervenue la décision de réduire plus encore les dotations de l'État aux collectivités locales, avec la baisse annoncée de 12 milliards d'euros.

Une fois préservée leur capacité d'autofinancement, les collectivités locales ont essayé de stabiliser leur investissement. Elles ne pouvaient envisager de l'augmenter, car au vu du contexte et des perspectives de trajectoire financière, il n'est pas possible de maintenir durablement un investissement dans un contexte financier aussi tendu. Ce n'est pas propre aux collectivités locales, mais cela les concerne particulièrement puisqu'elles représentent les trois quarts de l'investissement public français, au moment où l'on souhaite soutenir l'activité économique.

Au terme de cette petite rétrospective, quels éléments vont peser aujourd'hui dans les choix des élus locaux – qui sont parfois députés – et des cadres dirigeants qui les conseillent ? S'agissant des stratégies d'investissement des collectivités locales à compter de 2016, trois paramètres devront être pris en compte dans le travail d'orientation budgétaire des collectivités locales : l'accentuation de la baisse des dotations de l'État, qui vient jouer un rôle considérable dans la dégradation de l'épargne brute, donc de l'autofinancement, particulièrement dans le bloc communal ; la baisse des enveloppes territoriales contractualisées des régions et des départements au bloc communal et la rigidité de nombre de dépenses de fonctionnement, puisque si l'on peut faire un travail important de réduction et d'encadrement de ces dépenses, certaines, du fait de contraintes législatives ou statutaires, sont particulièrement rigides ; à moins de changer la loi, nous sommes contraints d'y faire face.

Un mot rapide sur la baisse des enveloppes territoriales contractualisées des régions et des départements au bloc communal. Au-delà de la baisse des dotations de l'État, c'est un paramètre que prendront en compte les directions financières et les directeurs généraux délégués lorsqu'ils vont présenter à leurs élus les orientations financières pour les années à venir. Pour avoir récemment travaillé dans une région, je peux vous dire que le contexte financier des régions n'est guère meilleur que celui du bloc communal.

Pour les régions, le problème est que depuis la réforme de 2010, le nouveau panier de recettes fiscales se compose essentiellement de dotations. Les régions n'ont presque aucun pouvoir de modulation des taux, sauf sur la carte grise qui représente environ 9 % de leurs recettes de fonctionnement, ce qui est minime pour faire une politique fiscale. Surtout, ces recettes sont « contre incitatives » puisque si l'on demande de développer le ferroviaire, l'essentiel des recettes de fonctionnement est basé sur la route, avec la TICPE et les cartes grises. Il y a là une incohérence dont le Parlement pourrait sans doute se saisir. De plus, les montants de CPER sont en baisse de 3 milliards d'euros pour la nouvelle période de programmation par rapport à la précédente.

Ayant jusqu'à une date récente exercé dans une région, je sais quelles propositions j'aurais fait à mon président pour les années 2016 et 2017 : réduire la voilure sur les fonds de concours sur les territoires contractualisés, notamment les territoires de contractualisation, les agglomérations, les pays ou les communautés de communes. Il est évident que cela affectera le bloc communal.

Pour les départements, j'imagine que la situation a été longuement présentée par les experts qui m'ont précédé. Sans doute auront-ils moins développé celle des régions ; je le fais par attachement à cette strate de collectivité. Je ne reviens donc pas sur l'effet de ciseaux produit par les dépenses d'intervention dans le champ social et le RSA. De ce fait, en 2015, les départements ont réduit leurs subventions aux communes et aux EPCI de 2 milliards d'euros. C'est d'autant plus important que pour les communes de 500 habitants, les subventions des départements pèsent 17 % du budget. Si l'on y ajoute ce que je disais des régions, on voit bien qu'au-delà de la dotation de l'État, le bloc communal subira, par effet indirect, l'impact de la baisse des dotations de l'État sur les régions et les départements. Les raisons en sont multiples, il ne s'agit pas uniquement de la baisse des dotations : pour les régions, cela tient à un panier fiscal inadapté, sans pouvoir de modulation de taux, sans autonomie et contre incitatif.

Le troisième aspect, après la baisse des dotations et celle probable des enveloppes territoriales contractualisées avec les régions et les départements, est la rigidité de nombre de dépenses de fonctionnement. Cela rejoint directement le thème des rigidités et des marges budgétaires. Je n'abuserai pas de votre temps en développant tous les impacts néfastes de l'inflation normative française sur les finances des collectivités locales. Je ne sais pas si mes prédécesseurs ont pu le faire, je me contenterai de mentionner l'excellent rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative de MM. Jean-Claude Boulard et Alain Lambert, sorti en 2013. Il contient des éléments très factuels, très précis, parfois même quelques anecdotes assez humoristiques et croustillantes.

Retenons que l'impact des normes est réel sur les dépenses et fait partie des facteurs de rigidité, au même titre que d'autres politiques, ambitieuses et légitimes, sur le handicap, la transition énergétique et le développement durable. Tous ces éléments contribuent à la rigidité structurelle des dépenses de fonctionnement, dont la maîtrise doit concourir à plus d'autofinancement de l'investissement.

Le sujet des ressources humaines revient souvent dès qu'il est question de maîtrise des dépenses de fonctionnement des collectivités locales : le personnel, les fonctionnaires territoriaux, dont on se plaît à rappeler le nombre et la rigidité du statut. Dans ce domaine, le seul impact des normes sur les dépenses de personnel pèserait près de 500 millions d'euros chaque année. Récemment, nous avons eu à intégrer des effets exogènes – autrement dit qui échappent à la volonté des collectivités territoriales – tels que la revalorisation des grilles indiciaires des catégories B et C, la hausse du taux de cotisation employeur à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), l'extension du champ de la garantie individuelle du pouvoir d'achat (GIPA), etc. Les estimations divergent selon les observatoires ou les cabinets d'étude qui les mènent, mais l'on considère que cela peut expliquer jusqu'à 40 % de l'évolution des dépenses de personnel entre 2014 et 2015. Un pourcentage important de cette évolution tient à ces facteurs qui nous échappent et que nous subissons.

Autre aspect de la maîtrise des dépenses liées aux ressources humaines : l'évolution des effectifs. Lorsqu'il y a des évolutions de normes, elles sont appliquées ; lorsqu'il y a un effet de glissement vieillissement technicité (GVT), il s'agit d'une évolution naturelle ; mais les élus gardent la maîtrise de l'évolution des effectifs.

Il n'existe pas de statistiques exactes sur ce point et il est difficile d'avoir des données consolidées au niveau national. Ce sont des sujets sensibles, et souvent il faut préférer la discrétion d'une politique active dans le domaine à une communication assez forte. C'est parfois plus efficace, et l'on avance plus rapidement sur le sujet. Nombre de collectivités mènent une politique de gel des remplacements. Il ne s'agit pas de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux, mais d'un gel complet des remplacements. Or nous savons que les services publics locaux sont très élastiques et fonction de l'évolution de la population, qui augmente chaque année en moyenne de 0,5 %. Quand les effectifs d'une crèche progressent, quels parents accepteraient de voir le nombre de puéricultrices baisser ? Dans les collectivités que j'ai fréquentées, je n'ai pas l'impression que le public soit prêt à voir ces ratios baisser, surtout s'il s'agit de la sécurité d'enfants dans les crèches, mais nous pourrions aussi parler d'autres services publics, liés au troisième âge, par exemple. Donc en dépit des efforts, l'évolution des effectifs est liée à ces enjeux de démographie.

Les collectivités locales ont donc bien engagé ce travail sur les recettes et les dépenses.

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