L'un des apports les plus précieux des travaux de notre commission à la loi de refondation de l'école a été l'introduction, dans le code de l'éducation, de la mission d'inclusion qui figure désormais, aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation, parmi les missions d'un service public de l'éducation. Elle repose sur la reconnaissance du fait « que tous les enfants partagent la capacité d'apprendre et de progresser ».
Là réside, en effet, la principale lacune de notre système éducatif. S'il s'occupe très bien des élites et de leur formation, toutes les études internationales et nationales montrent que c'est en France que les performances scolaires sont le plus étroitement liées aux origines sociales. Notre école aggrave les inégalités et éprouve d'extrêmes difficultés à prendre en compte les difficultés particulières d'apprentissage des élèves et à les surmonter. C'est donc dans la réalité qu'il convient désormais d'inscrire le principe d'inclusion, ce qui appelle un profond changement de mentalité. Il s'agit non pas de demander aux enfants de se fondre dans une normalité fantasmée mais, au contraire, d'être en mesure de proposer à chacun des réponses appropriées, en fonction de ses besoins.
L'école inclusive postule que tout enfant peut réussir sa scolarité. Sa situation familiale et sociale, sa culture, un handicap, une difficulté ou un trouble d'apprentissage ou du comportement ne doivent plus être des obstacles. Ce sont des spécificités qu'il convient de prendre en compte pour adapter les réponses pédagogiques. La présentation de ce rapport est l'occasion de faire un point d'étape, deux ans après la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.
J'évoquerai les nombreux outils au service de l'inclusion et les pistes d'amélioration envisageables, notamment en ce qui concerne les accompagnants d'élève en situation de handicap (les AESH), les contrats aidés et les parcours personnalisés. Je parlerai aussi du rôle essentiel que doivent jouer les réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED). Je reviendrai sur le mouvement actuel d'internalisation des unités d'enseignement et sur la nécessité de mieux articuler les unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS) et la classe ordinaire, car il importe vraiment de dépasser les cloisonnements qui demeurent. J'insisterai sur la nécessité de recourir à des partenariats innovants et des méthodes pédagogiques individualisées. Et, bien évidemment, j'insisterai sur la formation des enseignants qui est, pour moi, l'essentiel.
Je tiens à souligner la diversité des publics concernés. L'école inclusive évoque trop souvent le seul handicap, à tort. Les élèves à besoin éducatif particulier sont aussi ceux atteints de troubles spécifiques, comme les élèves « dys », les enfants précoces, les enfants confrontés à des difficultés familiales ou sociales, les enfants allophones, récemment arrivés en France, ou ceux issus de familles itinérantes. Les situations sont nombreuses et je n'ai pu les traiter toutes dans le rapport, mais ce qui compte, c'est la démarche d'inclusion, c'est l'évolution des méthodes. Par ailleurs, je me suis concentrée sur le premier degré, parce que c'est là que tout commence. En outre, le sujet est trop vaste, et ma collègue Sylvie Tolmont a évoqué l'an dernier le secondaire, dans le cadre de son très intéressant rapport consacré aux sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA).
Le rapport brosse, tout d'abord, un rapide tableau de la situation et des dispositifs existants.
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la scolarisation des enfants en situation de handicap a progressé : le nombre d'enfants handicapés scolarisés dans les écoles primaires a doublé en dix ans, pour dépasser 150 000, soit 2,2 % du total des élèves. Mieux, 69 % d'entre eux ont été scolarisés dans les classes ordinaires (dont 42 % avec un auxiliaire de vie scolaire) tandis que la part des élèves en classe pour l'inclusion scolaire (CLIS) régressait pour atteindre le niveau de 30 %. L'État consacre désormais 1,5 milliard d'euros par an à ces politiques : 600 millions d'euros pour la rémunération des accompagnants d'élèves en situation de handicap – c'est le nouveau nom des auxiliaires de vie scolaire –, 700 millions d'euros pour celle des enseignants spécialisés et 200 millions d'euros pour celle des personnels d'animation et d'encadrement.
Par ailleurs, en application de la loi pour la refondation de l'école, nous assistons depuis quelques années à une réelle individualisation des parcours, en fonction des besoins des élèves et des outils que l'école peut mobiliser pour offrir une réponse adaptée aux difficultés qu'ils peuvent rencontrer. Je songe là au projet personnalisé de scolarisation (PPS), élaboré par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) et l'équipe éducative pour les enfants en situation de handicap, mais aussi au plan d'accompagnement personnalisé (PAP), qui se met lentement en place depuis que la circulaire du 22 janvier 2015 permet des adaptations pédagogiques au bénéfice des élèves souffrant de troubles d'apprentissage. Enfin, le programme personnalisé de réussite éducative encourage les équipes pédagogiques à mettre en place des accompagnements différenciés pour les élèves qui risquent de ne pas maîtriser certaines compétences attendues à la fin des cycles scolaires.
Des dispositifs d'enseignement spécial demeurent encore indispensables pour accompagner temporairement les enfants dont les difficultés d'apprentissage apparaissent peu conciliables avec une scolarité dite ordinaire. Félicitons-nous cependant du rapprochement qui s'opère entre ces dispositifs et la classe ordinaire, qui a vocation à accueillir tous les élèves. Dans cet esprit, les CLIS ont été modernisées par la circulaire du 21 août 2015 qui, en les rebaptisant ULIS-écoles, signifie clairement que ces unités doivent intervenir en appui de la classe ordinaire et non, comme c'est trop souvent le cas, s'y substituer. De même, le Gouvernement a fortement accéléré l'externalisation dans les écoles ordinaires des unités actuellement situées dans les établissements médico-sociaux, avec 100 nouvelles unités ouvertes à la rentrée 2015 s'ajoutant aux 200 existantes.
Parallèlement, 100 unités autisme seront créées d'ici à la fin de la législature, pour accueillir plus de 700 élèves enfants âgés de trois à six ans dont la prise en charge était jusqu'à présent si défaillante dans notre pays. Le retard reste considérable, mais nous avançons dans la bonne direction.
Si de nombreux outils pour l'inclusion ont ainsi été forgés, en particulier à la suite de la loi de refondation, il serait illusoire de croire que, pour devenir inclusive, l'école n'a désormais plus qu'à attendre le déploiement des moyens et la diffusion des bonnes pratiques. L'école inclusive demande, en effet, une accélération des investissements. On estime ainsi que 10 000 à 30 000 enfants handicapés se trouvent aujourd'hui privés de toute solution de scolarisation. Nombreux sont ceux qui doivent se résoudre à chercher une solution en Belgique, ce qui est absolument inacceptable.
Ce manque de moyens empêche une mise en oeuvre satisfaisante des parcours individualisés. Le manque, par exemple, de médecins scolaires, qui doivent valider les PAP, dont le nombre s'effondre en raison d'un déficit d'attractivité du métier – on n'en compte qu'un pour 9 000 élèves. Il y a aussi le coût prohibitif des bilans pour les enfants « dys », qui constitue une discrimination sociale dans leur accompagnement : un test ergothérapeutique non remboursé par la sécurité sociale coûte, par exemple, entre 100 et 250 euros. Les indispensables RASED, victimes d'une véritable saignée pendant la précédente législature, ont vu supprimer à bas bruit le tiers de leurs effectifs qui ne se rétablissent que très lentement depuis 2012. Un constat analogue peut être fait pour les enseignants référents, chargés de suivre les parcours individualisés : leur nombre ne dépasse pas un pour 500 élèves. Comment, dans ces conditions, suivre individuellement les élèves ? Et je n'oublie pas les précieux enseignants des unités pédagogiques pour élèves allophones arrivant (UPE2A), qui devront très bientôt faire face à l'arrivée de près de 5 000 enfants réfugiés syriens, ce qui représente une augmentation des besoins d'un quart.
Parallèlement à une augmentation des moyens, l'école inclusive exige un complet changement d'état esprit. La différence doit être envisagée, non comme un défaut à corriger ou à reléguer dans des structures extérieures, mais comme une opportunité pour l'école de changer ses méthodes et d'oeuvrer à la réussite de tous. Lors des auditions et sur le terrain, enseignants et acteurs de l'éducation ont tous manifesté leur volonté de relever ce défi. Je m'en réjouis, mais ils se disent aussi démunis, parfois, face à la complexité de la tâche.
Le premier enjeu est donc de faire émerger une culture du travail en équipe qui permette de faire converger les compétences et les efforts des équipes éducatives, des équipes médico-sociales et des parents au service de l'enfant, pour surmonter ses difficultés d'apprentissage spécifiques. Il faut absolument éviter des réponses trop tardives, trop stéréotypées et trop fragmentées, et préserver l'école du piège de la médicalisation, c'est-à-dire de la relégation des enfants.
Se pose aussi la question de la responsabilité de l'école dans la détection des premiers troubles. Près de la moitié des troubles d'apprentissage sont aujourd'hui découverts à l'école maternelle. Plus les troubles sont détectés rapidement, meilleures sont les chances de les prendre en charge. Or on constate aujourd'hui, en particulier dans les réseaux d'éducation prioritaire, une baisse tendancielle du taux de scolarisation des enfants de moins de trois ans, passé de 35 % en 1999 à 11 % aujourd'hui. Dans le même esprit, il est urgent de former les enseignants à la détection et aux premiers gestes scolaires, ainsi qu'au dialogue avec les familles, essentiel pour trouver les meilleures façons d'accompagner les élèves dans leur scolarisation, qu'il s'agisse de réponses pédagogiques ou d'un nécessaire travail de médiation, notamment avec les familles les plus éloignées du milieu scolaire. Je vous renvoie, sur ce point, à l'excellent rapport rédigé par notre collègue Valérie Corre, à la suite des travaux de la mission d'information présidée par notre collègue Xavier Breton.
La culture du travail en équipe doit aussi permettre de dépasser la politique du « tout AVS » sur laquelle a longtemps été concentré l'essentiel des efforts en faveur de l'école inclusive. Entendons-nous bien : l'augmentation, par le Gouvernement, du nombre d'auxiliaires de vie scolaire, avec 28 000 AESH et 48 000 contrats aidés, est une très bonne chose. Le recours aux AVS est un élément central de l'école inclusive et ces postes doivent, sans le moindre doute, être pérennisés, et leurs personnels être mieux formés, mieux rémunérés et accéder à des statuts moins précaires ; mais il faut lutter contre le recours trop systématique aux AVS, alors que, dans certains cas, des adaptations pédagogiques seraient suffisantes pour répondre aux besoins de l'élève.
La culture du travail en équipe permettrait aussi de mettre un terme à un scandale : à la fin de l'année 2013, seuls 35 % des enfants handicapés scolarisés avaient accès aux activités périscolaires et 66 % à la cantine, alors même que, depuis le mois de février 2015, les collectivités peuvent bénéficier de soutiens financiers. Il est temps que l'État refuse de signer les projets éducatifs territoriaux (PEDT) qui méconnaissent l'une des missions essentielles de l'école, et il serait très utile que le Gouvernement envisage les modalités d'une extension des projets personnalisés de scolarisation (PPS) aux activités périscolaires.
C'est pour pallier ces difficultés que je propose de créer dans chaque circonscription scolaire des « pôles ressources inclusion » comportant une cartographie précise des acteurs et des ressources, qui permettent de dresser un premier bilan et de corriger les inégalités d'implantation, et qui offrent aux professionnels un cadre stable de dialogue et aux enseignants des interlocuteurs clairs pour les aider rapidement dans le traitement des difficultés scolaires. En miroir, je suggère d'identifier dans chaque école un « maître ressources inclusion » chargé des relations avec ce pôle. Il serait l'indispensable relais entre les compétences cumulées dans le département et les besoins que chaque enseignant rencontre dans son travail quotidien. Ce serait aussi un précieux interlocuteur pour les trop nombreuses familles qui se sentent exclues de l'accompagnement pédagogique de leurs enfants.
Cela étant, tous mes travaux m'ont convaincue qu'in fine le vrai garant de l'inclusion, celui qui détient la clef du succès des apprentissages, c'est l'enseignant de la classe ordinaire. Il doit donc nécessairement être formé à cette dimension de son métier. Or les auditions que j'ai conduites me font craindre que les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) ne soient, pour le moment, très décevantes de ce point de vue.
Tout d'abord, les pratiques de l'école inclusive, intégrées au tronc commun de formation, sont totalement isolées du reste de la formation et insuffisantes. En outre, les interventions d'experts extérieurs, si précieuses sur ces sujets, ne représentent pas plus de 20 à 35 % des intervenants. Ensuite, ces enjeux ne sont pas valorisés dans les parcours et interviennent peu dans les critères d'appréciation des concours, même si des efforts ont été faits, et les formations communes aux enseignants, aux personnels des établissements médico-sociaux et des MDPH et aux AESH sont, au mieux, embryonnaires. Enfin, la formation continue à l'école inclusive est, elle aussi, notoirement insuffisante.
Dès lors, il est urgent d'agir, en premier lieu pour modifier les maquettes des formations des ESPE, mais il faut aussi aller plus loin. Je propose ainsi de déplacer le moment du concours à la fin du cursus de licence, afin de libérer la première année de master du bachotage et de déployer une formation professionnelle digne de ce nom. Cette formation devra aussi mieux diffuser les pratiques de pédagogie différenciée permettant de trouver des méthodes d'enseignement adaptées à chacun dans des classes hétérogènes et, ainsi, de prévenir l'échec scolaire. Il faudra également encourager la diffusion des bonnes pratiques, où les professionnels pourront puiser leur inspiration, et l'innovation pédagogique devra être mieux valorisée dans le parcours professionnel des enseignants et les évolutions de carrière. De manière plus générale, si nous voulons que l'école inclusive devienne une réalité, nous devons redéfinir clairement le métier, la formation, la rémunération et l'évolution de carrière des enseignants, qui en sont le principal pilier.
C'est une évidence, l'école inclusive a un coût, mais ses effets en termes de réduction de l'échec scolaire, d'intégration dans la vie sociale et professionnelle, d'autonomisation, en font un investissement rentable pour toute la société. À nous d'accompagner l'école dans cette adaptation longue et nécessaire.