J'ai choisi de consacrer la partie thématique de mon rapport pour avis à la question du patrimoine immobilier des universités. C'est l'un des principaux enjeux financiers auquel sera confronté notre enseignement supérieur au cours des prochaines années.
Les universités disposent d'un patrimoine immobilier considérable de plus de 18,5 millions de mètres carrés. Trois phases ont caractérisé son évolution récente. À la faveur du plan Université 2000, les années 1995 à 2000 furent celles d'une vive croissance. La dynamique des constructions s'est poursuivie entre 2000 et 2006, avec près de 10 % de surfaces supplémentaires. Elle s'est finalement interrompue depuis 2010, pour ne reprendre que lentement à partir de 2014, tandis que débutait une nouvelle phase de massification. Depuis 2013, les flux de nouveaux étudiants sont passés d'une moyenne annuelle de 25 000 à 65 000 – environ 50 000 si l'on exclut les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles qui ont une double inscription. Ce phénomène est dû à la fois au fort chômage des jeunes, qui les incite à retarder leur entrée sur le marché du travail, à la forte hausse du nombre de bacheliers professionnels et à leur désir croissant de continuer leurs études, et aussi à une plus nette appétence des jeunes pour l'enseignement supérieur. Quoi qu'il en soit, ce mouvement de fond est bienvenu et crédibilise notre objectif d'élever de 43 % à 60 % d'une classe d'âge la proportion de diplômés du supérieur d'ici à 2025.
Se pose la question de la capacité physique des établissements à accueillir ces nouveaux étudiants. Si la taille du patrimoine apparaît largement suffisante, sa qualité, son équilibre sur les territoires et son entretien sont très perfectibles. La répartition des surfaces est inégale : de 3,7 mètres carrés par étudiant à Paris 2 à 15,7 à l'université de Poitiers, la moyenne étant de 6 mètres carrés. Surtout, l'état du patrimoine est contrasté : 12 % des bâtiments sont très dégradés, 27 % supplémentaires exigent des travaux lourds de remise à niveau. La majorité des surfaces souffre d'une usure importante et est très énergivore – en termes de performance énergétique, 55 % sont classés D ou E. Le fonctionnement et l'entretien de ces bâtiments impliquent donc des charges financières importantes, qui s'alourdissent encore puisque beaucoup d'universités sont incapables de garantir ne serait-ce que le maintien en l'état des bâtiments. On estime le coût de la préservation d'un immeuble de toute dégradation supplémentaire à environ 15 euros par mètre carré. Or les universités y consacrent aujourd'hui en moyenne 6,50 euros.
Quelques chiffres permettent de prendre la mesure des enjeux financiers. Le ministère estime qu'une réhabilitation complète des 40 % de bâtiments dégradés combinée à un entretien optimal de toutes les surfaces imposerait des investissements supplémentaires d'environ 850 millions d'euros par an. Or les montants mobilisés dans le cadre des contrats de plan État-région pour répondre à ce besoin ne dépassent pas 450 millions d'euros par an. Manquent donc 400 millions d'euros par an. À cette dette implicite s'ajoutent les montants d'ores et déjà consacrés à la maintenance et à la logistique immobilière, intégrés à l'allocation globale versée par l'État aux universités : autour de 425 millions d'euros par an. J'en profite pour rappeler que le Gouvernement, dans le projet de loi de finances pour 2016, a su prendre la mesure de l'ampleur de ces besoins en augmentant de 138 millions d'euros les autorisations d'engagement pour l'immobilier (+ 12 %) et en renonçant à renouveler le prélèvement de 100 millions d'euros sur les fonds de réserve des universités qu'il avait effectué en 2015, à côté des 65 millions d'euros qui financent mille nouvelles créations de postes.
Dans ce contexte, et compte tenu des fortes tensions auxquelles les finances publiques sont soumises, il est impératif que les universités progressent dans la gestion de leur patrimoine immobilier et dégagent d'importantes marges d'économies et de rationalisation. Prenons cependant la mesure des contraintes spécifiques qui obèrent une réelle professionnalisation de la fonction immobilière des établissements d'enseignement supérieur. Tout d'abord, le fort cloisonnement qui demeure entre les composantes ralentit l'indispensable mutualisation des bâtiments, chaque composante se comportant comme le propriétaire exclusif des murs que l'histoire lui a affectés. Ensuite, le rythme original de l'enseignement universitaire, marqué par des pics d'activité intense, concentrés en général au premier semestre, avant les stages, et, dans la semaine, du mardi au jeudi, conduit spontanément à un surdimensionnement des locaux. Les ratios d'occupation de salles sont ainsi très faibles : environ 70 %.
Sous l'impulsion de l'État, une réelle prise de conscience a émergé depuis quelques années ; toutes les universités ont nommé un vice-président chargé de l'immobilier et se sont dotées de schémas pluriannuels de stratégie immobilière. Toutefois, ces progrès sont inégaux et souvent parcellaires. Seules cinq universités ont, par exemple, mené un audit énergétique complet. Les outils informatiques de gestion, qui se résument parfois à des documents Excel non mis à jour, sont très rarement étendus à la gestion de la scolarité, préalable pourtant indispensable à la mutualisation des bâtiments. Seule l'université Jean Moulin Lyon 3 utilise quotidiennement une application liant les horaires des formations et les affectations de salles. Ainsi celle-ci a-t-elle pu entreprendre une importante rationalisation de l'usage de ses surfaces. Surtout, les stratégies immobilières déployées sont le plus souvent déconnectées des stratégies de développement des formations et de la recherche. De manière générale, la qualité de la gestion immobilière dépend essentiellement de l'efficacité et de l'organisation de la gouvernance, et donc, dans les faits, de l'autorité dont jouissent le vice-président et la direction chargés de l'immobilier.
De manière plus préoccupante, j'ai constaté que les indispensables réflexions préalables sur l'évolution des modèles pédagogiques sont encore trop peu menées dans nos universités. Je pense évidemment au défi de la dématérialisation de la formation. S'il n'implique pas, contrairement à ce que l'on croit, la disparition des cours présentiels, il encourage sans ambiguïté une véritable révolution des usages. Les concepts décisifs sont ici la flexibilité et la modularité, qui peuvent, par exemple, transformer des cours magistraux en cours de pédagogie inversée. Ces mutations changent radicalement les besoins immobiliers. Il est indispensable que les universités appréhendent ces mutations avec lucidité. Il en va de même pour le défi énergétique, incontournable lorsqu'on sait que l'immobilier absorbe 40 % de la consommation d'énergie et émet 25 % des gaz à effet de serre en France.
Nous ne sommes pas parvenus à encourager efficacement les universités à prendre cette question à bras-le-corps.
En premier lieu, les financements sont souvent instables et, surtout, trop incertains pour leur permettre d'ancrer leurs stratégies immobilières dans la durée. La partie de l'allocation globale couvrant les frais d'entretien et de fonctionnement n'est garantie que pendant les cinq années du contrat d'accréditation. Par ailleurs, elle n'est plus fléchée, ce qui a pu autoriser certaines universités, confrontées à de réelles difficultés financières, à utiliser les sommes prévues pour l'immobilier pour couvrir d'autres dépenses plus voyantes.
En second lieu, les réhabilitations et les constructions nouvelles sont financées par des contrats de plan qui ont trop longtemps privilégié les constructions nouvelles, même si les contrats 2015-2020 sont l'occasion d'un opportun recentrage sur les réhabilitations. S'ajoutent à ces programmes les investissements d'avenir du plan campus, avec près de 5 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2020, mais ces derniers s'inscrivent dans une logique d'excellence et d'attractivité substantiellement différente, qui excède la seule question des locaux, et ils ne constituent pas une ressource pérenne pour toutes les universités.
En troisième lieu, les universités n'ont pas accès aux emprunts bancaires, hors quelques programmes limités de la Caisse des dépôts et consignation.
Dès lors, au-delà de la stabilisation des financements et l'accès à la future troisième génération des contrats d'avenir, que j'appelle de mes voeux, il est urgent de conforter les ressources que les universités peuvent consacrer à l'entretien de leur patrimoine. Se pose évidemment la question de la dévolution du patrimoine qu'autorise désormais l'article L. 719-14 du code de l'éducation. Même s'il est encore un peu tôt pour en tirer tous les enseignements, l'expérimentation menée par les universités de Clermont 1, Toulouse 1 et Poitiers apparaît très prometteuse. Cependant, si cette expérience mérite d'être poursuivie, cela ne peut se faire que progressivement, car elle est extrêmement onéreuse. L'État a fait le choix, en 2011, d'accorder aux universités bénéficiaires une dotation de dévolution généreuse de 50 euros par mètre carré, précédée d'une complète remise aux normes des bâtiments. Si l'on voulait répéter cette démarche pour toutes les universités et procéder à une dévolution complète, il faudrait trouver immédiatement 500 millions d'euros pour la remise aux normes, plus 500 millions d'euros supplémentaires par an. De tels efforts étant hors de portée, je suggère plutôt de réserver les prochaines dévolutions aux seules communautés d'universités et d'établissement (COMUE) ou universités fusionnées qui auront fait l'effort préalable de mutualiser leurs pôles immobiliers.
Enfin, je pense qu'il faut encourager les universités à faire preuve d'initiative et de créativité pour dégager plus de ressources propres, notamment en tirant partie de leur vaste patrimoine, qu'elles peuvent louer temporairement pour des congrès ou des summer schools, ce qui se fait couramment en Angleterre, et, surtout, en s'engageant avec force et conviction dans la mission exaltante de la formation professionnelle, dont elles ne dégagent aujourd'hui que 300 millions d'euros, alors que c'est un marché de près de 30 milliards d'euros. Cela leur permettrait de contribuer pleinement à l'objectif d'accroissement de qualification de notre société tout entière.