L'école est aujourd'hui le miroir de notre société. En France, nous avons tendance à vouloir cacher la différence, contrairement à ce qui peut se passer à l'étranger. Pendant très longtemps, l'école a eu cette tendance. Aujourd'hui, même si une vraie démarche d'inclusion est menée depuis 2005, et s'est accentuée en 2013, elle doit faire face à de lourdes résistances.
Un exemple assez révélateur est l'accessibilité des bâtiments. J'ai été sidérée d'apprendre, lors d'une audition, qu'un quart des nouveaux bâtiments scolaires construits depuis 2008 ne sont pas accessibles, alors qu'ils ont été construits trois ans après la loi de 2005. Cette aberration montre à quel point la nécessité de l'accessibilité et de l'inclusion – même si j'entends les réserves de Martine Faure sur ce terme – n'est pas encore spontanée. C'est encore quelque chose qu'il faut un peu forcer.
On le voit à l'école. De par une longue tradition, le maître y est seul face à sa classe. Quand un enfant sort de la norme, pour quelque raison que ce soit, il considère que s'en occuper n'est plus de son rôle et que cela revient à des enseignants spécialisés ou des structures. C'est tout cet état d'esprit qui est à revoir, et cela prendra du temps – je ne m'attendais pas à ce que tout change d'un coup de baguette magique. Je constate néanmoins que la volonté de changement est là, et c'est très important.
Comment faire changer les choses ? Le point absolument essentiel est d'abord la construction du travail en équipe. Les professeurs doivent apprendre à décloisonner, les systèmes médico-sociaux doivent se rapprocher de l'école, et tous les acteurs doivent travailler ensemble. Une fois encore, les habitudes de cloisonnement sont très fortes, et il faut changer cela.
Il a fallu faire accepter aux professeurs la présence des auxiliaires de vie scolaire dans les classes, les AESH aujourd'hui. S'ils sont désormais acceptés, nous avons plusieurs problèmes les concernant. Leur professionnalisation, tout d'abord. La majorité des accompagnants ne sont pas des AESH professionnels, mais des contrats aidés, qui n'ont pas eu la formation suffisante. Or nous voyons bien que l'école inclusive ne saura se passer des AESH, et des AVS de façon générale, il faudra donc bien pérenniser ces postes. Aujourd'hui, on nous répond que cela coûte trop cher, je l'entends mais je constate aussi que l'on est obligé de reconduire ces postes d'une année sur l'autre : c'est bien qu'ils sont nécessaires. Leur nombre a vocation à plafonner, et il faut maintenant pérenniser et professionnaliser ces postes.
Par ailleurs, il faut faire attention à une tendance actuelle à attribuer des AVS à tous les élèves en difficulté. Il y a des AVS absolument nécessaires : le parent d'un enfant autiste m'a dit un jour que l'AVS était comme son fauteuil roulant. Imagine-t-on de demander à un enfant non-valide de renoncer à son fauteuil roulant sous prétexte de gagner en autonomie ? Évidemment pas. Les AVS sont donc indispensables, et il faut les garder. Mais un travail de coordination, en équipe, doit être fait pour analyser les besoins spécifiques de chaque élève. S'ils montrent l'utilité d'un AVS, il faut le prendre, mais il est souvent largement suffisant de mettre en place des adaptations pédagogiques. Et pour les mettre en place, il faut ce travail en équipe.
C'est à ce stade qu'entre en compte le rôle des RASED. Leur nombre a beaucoup diminué, et, de plus, les trois catégories de personnel qui les constituent ne sont pas toujours représentées, ce qui pose de grosses difficultés pour faire travailler tout ce monde ensemble. Un professeur, même très bien formé sur le handicap ou la différence, ne va pas pouvoir répondre à tous les besoins spécifiques des enfants ; ce n'est pas possible. Si l'on veut qu'il mette en place des pédagogies adaptées, il doit le faire en partenariat avec des professionnels. Les RASED peuvent jouer ce rôle de conseil et de transfert d'expérience auprès du professeur de l'école, qui reste évidemment maître dans sa classe. Pour cela, il faudrait augmenter leur nombre, leurs effectifs sont bien insuffisants. La mise en place d'un pôle de ressources départemental et d'un « maître ressources inclusion » pour jouer le rôle de courroie de transmission, que je propose, permettrait de fluidifier tout cela. Aujourd'hui, certains professeurs qui ont dans leur classe un élève en difficulté se retrouvent démunis. C'est la fluidité du travail en équipe qu'il faut absolument améliorer.
S'agissant de la formation, je n'irai pas aujourd'hui jusqu'à dire, comme Xavier Breton, que les ESPE sont une occasion manquée. Elles pourraient le devenir, mais l'intérêt d'un rapport d'étape est justement de pointer les possibilités d'amélioration pour décider ce qu'il faut réorienter. Certaines vieilles habitudes tardent à disparaître, et particulièrement l'attachement à la discipline : un bon professeur doit avoir de bonnes bases dans les matières telles que les mathématiques, le français ou l'histoire, et il est trop jugé sur ce point. Les choses se sont un peu améliorées pour le primaire : au concours, il y a maintenant un module plus spécifique sur la pédagogie. Il n'empêche que ces apprentissages sont encore annexes. On n'apprend pas à prendre en compte le public qui nous fait face, or c'est le point nodal de la problématique de l'école inclusive. L'enseignant se retrouve complètement démuni devant des élèves en difficulté parce qu'il n'a pas été formé à faire face à la différence. Son métier, tel qu'il le perçoit, c'est de bien transmettre du français, des mathématiques, de bien apprendre à lire et à écrire à des enfants qui vont rester dans le cadre. Hors de ce cadre, beaucoup d'enseignants pensent que ce n'est plus leur métier.
C'est précisément toute la question : quel est le métier de l'enseignant ? C'est de pouvoir apporter des réponses à tous les élèves, y compris les plus éloignés. Isabelle Attard parlait du polyhandicap, qui est vraiment un cas extrême. Ce sont les situations les plus éloignées d'une scolarisation normale. Cela dit, il me semble important de rapprocher même ces enfants-là des structures scolaires.
Cela m'amène à la question des IME et des établissements médico-sociaux. Les établissements médico-sociaux ont pour habitude de travailler séparément. Un effort est en cours sur ce point, et je salue ce qui a été fait s'agissant des ULIS-écoles. Plutôt que de parler d'externalisation, je préfère employer le terme d'internalisation : cela consiste à faire venir les établissements médico-sociaux dans les écoles. Même si ces enfants ne pourront pas être intégrés dans des classes ordinaires, qu'ils soient physiquement localisés dans l'école montre qu'ils sont à leur place dans l'école de la République. Qu'on leur dispense ensuite des pédagogies très différenciées, c'est une évidence, mais il s'agit des cas extrêmes. La grande majorité des autres enfants en situation de handicap ont vocation à être intégrés dans des classes ordinaires, avec des mécanismes de sas – par exemple des ULIS, ou dans le cas des enfants allophones que l'on ne peut pas lâcher en classe sans un temps d'adaptation. Mais tout cela demande un réel travail en équipe.
Aujourd'hui, le manque de places est problématique. Tout d'abord, parce que l'on ne prend pas assez en compte le handicap de manière générale, on ne se donne pas les moyens de créer un nombre de places suffisant. C'est ainsi que l'on se retrouve dans une situation complètement aberrante, qui fait dépenser des sommes folles à notre sécurité sociale pour utiliser des places en Belgique. Je vais d'ailleurs proposer, avec certains collègues, un amendement, qui relaie une proposition de l'UNAPEI sur la question, pour sanctionner chèrement cette pratique, alors que le financement de ces places en France permettrait de créer des emplois.
De plus, parce que l'on n'a pas suffisamment adapté l'école au handicap et à la différence, on envoie dans des structures spécialisées des enfants qui n'ont pas vocation à y être. A contrario, on envoie dans des classes ordinaires, avec des AVS, des enfants qui auraient besoin d'être en IME mais qui n'y ont pas de place. On prétend qu'il s'agit d'inclusion alors que cela ne fonctionnera pas parce que la pédagogie n'est pas adaptée et que les professeurs ne sont pas formés. Les enfants se retrouvent alors très vite déscolarisés, à la charge de parents complètement désemparés.
Marie-George Buffet a soulevé la question de la médecine scolaire. C'est un vrai problème, car pour mettre en place des accompagnements personnalisés, il est aujourd'hui nécessaire d'avoir le visa du médecin scolaire. Le nombre de médecins scolaires diminue fortement, et le problème de remplacement des départs en retraite va se poser : la moitié des effectifs sera concernée dans les cinq ans à venir. Or, en 2014, un tiers des postes ouverts au concours n'a pas été pourvu faute de candidats. Il y a un problème d'attractivité et de rémunération sur lequel il faudra travailler, et une redéfinition du statut semble nécessaire : les médecins scolaires sont très absorbés par des tâches administratives, il faudrait les recentrer sur leur métier. Des expérimentations ont été mises en oeuvre, notamment en Seine-Saint-Denis, pour faire venir travailler des internes en médecine dans les services de médecine scolaire. C'est une expérimentation ; nous verrons si elle produit des résultats intéressants.
La question du coût a été soulevée, et Claudine Schmid a parlé de l'amendement de Benoît Hamon. Ne l'ayant pas lu, je ne répondrai pas particulièrement sur ce point. Mais l'un des problèmes que rencontrent les professeurs est que, quelle que soit leur attitude à l'égard de l'innovation pédagogique ou de l'expérimentation, cela ne change strictement rien à leur carrière ni à leur rémunération. Or l'école inclusive demande précisément de tels efforts, et il faut valoriser les professeurs qui se donnent beaucoup de mal, réfléchir à leur carrière et à leur rémunération à l'aune de tout ce travail. Beaucoup nous ont dit lors des auditions être découragés par l'absence d'aboutissement de leurs efforts et de débouchés d'expérimentations intéressantes, et par le manque de soutien de leur administration. Ces nombreuses richesses dans nos différents établissements, il faut en tirer bénéfice. Il y a vraiment un effort à faire.
Pour la formation initiale, un travail important doit être réalisé par les ESPE. Pour la formation continue, il faut prévoir des décharges horaires pour que les professeurs puissent se former. Valérie Corre a posé une question sur les « maîtres ressources inclusion », et le coût de ce dispositif. Il n'a pas été possible de faire une évaluation précise, mais une évaluation rapide sur le fondement de deux heures de décharge horaire par semaine dans les 52 000 écoles induirait un coût de l'ordre de 150 millions d'euros.
L'école inclusive a donc indéniablement un coût, mais c'est un investissement. Toutes les prestations qu'il faudra offrir aux enfants qui, devenus adultes, ne seront pas autonomes, seront en échec, hors du système professionnel, représentent aussi des coûts à mettre en regard de ceux d'une école inclusive. Puisque l'école est le reflet de la société, je souhaite qu'elle devienne un exemple de société pour tous, une société qui fait de la place à tous les enfants, sans cacher ceux qui sont en situation de handicap, pour qu'ils ne soient pas regardés par les autres comme des extraterrestres. Ce sont des enfants comme les autres, et comme tous les enfants, ils ont leurs spécificités.