La variété de vos questions est à la mesure de la révolution que connaît le secteur spatial.
Deux traits caractérisent l'évolution du paysage spatial : la question du climat, déjà structurante, est appelée à prendre une place plus importante encore dans les années à venir puisque la COP21 est selon moi un point de départ et non une fin en soi. De plus en plus de pays investissent dans le spatial puisque le coût du ticket d'accès diminue. Parallèlement, le développement d'internet favorise l'émergence de projets de connexion de la planète ou de système de navigation comme Galileo.
Comment les données fournies par les satellites de contrôle des émissions de gaz à effet de serre seront-elles utilisées ? Aujourd'hui, ces données circulent très largement à des fins scientifiques. Dans le cadre de Copernicus, la France a pris l'initiative avec le programme PEPS de mettre à disposition des données, considérant que le libre accès est la meilleure façon de susciter leur utilisation.
Il n'existe pas encore de système global d'observation du climat et de contrôle du respect des engagements, peut-être cela viendra-t-il un jour. Mais, aujourd'hui, un écosystème autour du climat est en train de se développer. Le CNES a été à l'origine il y a trente ans d'un écosystème pour l'utilisation des données d'observation de la Terre. Plus récemment, avec les satellites Topex-Poseidon et Jason, nous avons mis en place un écosystème autour des océans. Dès lors que des satellites de plus en plus nombreux s'intéressent au climat, on peut raisonnablement penser à la création d'un écosystème sur le climat dans les années à venir.
Le projet SWOT – Surface water ocean topography –, développé avec la NASA, devrait être lancé à la fin de la décennie. À l'instar de Jason pour les océans, cette mission s'intéressera à l'eau douce sur les terres émergées.
En matière de météorologie, le CNES est également en pointe. Au-delà des satellites de météorologie traditionnels sur lesquels s'appuient les cartes présentées à la télévision, des satellites plus sophistiqués, qui sont en orbite polaire et non géostationnaire, étudient la météorologie avec des instruments très novateurs : l'instrument IASI, déjà en orbite, est capable de prévoir la météo à trois jours ; un autre instrument, IASI-NG, devrait être en orbite à partir du début de la prochaine décennie et permettre d'étendre la prévision à quatre, voire cinq jours.
Quant au nombre d'emplois créés par Jason 3, il faut distinguer les emplois directs liés à la fabrication du satellite – entre 100 et 150 emplois pendant cinq ans dans l'industrie spatiale – et les emplois, plus nombreux, induits par la création de l'écosystème que j'évoquais précédemment et l'utilisation des données.
Le programme Copernicus de l'Agence spatiale européenne (ESA) monte en puissance. Deux satellites ont été lancés depuis Kourou, plusieurs autres sont prévus dans les mois qui viennent. Quant au programme Earth Explorers de l'ESA, il repose sur une approche un peu plus scientifique de l'observation de notre planète.
S'agissant de la marge d'erreur de MERLIN, ce satellite a vocation à mesurer les émissions de gaz à effet de serre, en particulier le méthane. Conçu pour établir une carte du monde des émissions de méthane, il offrira une très bonne connaissance par région, qui fait défaut aujourd'hui.
Les projets économiques du CNES se développent très rapidement. Le Gouvernement a décidé il y a quelques semaines de mettre en place une ligne de soutien à l'industrie spatiale pour la préparer à être présente dans les projets de méga-constellations.
Rosetta et Philae vont bien, elles vont même très bien. Rosetta s'est éloignée de la comète pour ne pas subir les jets de gaz et de poussière provoqués par l'échauffement du soleil. Quant à Philae, elle a recueilli un nombre impressionnant de données qui sont en cours de traitement par les scientifiques. Cette mission a fait la une de l'édition du 1er août de la revue américaine Science, qui est la référence. Je suis convaincu qu'elle restera comme la mission d'exploration spatiale des trente premières années de ce siècle, aucune mission aussi intéressante n'ayant eu lieu précédemment ou ne pouvant intervenir avant quinze ans puisqu'elles sont en développement.
De grandes sociétés comme Google ambitionnent de connecter les six milliards d'êtres humains sur la planète à internet, contre 500 millions de personnes connectées à un internet rapide aujourd'hui. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Sont ainsi étudiés des drones avec des panneaux solaires, des ballons ou des méga-constellations. C'est dans ce cadre que Google recherche l'expertise du CNES et qu'une coopération a été mise en place.
Ariane 5 est le lanceur lourd le plus fiable au monde, avec 68 succès d'affilée depuis 2003. Mais il a été conçu à la fin des années 1980 – le premier lancement a eu lieu en 1996. Depuis, la technologie a fait des progrès. C'est la raison pour laquelle il a été décidé à la fin de l'année dernière d'engager le développement d'Ariane 6, qui s'appuie sur un design plus simple, une meilleure organisation industrielle et un engagement des États à y recourir.
Aujourd'hui, ce programme avance bien – l'objectif d'un premier lancement est fixé en 2020. Les décisions de décembre 2014 ont été difficiles à prendre mais elles l'ont été grâce à l'engagement sans faille de la France – il faut rendre hommage au Président de la République, au Premier ministre et à Mme Fioraso, qui était alors ministre chargée de la recherche. C'est grâce à une prise de conscience politique au plus haut niveau que la convergence sur Ariane 6 a été possible. À l'époque, vous le savez, nos partenaires européens, notamment d'outre-rhin, n'étaient pas très faciles à convaincre. J'étais hier à Berlin pour rencontrer l'ensemble des dirigeants allemands du spatial et j'ai été frappé de constater que, dix mois après la conférence de Luxembourg, il n'y a plus l'ombre d'un débat en Allemagne : les Allemands se sont approprié Ariane 6. Cela montre d'une part, que notre analyse – concevoir directement Ariane 6 sans passer par des versions améliorées d'Ariane 5, comme cela était proposé outre-rhin – était pertinente, et, d'autre part, que le travail de conviction de nos partenaires allemands mené au plus haut niveau politique a été payant puisqu'aujourd'hui, les Allemands sont les premiers supporteurs d'Ariane 6 ; il y a tout lieu de s'en féliciter.
Le rôle du CNES dans la COP21 aurait été marginal si nous n'avions pas réussi à fédérer l'ensemble de la communauté spatiale internationale. C'est pour cela que nous avons pris l'initiative de la réunion de Mexico que nous avions préparée au cours d'une réunion des chefs d'agence spatiale lors du salon du Bourget le 15 juin. S'agissant de l'organisation, j'ai en partie répondu en appelant de mes voeux la création d'un écosystème destiné au climat.
La constellation de satellites est une nouvelle façon de faire de l'espace. Pourquoi les méga-constellations sont-elles en train d'émerger ? Les satellites de télécommunications géostationnaires peuvent faire la même chose que les satellites en orbite basse, à un détail près… ils sont à 36 000 kilomètres d'altitude. Pour la connexion avec la norme 5G, qui sera utilisée dans quelques années, le temps de latence, c'est-à-dire le temps qu'il faut pour rejoindre un satellite et qui dépend donc directement de la distance depuis la Terre de celui-ci, est très important. Le fait d'être en orbite basse, entre 500 et 700 kilomètres d'altitude, fait évidemment gagner beaucoup de temps.
L'honnêteté m'oblige à dire que ces projets présentent un caractère futuriste et spéculatif. C'est une bonne chose qu'Airbus ait pu mettre un pied dans le projet OneWeb. Il faut toutefois être conscient que ce sont des projets difficiles. C'est pourquoi nous avons pris la décision de soutenir notre industrie pour mettre toutes les chances de notre côté.
Ces méga-constellations posent le problème du nombre de satellites en orbite et des débris spatiaux. Mais la France s'est dotée, en 2008, d'une loi relative aux opérations spatiales – nous sommes précurseurs en la matière. Le devenir de ces satellites sera régi par cette loi. La meilleure façon de traiter la question des débris spatiaux est encore de ne pas en fabriquer : c'est pour cela qu'Ariane 6 sera un lanceur « propre » puisque l'étage supérieur ne restera pas en orbite, donc ne créera pas de débris.
SpaceX a avancé rapidement avant de connaître un échec le 28 juin. Nous attendons donc le prochain lancement, qui devrait intervenir dans les prochaines semaines. C'est une période compliquée. Pour une société de transport spatial, ce qui est important, ce n'est pas tant l'échec que le vol d'après. Si SpaceX connaît le succès lors de son prochain lancement, l'échec du 28 juin aura été un simple trou d'air. En revanche, si l'échec se répète, des questions beaucoup plus fondamentales se poseront.
Les climato-sceptiques persistent mais ils sont de moins en moins nombreux, me semble-t-il, à ne pas croire au réchauffement climatique. La question est de savoir si les phénomènes climatiques nouveaux que nous observons sont d'origine anthropique ou naturelle. Il existe aujourd'hui un consensus pour considérer qu'ils sont pour l'essentiel liés à l'activité humaine, raison pour laquelle nous devons y remédier.
Le tourisme spatial, on en parle beaucoup mais ses perspectives paraissent très limitées puisque le ticket pour trois minutes en apesanteur s'élèverait à 200 000 dollars, ce qui n'est pas à la portée de toutes les bourses. Ce programme, qui a connu quelques revers récemment, avec la mort du pilote du projet de Virgin Galactic à la suite d'un grave accident, continue à un rythme que je qualifierais de mesuré. Je ne crois pas qu'il soit extrêmement porteur à ce stade.
Galileo avance bien. Dix satellites ont été mis en orbite, quelques-uns connaissent des difficultés mais le programme a été remis sur les rails. Le prochain lancement de deux satellites supplémentaires par Soyouz est prévu le 17 décembre depuis le centre spatial guyanais ; Ariane lancera d'autres satellites l'année prochaine. Les premiers services de Galileo devraient être disponibles au début de l'année 2017. Ce système concurrencera le GPS américain, le Glonass russe et le Beidou chinois.
La cession des parts du CNES dans Arianespace est la conséquence des décisions prises à la conférence de Luxembourg. Nous avons souhaité que l'industrie prenne plus de responsabilités, en particulier dans les lancements commerciaux, ce qui passait par un désengagement du CNES du capital d'Arianespace. Sans entrer dans des détails financiers, qui sont à ce stade confidentiels, je considère que l'accord trouvé avec les industriels, qui sera confirmé une fois les étapes franchies, en particulier en matière de concurrence, est un bon accord. Nous avons valorisé du mieux possible notre participation. C'est une excellente opération patrimoniale de mon point de vue qui protège le CNES des risques éventuels liés à la commercialisation du lanceur. Nous verrons si celle-ci va jusqu'à son terme en recueillant l'approbation de Bruxelles.
S'agissant des flux d'ondes engendrés par les communications, je vous rassure, des études d'impact sont réalisées avec beaucoup de soin. Nous y sommes très attentifs.
Pour Galileo, nous n'avons plus de souci sur la construction des satellites et leur mise en orbite. En revanche, il faut être attentif à l'utilisation qui sera faite du signal, en particulier en s'assurant de l'existence d'un nombre suffisant de récepteurs pour le capter. Les États-Unis, la Russie et la Chine ont légiféré : sur le marché américain, les véhicules vendus doivent être équipés de récepteurs GPS, sur le marché russe, de récepteurs Glonass et sur le marché chinois, de récepteurs Beidou. Afin de ne pas fausser la concurrence, la Commission européenne n'a pas souhaité imposer la présence d'un récepteur Galileo sur les véhicules vendus en Europe. Je m'étais exprimé dans un sens différent. Mais, nous devons respecter la décision de Bruxelles. Même en l'absence d'obligation réglementaire, je suis convaincu qu'en raison de l'excellence des services offerts par Galileo, celui-ci s'imposera de lui-même dès lors que la constellation sera déployée, à la fin de l'année 2016 ou au début de l'année 2017.