La réalité de la situation de la justice en France, c'est qu'elle ne peut continuer à fonctionner avec le budget qui lui est dédié. C'est une observation qui relève du rapporteur spécial, mais aussi de la Cour des comptes. Ensemble, nous mettons en évidence, depuis 2012, l'absence de soutenabilité du budget de la justice. La soutenabilité des finances publiques, c'est la capacité d'un État à rester solvable, c'est-à-dire à conserver des marges de manoeuvre budgétaires suffisantes pour honorer ses engagements.
Or le manque de moyens est flagrant, pratiquement dans tous les secteurs, et en particulier dans quatre domaines : la masse salariale, les frais de justice et les moyens de fonctionnement, les dépenses d'investissement et les dépenses d'aide juridictionnelle.
C'est peut-être ce qui explique la dégradation des indicateurs : les délais de jugement des procédures civiles augmentent – ceux des procédures pénales ne sont malheureusement pas connus –, la sécurité dans les établissements pénitentiaires diminue, les délais de prise en charge des mineurs délinquants ne sont pas satisfaisants et le taux de mesures en attente d'exécution augmente.
Au regard de ces observations générales, madame la garde des sceaux, je voudrais vous poser quatre questions.
La première porte sur la masse salariale, qui est insuffisamment calibrée.
Le plafond d'emplois n'est pas saturé, et pourtant, la dépense constatée de rémunérations d'activité a toujours consommé pratiquement tous les crédits ouverts. Le coût unitaire de chaque emploi a toujours été supérieur aux prévisions de la loi de finances initiale, en 2013 et 2014. On ne vous reproche pas de ne pas saturer les plafonds d'emplois, mais de ne pas inscrire des crédits de personnel en rapport avec les créations d'emplois affichées. La masse salariale prévue par le projet de loi de finances est manifestement sous-calibrée au regard des emplois annoncés, ce qui ne l'empêche pas de croître sous l'effet mécanique du glissement vieillesse technicité (GVT). Aujourd'hui, que valent les annonces de créations d'emplois au regard de ces constatations ?
Ma deuxième question porte sur le sacrifice des investissements.
Contrairement aux affirmations du Gouvernement, la réalité de la situation des investissements au ministère de la justice, particulièrement des investissements immobiliers, n'est pas qu'ils sont poursuivis, mais qu'ils sont sacrifiés au fonctionnement courant.
Sur les trois années 2012, 2013 et 2014, les montants des dotations de titre 5 – dépenses d'investissement – ouvertes en loi de finances initiale et qui n'ont pas été consommées, ont atteint la somme très importante de 892 millions d'euros pour les autorisations d'engagement et de 358 millions pour les crédits de paiement.
La Cour des comptes le dit clairement : « Les annulations et les redéploiements de crédits du titre 5 au profit des dépenses de fonctionnement manifestent un renoncement aux projets à moyen et long terme, au profit de préoccupations de gestion plus immédiates. La Cour estime que le ministère de la justice ne peut durablement sacrifier les crédits d'investissement sans compromettre à terme la mise en oeuvre de ses missions. »
Comment pouvez-vous expliquer cette situation ? Comment entendez-vous donner les moyens de préserver les investissements du ministère de la justice à hauteur des engagements que vous avez pris ?
Ma troisième question concerne l'aide juridictionnelle, dont je constate qu'elle est financée par des expédients.
Au 1er janvier 2014, vous avez supprimé la contribution pour l'aide juridique, estimant qu'il s'agissait d'une taxe qui allait restreindre les droits des justiciables à saisir une juridiction. Or depuis, vous n'avez cessé d'augmenter les taxes : revalorisation de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance de protection juridique, augmentation des droits fixes de procédure et de la taxe forfaitaire prévue sur les actes effectués par les huissiers de justice, augmentation du droit de timbre dû par les parties à l'instance d'appel, qui passe de 150 à 225 euros.
Comment pouvez-vous, aujourd'hui, expliquer cette situation ? Ne considérez-vous pas que ces taxes spéciales affectées à l'aide juridictionnelle constituent un obstacle à la possibilité de saisir une juridiction, en tout cas un frein ?
Ma quatrième question porte sur les crédits dédiés aux dépenses de santé des détenus.
Lors d'une précédente législature, j'avais commis un rapport sur ce sujet. Pour avoir visité quelques établissements pénitentiaires, je puis vous dire que c'est un véritable sujet d'inquiétude chez les agents de la pénitentiaire et au niveau de la direction des établissements.
Les crédits proposés ne sont pas à la hauteur des engagements et des attentes. En 2016, vous avez prévu 126,6 millions pour les dépenses de santé des détenus, dont 33,4 millions à la charge des services déconcentrés et 93,2 millions versés à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) pour le paiement des cotisations sociales des détenus.
Cependant, selon la réponse au questionnaire budgétaire, la prévision de dépenses pour 2015 s'établit à 37 millions, pour 31,8 millions d'euros ouverts en loi de finances initiale pour 2015. Il en sera évidemment de même pour 2016.
Comment pourrez-vous remédier à cette nouvelle dégradation budgétaire des dépenses de santé des détenus, à l'heure où les problèmes de psychiatrie, de psychologie et d'addiction méritent une intervention très lourde dans ce domaine au sein des établissements pénitentiaires ?