Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Réunion du 21 octobre 2015 à 21h00
Commission élargie : finances - lois constitutionnelles

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour la justice administrative et judiciaire :

Je voudrais tout d'abord souligner à mon tour que le budget de la justice franchit pour la première fois cette année un seuil symbolique, celui des 8 milliards d'euros, avec une augmentation de 1,3 % par rapport à 2015.

Dans le contexte de redressement de nos finances publiques, cette nouvelle hausse démontre la volonté du Gouvernement et de notre majorité de combler le retard de notre pays en matière de budget de la justice. La France reste en effet, chacun le sait, mal classée – trente-septième sur quarante-cinq États – par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) au regard du critère du budget de la justice rapporté à la population du pays – 61,20 euros par habitant et par an – et du PIB par habitant. Il y a encore beaucoup à faire, comme j'ai pu m'en rendre compte lors de mes auditions. C'est pour cela que je salue aujourd'hui, une fois de plus, l'augmentation de notre budget.

J'ai consacré mon avis, cette année, à la répartition territoriale des moyens de la justice. La justice doit être forte et proche des citoyens. L'égal accès de tous à la justice est un impératif démocratique, et ce, sur tout le territoire national.

Cette égalité d'accès et cette proximité ont été mises à mal par la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007 par Mme Dati et achevée en janvier 2011. Menée dans la précipitation et sans concertation, elle a abouti à la suppression de 341 juridictions et réduit de près de 30 % le nombre de juridictions en France. Elle a créé de véritables déserts judiciaires, des zones dans lesquelles, sur plus de 100 kilomètres, un territoire est privé de toute implantation judiciaire, comme en Bretagne intérieure ou en Auvergne, et dans bien d'autres endroits.

Cette réforme a également entraîné un effet d'éviction en matière de demande de justice, l'éloignement de la juridiction conduisant certains justiciables à renoncer à saisir le juge pour de petits litiges, qui sont de grands dols pour eux.

Sur le plan financier, la réforme de la carte judiciaire a souvent entraîné des surcoûts immobiliers, avec l'abandon de sites antérieurement mis gracieusement à disposition par les collectivités territoriales au profit de sites loués, dont les loyers sont croissants. C'est en outre une réforme inaboutie, qui n'a pas concerné les cours d'appel, dont les ressorts rappellent pour certains ceux des parlements de l'Ancien Régime… Bref, une réforme qui a mis à mal la justice et la confiance que l'on pouvait avoir en elle.

Les correctifs que vous avez apportés, madame la garde des sceaux, à partir des conclusions de la mission que vous aviez confiée à M. Serge Daël, en réimplantant des TGI dans les villes de Saint-Gaudens, Saumur et Tulle, et en créant des chambres détachées à Dôle, Guingamp, Marmande et Millau, étaient indispensables.

Il faut aller au-delà et poursuivre le rapprochement de la justice des citoyens, dans le cadre de la justice du XXIe siècle.

Le renforcement de la politique d'accès au droit, avec la réforme de la composition et de la gouvernance des conseils départementaux de l'accès au droit (CDAD), prévue par l'article 1er du projet de loi J21, est une excellente mesure. Il faudra qu'elle s'accompagne de moyens suffisants pour que chaque Maison de la justice et du droit (MJD) se voie, notamment, affecter un greffier. Pouvez-vous nous confirmer que telle est bien votre intention ?

La création du Service d'accueil unique du justiciable (SAUJ), prévue par l'article 2 du projet de loi J21, sera aussi une avancée remarquable, qui simplifiera considérablement l'accès des Français à la justice. Cependant, elle ne sera effective que si les systèmes informatiques sur lesquels elle se fonde, Cassiopée en matière pénale et Portalis en matière civile, sont déployés et opérationnels sur tout le territoire. Pourriez-vous nous donner des éléments sur le calendrier de déploiement de Portalis et son articulation avec celui de la mise en place des SAUJ ?

Je regrette que la piste constituée par les audiences foraines, prévues par l'article R. 124-2 du code de l'organisation judiciaire, ne soit pas davantage explorée. Je sais que ces audiences représentent une contrainte importante pour les magistrats et les greffiers, déjà surchargés, mais elles sont très utiles pour maintenir une présence judiciaire dans les villes où une juridiction a été supprimée. Ce n'est plus le justiciable qui se déplace, mais la justice qui vient à lui. Ne pourrait-on envisager de pérenniser et conforter ces audiences foraines, en leur conférant un statut législatif ?

Au-delà de l'implantation territoriale des juridictions, je me suis également penché sur la répartition des effectifs de magistrats et de personnels des greffes, entre les juridictions. Votre administration m'a récemment transmis les chiffres, qui sont évidemment à manier avec précaution, car les données quantitatives ne sont pas toujours suffisantes pour effectuer des comparaisons rigoureuses entre les juridictions. Ces limites étant posées, j'ai cependant relevé des disparités territoriales, sur lesquelles je m'interroge.

Pour ne prendre que quelques exemples, j'ai du mal à comprendre que le ratio, dit « d'efficience », rapportant le nombre d'affaires traitées par juge d'instruction puisse varier de 8 à Mende, à 128 à Soissons, soit un rapport de 1 à 16 ! Ou encore que le nombre d'affaires traitées par un juge des enfants varie de 226 au TGI de Créteil à 3 600 au TGI d'Auch, soit un rapport de 1 à 16. Ou encore que celui des affaires traitées par un juge de l'application des peines soit de 358 à Paris et de 7 767 au TGI de Rodez, soit un rapport de 1 à 21. Il nous faut donc comprendre ces disparités.

Il reste encore beaucoup à faire pour restaurer l'égalité de tous devant le service public de la justice et rapprocher la justice des Français. Je me réjouis, madame la garde des sceaux, que vous ayez décidé, avec l'énergie qui vous caractérise, de vous atteler à cette tâche indispensable dans le cadre du projet de loi pour la justice du XXIe siècle, que notre assemblée examinera dans quelques mois.

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