Ma démarche, plus difficile que d'autres, correspond à ce que je pense profondément que doit être l'action publique. En voici le principe : en présence d'une urgence humanitaire et d'enjeux compliqués, c'est la vérité que l'on doit convoquer. L'indignation est d'autant plus forte qu'elle est juste, qu'elle repose sur des éléments objectifs. Je veux bien que l'on s'indigne de la situation à Calais, cela ne me choque pas ; cela me choque d'autant moins que je suis confronté tous les jours à sa difficulté. Vous imaginez bien que j'en suis moi-même indigné. Il est un peu court de considérer que, sous prétexte qu'un individu exerce une responsabilité ministérielle, il ne pourrait s'indigner, s'émouvoir, se mobiliser, défendre des valeurs. Mais je ne veux pas résoudre ce problème par des approximations. L'indignation doit être articulée à une analyse très précise de la situation si l'on veut réagir de manière pertinente.
Dire que l'État ne fait absolument rien à Calais, qu'il laisse toute la responsabilité aux autres, alors que j'ai expliqué ce que nous faisons, les moyens que nous y consacrons, est-ce juste ? S'indigner de la situation à Calais sans jamais rendre compte de ce qu'elle était il y a dix mois et des efforts que nous avons engagés, est-ce juste ?
On dit qu'il y a urgence, on demande à l'État d'intervenir, mais sans tenir le moindre compte des contraintes qui s'imposent à lui lorsqu'il intervient. Je l'ai dit hier très franchement aux représentants d'associations que j'ai rencontrés sur place : lorsque je veux installer un dispositif à Calais, il faut que j'aie les budgets pour cela ; cela suppose des discussions et des procédures de droit dont le non-respect conduit le ministre devant des instances désagréables. Ce sont des réalités, même si on peut le regretter. Peut-on dire pour autant que nous perdons du temps, que nous n'agissons pas ? Non ! Nous agissons tous les jours, et lorsque les délais sont trop longs, nous nous efforçons de les réduire. Ainsi, pour créer 1 500 places à Calais, nous avons recours à une procédure d'urgence.
Je ne demande absolument pas que, sur les questions dont nous traitons, personne ne s'exprime, que ceux qui sont indignés ne fassent pas part de leur indignation. Celle des artistes est sincère, et je me rends disponible pour les recevoir. Lorsque le Défenseur des droits émet des préconisations, il rejoint mes préoccupations. J'aurais simplement aimé qu'il rende aussi compte de notre action dans son rapport.
Dans un pays où, sur ces sujets, certains en appellent, comme le disait le président Vauzelle, à la xénophobie, à la haine, au repli sur soi, ceux qui veulent créer les conditions d'un accueil digne devraient unir leurs forces en disant la vérité, en faisant preuve de précision, pour montrer qu'il existe de véritables solutions. S'ils ne le font pas, ce ne sont pas eux, ceux qui ont envie de se mobiliser, qui gagneront la bataille.
Ma seule exigence est que nous fassions dignement face à la crise migratoire, que nos réponses soient à la hauteur des valeurs de notre pays, et que nous nous montrions rigoureux et précis. C'est une exigence éthique qui s'impose en politique, a fortiori lorsque l'on exerce une responsabilité ministérielle. Un gouvernement qui se mobilise dans cet état d'esprit peut s'attendre à ce qu'on lui exprime son soutien, et non seulement son indignation.
En ce qui concerne la position de la France en Europe, elle a consisté dès août 2014, bien avant que la crise migratoire n'atteigne son niveau présent d'acuité, à proposer à l'Union européenne les moyens de la maîtrise, mais aussi de l'humanité. Car l'humanité sans la maîtrise conduit à un désastre humanitaire. Voilà pourquoi nous devons maîtriser nos frontières, y installer des dispositifs de contrôle, mais aussi faire savoir, de manière responsable, que nous pouvons certes accueillir les réfugiés, mais pas tous si nous voulons accueillir correctement ceux qui doivent l'être, parce que notre capacité d'accueil n'est pas illimitée.
Il faut donc aussi, dans les camps installés à proximité des pays d'origine, revoir à la hausse le niveau d'intervention du HCR : si la situation humanitaire n'y est pas optimale, les gens les quitteront, ce qui est bien normal, et l'Europe sera soumise à une pression croissante à laquelle elle aura de plus en plus de mal à faire face. Il en résultera un désastre humanitaire et, partout, des populismes. Je ne veux pas que cela arrive.
Si je parle ainsi, c'est parce que je suis réaliste et comptable de ce que nous faisons. Je veux tenir un discours de vérité, parce que c'est ce qui permettra d'éviter ce désastre humanitaire. Mais je suis convaincu, monsieur le président Vauzelle, que ce discours peut être tenu de manière généreuse et de telle sorte que la France fasse entendre une voix puissante au sein de l'Union. C'est ce que nous essayons de faire dans les enceintes où nous intervenons.
M. Goujon est parti – peut-être pour prendre part à un débat au sein d'une instance parisienne, où les questions qu'il m'a posées trouveront mieux leur place. Mais je lui répondrai tout de même.